Laurence Fanuel, parfumeuse-cr\u00e9atrice depuis 30 ans livre ses r\u00e9flexions sur l\u2019univers de la parfumerie et la part f\u00e9minine des hommes dans cet empire des sens. Elle\u00a0conna\u00eet bien ce monde olfactif. Apr\u00e8s un doctorat en biotechnologie, elle travaille 10 ans pour la soci\u00e9t\u00e9 am\u00e9ricaine Procter & Gamble sur le parfumage des produits pour la maison. Elle parfumera ainsi pendant plusieurs ann\u00e9es les innovations de la soci\u00e9t\u00e9. En 2008, elle quitte P&G pour des maisons de parfumerie. Elle cr\u00e9e des fragrances pour les maisons Robertet, Keva et Takasago, puis monte sa start-up avec <\/span>plusieurs<\/span> associ\u00e9.es pour finalement s\u2019installer \u00e0 son compte dans la capitale du parfum. Depuis 2018, l’atelier de Laurence Fanuel Rosa Rose, install\u00e9 dans la vieille ville de Grasse, propose des services multi-sensoriels.<\/span><\/b><\/span><\/span><\/p>\n Est-ce difficile de devenir cr\u00e9atrice-parfumeuse de nos jours\u00a0?<\/b><\/span><\/span><\/p>\n Oui, c\u2019est compliqu\u00e9, car l\u2019industrie offre peu de places et le milieu artistique est compl\u00e8tement \u00e0 ouvrir au sens olfactif. Officiellement, et bien que le dossier UNESCO de protection des savoir-faire en parfumerie \u00e0 Grasse comme patrimoine Culture Universel reconnaisse internationalement ce travail comme relevant des arts, les parfums, en France, ne sont pas encore l\u00e9gitim\u00e9s de ce point de vue. Pour un.e parfumeur.se ind\u00e9pendant.e, point d\u2019aide \u00e0 la cr\u00e9ation donc, la DRAC (Direction R\u00e9gionale des Affaires Culturelles) et le nez, c\u2019est nada, sauf si vous \u00eates sculptrice\/sculpteur ou peintresse\/peintre \u00e0 c\u00f4t\u00e9 et que vous m\u00e9langez le tout.<\/span><\/span><\/p>\n Pour \u00eatre parfumeuse, il faut \u00eatre r\u00e9siliente, visionnaire et aussi demander de l\u2019aide \u00e0 la vie, s\u2019aider soi-m\u00eame en cr\u00e9ant, co\u00fbte que co\u00fbte, explorer, exp\u00e9rimenter, s\u2019approprier cet art quoiqu\u2019on en dise dehors. C\u2019est l\u00e0 que r\u00e9side la d\u00e9marche artistique : il faut faire fi des conventions et des pens\u00e9es encadr\u00e9es, il faut se lib\u00e9rer et tester ce que le sens de l\u2019odorat nous inspire comme exploration humaine. Il faut savoir que la plupart des parfumeuses\/parfumeurs travaillent pour des soci\u00e9t\u00e9s peu connues du grand public, et qu\u2019elles\/ils cr\u00e9ent, dans l\u2019ombre, au service des marques que l\u2019on retrouve sur les rayons des magasins. Le corollaire n\u00e9gatif de cette d\u00e9marche est que la \u00absignature\u00bb, le \u00abstyle\u00bb ont \u00e9t\u00e9 compl\u00e8tement gomm\u00e9s en parfumerie, le parfumeur ou la parfumeuse est consid\u00e9r\u00e9.e comme un.e artisan.e au service des id\u00e9es des autres, point.<\/span><\/span><\/p>\n Or, je confirme : sans c\u0153ur, sans amour pour telle ou telle mati\u00e8re, ou sans vision cr\u00e9ative, on ne peut cr\u00e9er des parfums qui passionnent le public. La\/le parfumeuse\/parfumeur a donc un univers personnel \u00e0 partager comme tout autre artiste. Le cadrage financier de la cr\u00e9ation de parfum l\u2019emp\u00eache de se lib\u00e9rer et d\u2019explorer ce que ce sens a \u00e0 dire aupr\u00e8s des gens. Les \u00c9ditions Fr\u00e9d\u00e9ric Malle sont les seules, \u00e0 ma connaissance, \u00e0 avoir cass\u00e9 ce tabou en inscrivant le nom de la\/du parfumeuse\/parfumeur sur le flacon. Mais sachez que derri\u00e8re l\u2019odeur de votre lessive pr\u00e9f\u00e9r\u00e9e depuis des g\u00e9n\u00e9rations, il y a un.e parfumeuse\/parfumeur qui a veill\u00e9 sur ce produit depuis plus de 20 ans pour que le linge sente bon\u00a0<\/span><\/span><\/p>\n D\u2019apr\u00e8s votre exp\u00e9rience, les grandes maisons font-elles plus confiance en un nez masculin\u00a0ou f\u00e9minin ?