Je me promenais ce dimanche, cela n’est pas coutume, lorsque j’ai observ\u00e9 au coin d’une rue une situation qui m’a parue \u00e9trange. Deux sans abris se parlaient sur un ton particulier. Ou plut\u00f4t l’un criait sur l’autre qui pleurait. Ils avaient une petite trentaine d’ann\u00e9es. Le genre de personnes sur qui la vie s’est essuy\u00e9 les pieds. Je ne sais pourquoi, apr\u00e8s avoir travers\u00e9 la rue, je me suis arr\u00eat\u00e9 et les ai observ\u00e9s un moment.<\/p>\n
L’un des deux, celui qui parlait \u00e9tait plus fort, plus robuste, il tenait bien sur ses deux pieds et semblait ma\u00eetre du jeu. L’autre, plus maigre, \u00e9tait courb\u00e9, les bras repli\u00e9s contre lui, pleurant en permanence. Parfois, quand l’autre, qui lui parlait fort, s’approchait un peu trop, il levait les avant-bras comme pour se prot\u00e9ger d’une gifle dont il semblait avoir l’habitude. Le costaud lui disait de se taire alors qu’il n’ouvrait pas la bouche.<\/p>\n
Tout \u00e0 coup, il a d\u00e9cid\u00e9 qu’ils iraient occuper un autre coin de rue. Il ne lui a pas fallu beaucoup de mots pour convaincre l’autre d’ob\u00e9ir, de ramasser son sac et de traverser la rue, toujours en pleurant.<\/p>\n
J’ai regard\u00e9 cette sc\u00e8ne un long moment. L’homme le plus fragile s’est accroupi le dos \u00e0 un mur, incapable d’arr\u00eater ses sanglots, la t\u00eate dans les mains. Si l’enfer existe, une de ses portes ne devait pas se trouver loin de lui. L’autre a commenc\u00e9 \u00e0 faire la manche en lui prodiguant des mots qui n’\u00e9taient pas doux.<\/p>\n
Je me suis dit alors que m\u00eame l’homme le plus bas du monde, celui qui a touch\u00e9 le fond, peut-\u00eatre depuis sa naissance, qui a souffert de la faim, de la solitude et de la m\u00e9chancet\u00e9 des hommes, m\u00eame celui-l\u00e0 en cherche encore un autre \u00e0 dominer. Comme s’il voulait se faire croire \u00e0 lui-m\u00eame qu’il allait s’\u00e9lever en lui montant sur le dos.<\/p>\n
Je me suis dit que moi aussi peut-\u00eatre je r\u00e9agirais ainsi. Et qu’il est facile d’\u00eatre du bon c\u00f4t\u00e9 de la morale quand la vie vous apporte chaque jour votre lot de consolation. Lorsque l’on vous donne du \u00ab\u00a0Monsieur\u00a0\u00bb \u00e0 vous qui ne l’avez peut-\u00eatre pas m\u00e9rit\u00e9. Et que des femmes, dans ce grand carnaval de la courte \u00e9chelle, jouent bien souvent le r\u00f4le de ce gar\u00e7on sur qui l’autre s’acharnait.<\/p>\n
J’ai pass\u00e9 mon chemin. Et j’\u00e9tais honteux.<\/p>\n
Pour le reste, deux pr\u00e9sum\u00e9es victimes seront bient\u00f4t des coupables.
\nUn pr\u00e9sum\u00e9 coupable sera bient\u00f4t innocent.
\nLe mot d’ordre sera donn\u00e9: silence !<\/p>\n