Je m\u2019appelle Sonia Marchalin, je suis b\u00e9n\u00e9vole au Planning Familial de Guyane. Je suis l\u2019une des cofondatrices du planning familial que l’on a cr\u00e9\u00e9e en 2005 suite \u00e0 une formation au conseil conjugale et familiale qui avait \u00e9t\u00e9 organis\u00e9 par le Planning Familial conf\u00e9d\u00e9ral.<\/p>\n

La Guyane est un d\u00e9partement et une collectivit\u00e9 territoriale, mais \u00e0 l’\u00e9poque, c’\u00e9tait un conseil g\u00e9n\u00e9ral. Il se trouve qu\u2019\u00e0 l’\u00e9poque, en 2004, il n\u2019y avait pas de centre de sant\u00e9 sexuel. Le d\u00e9partement a d\u00fb se mettre \u00e0 jour en formant des conseill\u00e8res conjugales et familiales pour ensuite ouvrir un centre de planification \u00e9ducatif familiale. Il y avait des centres de PMI o\u00f9 l\u2019on faisait de la planification familiale, mais on redirigeait les personnes voulant faire une IVG \u00e0 l\u2019h\u00f4pital.<\/p>\n

Notre association fut constitu\u00e9e pendant trois ans de b\u00e9n\u00e9voles. La plupart d\u2019entre nous travaillait pour la collectivit\u00e9 territoriale, on comptait beaucoup d\u2019infirmi\u00e8res, de sages-femmes\u2026 Nous sommes soutenus par l\u2019Agence R\u00e9gionale de Sant\u00e9 (ARS) ainsi que par la d\u00e9l\u00e9gu\u00e9e aux droits des femmes et \u00e0 l\u2019\u00e9galit\u00e9. Nous avons fait nos preuves et en 2020, nous avons eu une premi\u00e8re salari\u00e9e. Nos actions fonctionnent, mais les jeunes ont besoin de plus. Les jeunes de 16 ans que l’on a form\u00e9 en 2018 sont toujours l\u00e0. Nous avons la chance d\u2019\u00eatre fonctionnaires pour la collectivit\u00e9 et nous avons r\u00e9ussi \u00e0 faire comprendre qu\u2019il y avait un int\u00e9r\u00eat \u00e0 investir dans ses missions. Nous organisons beaucoup de groupes de parole, de formations en sant\u00e9 sexuelle pour des professionnel\u00b7les notamment. L\u2019originalit\u00e9 est d’en faire dans les lyc\u00e9es guyanais.<\/p>\n

Notre association fonctionne sur la base d\u2019un programme qui s\u2019appelle \u201cGenre et sant\u00e9 sexuelle<\/em>\u201d. Le programme existe au niveau national, il est soutenu par le minist\u00e8re de la Sant\u00e9. Notre association est n\u00e9e avec ce programme, c\u2019est pourquoi nous avons d\u00e9cid\u00e9 d\u2019en faire notre ligne politique.<\/p>\n

Notre d\u00e9partement est particulier, nous avons plus de 50 % de la population qui a moins de 25 ans. Il faut absolument int\u00e9grer les jeunes \u00e0 notre d\u00e9marche, on ne peut pas faire sans elles\/eux. Premi\u00e8rement, nous organisons des groupes de parole aux lyc\u00e9es, et non pas des interventions. Nous n’intervenons pas une heure, puis nous partons, non. Nous voulons consacrer beaucoup plus de temps aux jeunes, en fonction des \u00e9tablissements, en fonction des infirmi\u00e8res aussi. Nous avons r\u00e9ussi \u00e0 faire un groupe de parole au sein d\u2019un lyc\u00e9e et nous avons vu cette classe quatre fois. Nous leur avons ensuite propos\u00e9 d\u2019aller plus loin, d\u2019\u00eatre form\u00e9\u00b7es et d’animer des s\u00e9ances pour leurs camarades, et elles\/ils ont accept\u00e9. \u00c0 l\u2019issue de la premi\u00e8re formation qui durait quatre jours, nous avons abord\u00e9 l\u2019\u00e9coute, la sant\u00e9 sexuelle, les IST, la contraception, les violences, le droit \u00e0 l\u2019IVG. Le but \u00e9tait de les mettre en capacit\u00e9 de recevoir la parole de leurs camarades, et qu\u2019elles\/ils en fassent de m\u00eame pour leur ami.e.s, de pouvoir les accompagner, les surveiller et les orienter. Sans jugement, juste pouvoir \u00e9couter les questionnements par rapport \u00e0 la sexualit\u00e9 en g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n

Nous rencontrons des r\u00e9sistances bien s\u00fbr, nous sommes des \u00eatres humains. Elles\/Ils ont une vie en dehors de leur lyc\u00e9e, des convictions religieuses, des cultures diff\u00e9rentes, surtout que la Guyane est multiculturelle. Mais, l’avantage de travailler avec des jeunes, c’est qu\u2019elles\/ils \u00e9voluent tr\u00e8s vite. Du premier jour de formation jusqu\u2019au dernier jour, les jeunes vivent des changements, des \u00e9volutions. Nous ne leur demandons pas d\u2019avoir une pens\u00e9e commune et unique, mais juste de r\u00e9fl\u00e9chir aux choses qui les interpellent. Je me souviens d\u2019une jeune fille de 16 ans qui disait : \u201cOui, quand mon copain me met une petite tape, je le repousse, on a l\u2019impression d\u2019un jeu<\/em>\u201d. Mais si l’on ne met pas un stop, ce jeu-l\u00e0 peut d\u00e9g\u00e9n\u00e9rer et rentrer dans une relation violente sans s\u2019en rendre compte. Le fait de mettre un cadre d\u00e8s le d\u00e9part sans pour autant moraliser aide \u00e0 cultiver le respect et l\u2019\u00e9coute, et constitue un travail essentiel pour les jeunes qui sont lesbiennes\/homosexuels, non binaires, qui se cherchent… Nous esp\u00e9rons que notre travail aidera \u00e0 ce qu\u2019il y ait une vraie \u00e9galit\u00e9, et moins d\u2019homophobie.<\/p>\n

