{"id":31784,"date":"2019-09-26T09:46:58","date_gmt":"2019-09-26T07:46:58","guid":{"rendered":"https:\/\/www.50-50magazine.fr\/?p=31784"},"modified":"2019-10-04T08:59:20","modified_gmt":"2019-10-04T06:59:20","slug":"la-contraception-encore-une-affaire-de-femmes","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/www.50-50magazine.fr\/2019\/09\/26\/la-contraception-encore-une-affaire-de-femmes\/","title":{"rendered":"La contraception, encore une affaire de femmes"},"content":{"rendered":"
Le hastag #PayeTaContraception, lanc\u00e9 par Sabrina Debusquat, autrice des livres J\u2019arr\u00eate la pilule\u00a0<\/em>(2017) et Marre de souffrir pour ma contraception <\/em>(2019), a permis de donner la parole aux femmes sur leur v\u00e9cu en rapport avec la contraception et de visibiliser les difficult\u00e9s que celle-ci entra\u00eene bien souvent. Les t\u00e9moignages qui ont afflu\u00e9 font \u00e9tat de douleurs, de nombreux probl\u00e8mes de sant\u00e9, et souvent de parcours longs et sem\u00e9s d\u2019emb\u00fbches pour trouver une contraception supportable et adapt\u00e9e. Ainsi, on observe depuis quelques ann\u00e9es un recul de l\u2019utilisation de la pilule contraceptive chez les Fran\u00e7aises, particuli\u00e8rement les femmes de 25 \u00e0 29 ans.<\/p>\n Un autre ressenti se d\u00e9gage presque syst\u00e9matiquement\u00a0: celui d\u2019un manque d\u2019\u00e9coute de la part du personnel soignant. Beaucoup de t\u00e9moignages racontent comment des gyn\u00e9cologues ont refus\u00e9 d\u2019adapter leurs prescriptions de contraception aux demandes des femmes, ont minimis\u00e9 leurs douleurs et leurs craintes ou ont ni\u00e9 l\u2019existence d\u2019effets secondaires manifestes sur leur sant\u00e9.<\/p>\n La m\u00e9decine moderne s\u2019est en effet structur\u00e9e autour d\u2019un rapport hi\u00e9rarchique dans lequel le m\u00e9decin est le \u00absachant\u00bb, ce qui implique que les patient.e.s sont mis.es en situation d\u2019inf\u00e9riorit\u00e9 et que les soignants n\u2019apprennent pas n\u00e9cessairement \u00e0 expliquer leurs actes, \u00e0 s\u2019informer sur le ressenti des patient.e.s et \u00e0 adapter la prescription \u00e0 leurs besoins.<\/p>\n L\u2019ensemble des t\u00e9moignages partag\u00e9s permet de mettre en lumi\u00e8re le caract\u00e8re syst\u00e9mique de ces exp\u00e9riences douloureuses, et au-del\u00e0 des situations individuelles, un ph\u00e9nom\u00e8ne structurel, de d\u00e9responsabilisation des hommes vis-\u00e0-vis de la contraception et de d\u00e9sint\u00e9r\u00eat global pour la sant\u00e9 et le bien-\u00eatre des femmes.<\/p>\n Cependant, puisque la conqu\u00eate du droit \u00e0 la contraception a \u00e9t\u00e9 un tournant si d\u00e9cisif dans la lutte pour les droits des femmes, critiquer ses effets secondaires est souvent mal vu, comme si l\u2019on ne pouvait avoir le choix qu\u2019entre se contenter de la contraception telle qu\u2019elle existe actuellement, malgr\u00e9 les r\u00e9els probl\u00e8mes qu\u2019elle peut entra\u00eener, ou ne pas avoir de contraception du tout.<\/p>\n Au sein du corps m\u00e9dical, le discours dominant est que les contraceptions hormonales non seulement n\u2019ont pas d\u2019effet n\u00e9gatif sur la sant\u00e9, mais encore qu\u2019elles soignent des maladies, voire qu\u2019elles aident les femmes \u00e0 \u00ab\u00a0se r\u00e9guler\u00a0\u00bb, comme si leur corps devait \u00eatre apprivois\u00e9 par des dosages d\u2019hormones pour fonctionner normalement. Les rapports du CNGOF (Coll\u00e8ge National des Gyn\u00e9cologues et Obst\u00e9triciens Fran\u00e7ais) par exemple ne cachent pas un parti pris assum\u00e9, en qualifiant les risques de d\u00e9pression, chute de libido, etc. de \u00abfausses inqui\u00e9tudes et id\u00e9es re\u00e7ues\u00bb et affirmant que la pilule contraceptive \u00abpourrait m\u00eame contribuer \u00e0 sauver des vies\u00bb.<\/a><\/p>\n Face au discours dominant, qui est rab\u00e2ch\u00e9 aux soignants tout au long de leur formation et de leur carri\u00e8re, les voix discordantes peinent \u00e0 se faire entendre, alors qu\u2019elles soul\u00e8vent des probl\u00e9matiques importantes.