<\/b><\/span><\/span><\/p>\n Jadis, les parfumeurs \u00e9taient exclusivement masculins, c\u2019\u00e9tait un fait de soci\u00e9t\u00e9 et parce que l\u2019acc\u00e8s aux arts \u00e9tait interdit aux femmes en g\u00e9n\u00e9ral. Aujourd\u2019hui, dans les m\u00e9tiers d\u2019art, la tendance s\u2019est compl\u00e8tement invers\u00e9e : il y a en g\u00e9n\u00e9ral deux fois plus de femmes qui se lancent dans ces m\u00e9tiers que d\u2019hommes, on manque donc aujourd\u2019hui d\u2019hommes dans de nombreux m\u00e9tiers artistiques. La parfumerie n\u2019y \u00e9chappe pas. Peut-\u00eatre est-ce d\u00fb au fait que, dans nos soci\u00e9t\u00e9s occidentales, <\/span>l<\/b><\/span>es hommes doivent se r\u00e9approprier leur part sensible plus f\u00e9minine, ce qui au final, donnera lieu \u00e0 une soci\u00e9t\u00e9 plus \u00e9quilibr\u00e9e et harmonieuse. Les industriels ouverts sur les possibles engagent une politique des ressources humaines qui s\u2019inscrit dans la diversit\u00e9 f\u00e9minin-masculin, mais aussi des origines et de l\u2019\u00e9ducation des uns et des autres. Je dirais que la diversit\u00e9 des personnalit\u00e9s, des \u00e9nergies et des centres d\u2019int\u00e9r\u00eats devrait \u00eatre le ma\u00eetre mot dans le recrutement des parfumeuses et parfumeurs dans les soci\u00e9t\u00e9s de parfumerie. Le plus limitant aujourd\u2019hui est d\u2019\u00eatre capable de cr\u00e9er pour les march\u00e9s les plus dynamiques qui ne se situent plus en Occident. Il y a donc davantage d\u2019opportunit\u00e9s pour des jeunes issus des r\u00e9gions avec le plus grand dynamisme \u00e9conomique. En Occident, \u00e0 nous,\u00a0 parfumeuses et parfumeurs de nous r\u00e9inventer un m\u00e9tier si les grosses soci\u00e9t\u00e9s n\u2019y investissent plus autant. Le march\u00e9 c\u2019est comme la nature : on peut toujours cr\u00e9er sa niche quelque part. Le mondial se confronte tr\u00e8s souvent \u00e0 l\u2019ultra-local. Quand on vise la qualit\u00e9 et le pr\u00e9cis, il y a de la place pour tous les styles. On comprendra donc que ma r\u00e9ponse \u00e0 la question met plus une attention particuli\u00e8re sur la culture et les origines que sur le masculin-f\u00e9minin.<\/span><\/span><\/span><\/p>\n Dans une interview dans le livre Les femmes en parfumerie<\/em>\u00a0de Rafa\u00ebla Capraruolo, pourquoi dites-vous que les femmes et les hommes ont tous deux leurs sensibilit\u00e9s respectives \u00e0 apporter \u00e0 ce m\u00e9tier de parfumerie ?<\/b><\/span><\/span><\/p>\n Dans la diversit\u00e9, on trouve la cr\u00e9ativit\u00e9 tous azimuts. Je pr\u00e9f\u00e8re davantage parler d\u2019\u00e9nergie f\u00e9minine ou masculine car chacun.e balance ces deux \u00e9nergies d\u2019une fa\u00e7on qui lui est propre. En fonction de nos sensibilit\u00e9s propres, nous sommes inspir\u00e9.es par des sujets vari\u00e9s, des ingr\u00e9dients diff\u00e9rents, nous travaillons des intensit\u00e9s diff\u00e9rentes. Encore une fois, plus il y a de diversit\u00e9 chez les cr\u00e9atrices et les cr\u00e9ateurs, plus leurs \u0153uvres seront riches dans leur diversit\u00e9. Le r\u00f4le d\u2019une maison de parfumerie est donc de faire coller la ou le bon.ne cr\u00e9atrice\/cr\u00e9ateur avec le bon projet, pour que la magie de la cr\u00e9ation puisse op\u00e9rer entre le ou la formulatrice\/formulateur de parfums et la\/le porteuse\/porteur de projet. <\/span><\/span><\/p>\n Pour vous, les odeurs sont un langage\u00a0?