La pr\u00e9carit\u00e9 est tr\u00e8s importante en Guyane. Nous avons une population migrante extr\u00eamement importante, surtout venant d’Ha\u00efti. Il y a beaucoup de squats et de bidonvilles. Les gens s\u2019installent et s\u2019agglutinent o\u00f9 ils peuvent, au plus proche des villes. Il n\u2019y a pas d\u2019eau courante, pas d\u2019\u00e9lectricit\u00e9, les communes essayent de mettre au moins des bornes d\u2019eau \u00e0 proximit\u00e9. Dans ces conditions, ce n’est pas \u00e9vident d\u2019avoir une hygi\u00e8ne correcte, on va pr\u00e9f\u00e9rer acheter \u00e0 manger plut\u00f4t que des serviettes p\u00e9riodiques. Quand les jeunes filles ont leurs r\u00e8gles, elles ne vont pas \u00e0 l\u2019\u00e9cole. Nous essayons de faire des interventions dans ces quartiers-l\u00e0, sur les r\u00e8gles. Nous avons aussi r\u00e9colt\u00e9 des serviettes au niveau des supermarch\u00e9s, et c\u2019est impressionnant \u00e0 quel point les gens ont donn\u00e9 Ces serviettes ont \u00e9t\u00e9 redistribu\u00e9es aux femmes pr\u00e9sentes lors de nos interventions. Dans un deuxi\u00e8me temps, nous avons appris aux femmes qui le souhaitaient, \u00e0 coudre des serviettes r\u00e9utilisables. Nous faisons appel \u00e0 des couturi\u00e8res sur cinq ou six s\u00e9ances, elles repartent en moyenne avec sept serviettes p\u00e9riodiques, et avec la satisfaction d\u2019avoir fait quelque chose elles-m\u00eames. C\u2019est impressionnant de voir leur visage, elles sont si contentes.<\/p>\n

La prochaine \u00e9tape serait de voir comment elles utilisent ces serviettes, si elles les utilisent. Cette \u00e9tape s\u2019av\u00e8re n\u00e9anmoins compliqu\u00e9e, car pour la plupart, ce sont des femmes migrantes, elles bougent beaucoup. Il faut aussi pouvoir laver \u00e0 l\u2019eau les protections, mais ce n\u2019est pas toujours \u00e9vident. Les serviettes r\u00e9utilisables, c\u2019est un syst\u00e8me D qu\u2019elles utilisaient d\u00e9j\u00e0 dans leur pays ou dans leurs lieux de vie. Elles utilisaient des langes de b\u00e9b\u00e9. Aujourd\u2019hui, ces femmes ont l\u2019impression d\u2019une r\u00e9gression. C\u2019est \u00e0 entendre et \u00e0 interroger. Avec l\u2019\u00e9cologie, on revient \u00e0 la r\u00e9utilisation des v\u00eatements, des couches, des serviettes, mais ces femmes-l\u00e0 le faisaient d\u00e9j\u00e0, non pas par choix, mais par n\u00e9cessit\u00e9. Elles ont l\u2019impression que l’on fait marche arri\u00e8re.<\/p>\n

Il y a toujours cette mauvaise perception des r\u00e8gles. J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 discut\u00e9 avec des jeunes filles \u00e0 qui j\u2019avais donn\u00e9 des serviettes lavables. Elles ont fustig\u00e9 : \u201cmais il y a du sang, il faut laver\u2026 \u201c <\/em>Ce sont des choses qui sont ancr\u00e9es au sein de la famille et de l\u2019\u00e9ducation : quand la femme a ses r\u00e8gles, elle ne doit ne pas coucher dans le m\u00eame lit que son mari. Elles ont leur case dans les villages recul\u00e9s, elles sont isol\u00e9es. Cela continue aujourd’hui malgr\u00e9 le fait que les jeunes filles vont \u00e0 l\u2019\u00e9cole. Pour l\u2019IVG, certaines femmes le font toujours de mani\u00e8re sauvage, alors qu’il est possible de les accompagner dans notre d\u00e9partement. On enregistre beaucoup de grossesses dans les bidonvilles, car de plus en plus de jeunes n\u2019utilisent pas de contraception. Les enfants sont n\u00e9anmoins accept\u00e9\u00b7s, la religion y est pour beaucoup.<\/p>\n

Il n\u2019y a pas de sch\u00e9ma, les histoires ainsi que les familles sont diff\u00e9rentes. La n\u00e9cessit\u00e9 est de cr\u00e9er des espaces de parole parce que les jeunes ont besoin de parler. Nous devons donner la parole et l\u2019oxyg\u00e8ne aux jeune\u00b7s guyanais\u00b7es de plus en plus oppress\u00e9s.<\/p>\n

T\u00e9moignage recueilli par Oc\u00e9ane Koukodila 50-50 Magazine<\/strong><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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