<\/p>\n Tout d\u2019abord, la contraception repr\u00e9sente une charge mentale cons\u00e9quente, avec une prise tous les soirs \u00e0 heure fixe dans le cas de la pilule, la prise de rendez-vous r\u00e9guliers pour la prescription ou le suivi chez un.e gyn\u00e9cologue ou un.e sage-femme, le rachat de contraception \u00e0 \u00e9ch\u00e9ance, etc. Cette charge mentale incombe syst\u00e9matiquement aux femmes, en l\u2019absence de m\u00e9thodes contraceptives accessibles aux hommes.<\/p>\n La contraception repr\u00e9sente \u00e9galement une charge financi\u00e8re, puisque la plupart des contraceptions ne sont pas rembours\u00e9es, \u00e0 savoir\u00a0: la plupart des pr\u00e9servatifs masculins, les pr\u00e9servatifs f\u00e9minins, la plupart des pilules, les anneaux vaginaux, patchs contraceptifs et spermicides. Certaines contraceptions sont rembours\u00e9es \u00e0 65\u00a0% par la S\u00e9curit\u00e9 sociale (certaines pilules, le st\u00e9rilet et l\u2019implant contraceptif). Pour une m\u00eame contraception, il existe des \u00e9carts de prix importants d\u2019une pharmacie \u00e0 l\u2019autre. Par exemple, pour la pilule Diane 35, les prix peuvent aller de 7,50\u00a0euros \u00e0 36,70\u00a0euros pour un peu moins de trois mois de traitement.<\/p>\n La contraception a enfin un impact bien r\u00e9el sur la sant\u00e9 et le bien-\u00eatre des femmes. Les contraceptions hormonales entra\u00eenent quantit\u00e9 d\u2019effets secondaires, dont certains sont graves, quoique relativement rares\u00a0: hausse significative des risques de d\u00e9pression, augmentation du risque de cancer du col de l\u2019ut\u00e9rus, augmentation du risque d\u2019accident cardio-vasculaire (concernant les pilules oestroprogestatives), augmentation du risque d\u2019embolie pulmonaire et d\u2019accident art\u00e9riel. En outre, les hormones contraceptives sont reconnues comme \u00e9tant des perturbateurs endocriniens puissants,<\/p>\n D\u2019autres effets secondaires des contraceptions hormonales sont beaucoup plus courants\u00a0: crises d\u2019acn\u00e9, prise de poids importante et rapide, douleurs, migraines, diminution voire disparition de la libido, fatigue, chute de cheveux, etc. Face au manque d\u2019alternatives viables \u00e0 la contraception hormonale, les femmes se retrouvent souvent oblig\u00e9es de choisir entre les effets secondaires qu\u2019entra\u00eenent les diff\u00e9rents modes de contraception, et de s\u2019en contenter.<\/p>\n Cette charge et ses effets incombent syst\u00e9matiquement aux femmes dans la mesure o\u00f9 la contraception masculine est aujourd\u2019hui tr\u00e8s peu d\u00e9velopp\u00e9e. Exception faire des pr\u00e9servatifs masculins, dont la conception n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 am\u00e9lior\u00e9e depuis leur cr\u00e9ation alors qu\u2019elle est loin d\u2019\u00eatre optimale, aucune contraception ne leur est propos\u00e9e. La vasectomie, ou st\u00e9rilisation\u00a0masculine, n\u2019est utilis\u00e9e qu\u2019\u00e0 la marge, g\u00e9n\u00e9ralement par des hommes de plus de 50 ans. Contrairement aux femmes, dont la sant\u00e9 sexuelle est suivie par des gyn\u00e9cologues tout au long de leur vie, la majorit\u00e9 des hommes n\u2019a jamais consult\u00e9 un andrologue, ce qui peut d\u2019ailleurs retarder la d\u00e9tection de maladies et infections sexuellement transmissibles.<\/p>\n De rares recherches se penchent depuis quelques ann\u00e9es sur le d\u00e9veloppement d\u2019une pilule contraceptive pour hommes. L\u2019une d\u2019elles avait \u00e9t\u00e9 abandonn\u00e9e en 2016, parce que les sujets avaient d\u00e9velopp\u00e9 des effets secondaires, \u00e0 savoir\u00a0des crises d\u2019acn\u00e9, des troubles de l\u2019humeur et des douleurs, effets secondaires dont les femmes sous contraception hormonale font l\u2019exp\u00e9rience depuis qu\u2019elles existent. Ces recherches ne re\u00e7oivent d\u2019ailleurs pas suffisamment de financements pour aboutir.