<\/b><\/span><\/span><\/p>\n Les odeurs sont un lien entre le monde concret et le monde per\u00e7u, imaginaire. Elles sont un lien entre l\u2019invisible, le non-dit et ce que cela nous raconte. Nous sommes des \u00eatres multisensoriels et \u00e0 tout moment, notre cerveau int\u00e8gre les param\u00e8tres sensibles de notre environnement, pour induire des ressentis, des id\u00e9es, des concepts, des visions du monde, voire des actions. Si nous ne pr\u00eatons pas attention aux odeurs, alors elles vont nous influencer de mani\u00e8re subliminale. Dans le travail d\u2019\u00e9volution des consciences, faire attention aux cinq sens et \u00e0 ce que l\u2019on sent, et ressent, fait partie du travail d\u2019\u00eatre dans l\u2019ici et le maintenant, une pr\u00e9sence au monde enti\u00e8rement consciente. Ce n\u2019est que de cette fa\u00e7on que nous pouvons g\u00e9rer nos vies, devenir enti\u00e8rement responsables. De la m\u00eame fa\u00e7on, nous pouvons aussi davantage faire attention \u00e0 \u00ab comment on se sent \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur \u00bb, cela \u00e9viterait beaucoup de burn-out, et cela nous aiderait aussi \u00e0 faire des choix plus appropri\u00e9s dans nos vie, en phase avec ce que nous sommes vraiment et avec ce que nous AIMONS faire de nos journ\u00e9es. <\/span>Si vous \u00eates perdu.es, fatigu\u00e9.es, retournez dans la nature, notre matrice \u00e0 tou.tes. Respirez, humez, touchez, \u00e9coutez, et ressentez ce que cela vous fait \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, l\u00e0 o\u00f9 vous \u00eates roi et reine en votre royaume. La seule v\u00e9rit\u00e9 est celle-l\u00e0. Tout le reste est potentiellement du pipotage…<\/span><\/span><\/span><\/p>\n De plus en plus de jeunes filles souhaitent travailler dans le monde de la parfumerie. Vous \u00eates enseignante dans diff\u00e9rents instituts. Quels conseils leur donnez -vous\u00a0?<\/b><\/span><\/span><\/p>\n Tout d\u2019abord, il faut devenir consciente, pratiquer l\u2019introspection pour savoir ce qui vous int\u00e9resse dans les odeurs, ce qui vous parle, pourquoi vous voulez entrer dans ce monde. Rencontrer des professionnel.les pour voir quels m\u00e9tiers vous attirent dans la parfumerie. De l\u00e0, suivre le fil des possibles, pour viser soit un emploi qui existe en connaissant la limite des places disponibles, soit devenir son ou sa propre patron.ne, ou encore en entamant une d\u00e9marche artistique pour \u00e9tudier ce qui n\u2019a pas encore \u00e9t\u00e9 d\u00e9couvert \u00e0 propos de l\u2019odorat. Gardez en t\u00eate que nous cr\u00e9ons \u00e0 chaque instant le monde dans lequel nous voulons vivre, et chaque personne y participe. Il faut donc oser \u00eatre et explorer\u00a0! Oser entrer dans une d\u00e9marche artistique et la nourrir avec les enseignements qui viendront l\u2019aider \u00e0 trouver sa voie, soit dans une \u00e9cole, soit en combinant plusieurs formations, en cr\u00e9ant son propre chemin de recherche, en combinant ce qui existe et en cr\u00e9ant ce qui n\u2019existe pas encore. Souvent en m\u00e9nageant la ch\u00e8vre et le chou\u00a0: manger mais pouvoir explorer, c\u2019est toujours ainsi que j\u2019ai men\u00e9 ma barque. Parfois avec des nuits blanches…<\/span><\/span><\/p>\n