<\/p>\n De plus, il existe des r\u00e9sistances de la part de nombreux hommes au fait de porter des pr\u00e9servatifs, au motif notamment d\u2019une diminution du plaisir sexuel. Une pratique appel\u00e9e le \u00abstealthing\u00bb avait d\u2019ailleurs connu une m\u00e9diatisation suite \u00e0 une \u00e9tude d\u2019Alexandra Brodsky, qui cherchait \u00e0 qualifier juridiquement cette pratique au sujet de laquelle elle avait collect\u00e9 de nombreux t\u00e9moignages. Il s\u2019agit, pour le partenaire masculin, de retirer le pr\u00e9servatif pendant la p\u00e9n\u00e9tration, sans en informer son ou sa partenaire (et donc, sans son consentement). Cette pratique s\u2019apparente de fait \u00e0 un viol, puisqu\u2019il y a p\u00e9n\u00e9tration non prot\u00e9g\u00e9e par surprise.<\/p>\n Concernant la contraception, les hommes (ayant des relations sexuelles avec des femmes) sont d\u00e9responsabilis\u00e9s, comme si la possibilit\u00e9 d\u2019une grossesse ne les concernait pas. En attendant le d\u00e9veloppement des contraceptions masculines, les hommes ayant des relations h\u00e9t\u00e9rosexuelles peuvent pourtant d\u00e9j\u00e0 prendre part \u00e0 la gestion de la contraception, en proposant \u00e0 leur partenaire de prendre en charge la moiti\u00e9 du prix de la contraception, de l\u2019accompagner aux rendez-vous gyn\u00e9cologiques si elles le souhaitent, de r\u00e9gler une alarme au moment de la prise de la contraception pour leur rappeler, etc.<\/p>\n Il existe un r\u00e9el manque d\u2019information sur les diff\u00e9rents modes de contraception existants, ainsi que des fausses notions, dont certaines sont partag\u00e9es par une partie du corps m\u00e9dical, comme l\u2019id\u00e9e que le st\u00e9rilet ne peut pas \u00eatre pos\u00e9 sur une femme nullipare (n\u2019ayant pas eu d\u2019enfants), ou qu\u2019il est n\u00e9cessaire de faire des frottis tous les ans.<\/p>\n Le m\u00e9decin Martin Winckler, parrain du projet \u00abSexisme, pas notre genre\u00bb explique que beaucoup de gyn\u00e9cologues pratiquent des actes non-n\u00e9cessaires, comme les examens gyn\u00e9cologiques ou les examens des seins \u00e0 chaque renouvellement de prescription contraceptive. Les frottis de d\u00e9pistage du cancer du col de l\u2019ut\u00e9rus sont \u00e9galement superflus\u00a0avant 25 ans selon lui, apr\u00e8s quoi il est inutile d\u2019en faire plus d\u2019un tous les trois ans<\/a>. Il insiste en outre pour que le choix de la contraception soit fait librement par les patientes, une fois inform\u00e9es de toutes les options qui se pr\u00e9sentent \u00e0 elles, et non impos\u00e9 par les soignants.<\/p>\n La contraception touche \u00e0 plusieurs enjeux essentiels et imbriqu\u00e9s\u00a0: la sant\u00e9 et les droits des femmes, le rapport de la soci\u00e9t\u00e9 au corps, les relations entre soignant.es et patiente.s en m\u00e9decine, et l\u2019\u00e9galit\u00e9 entre les femmes et les hommes. Une prise en charge efficace de ces enjeux suppose des \u00e9volutions importantes dans la soci\u00e9t\u00e9, et un soutien effectif des pouvoirs publics.<\/p>\n Plusieurs efforts restent \u00e0 faire\u00a0: afin de minimiser les effets secondaires de la contraception qui p\u00e8sent sur les femmes et d\u00e9gradent leurs conditions de vie et leur sant\u00e9, il est primordial de financer des recherches sur les contraceptions, f\u00e9minines et masculines, hormonales et non hormonales. Un travail d\u2019information et de conscientisation doit \u00e9galement \u00eatre entrepris, pour les filles comme pour les gar\u00e7ons, dans la mesure o\u00f9 les efforts de sensibilisation qui sont actuellement r\u00e9alis\u00e9s ne permettent pas une co-responsabilisation efficace des gar\u00e7ons et des hommes.<\/p>\n Julie Papon-Bagn\u00e8s, <\/strong><\/p>\n Article publi\u00e9 dans le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles Infos<\/strong><\/a><\/p>\n Le 26 septembre, est la\u00a0Journ\u00e9e mondiale\u00a0de la\u00a0contraception<\/p>\n