Agn\u00e8s Varda a pr\u00e9sent\u00e9 son cin\u00e9ma comme \u00abune rencontre de possibilit\u00e9s\u00bb. <\/em>En effet, elle \u00e9tait toujours l\u00e0 quand il se passait quelque chose, mais aussi quand il ne se passait rien, croit-on. Alors, quels mots poser sur toutes ces m\u00e9tamorphoses, ces germinations, ces explorations\u00a0?<\/strong><\/p>\n Disponibilit\u00e9<\/strong><\/p>\n Notre r\u00e9alisatrice a un rapport au r\u00e9el qui laisse toute sa place au hasard, \u00e0 ce qui \u00e9chappe \u00e0 son intention, \u00e0 son projet. Quand elle fait des rep\u00e9rages, toujours seule, elle observe les lieux, les couleurs, bavarde longuement avec des gens dits ordinaires qui, peut-\u00eatre, entreront dans son film, ou pas. Dans sa Le\u00e7on de cin\u00e9ma<\/em>, film\u00e9e en 1998 au Festival International de Films de Femmes de Cr\u00e9teil et projet\u00e9e \u00e0 nouveau cette ann\u00e9e le lendemain de sa mort, elle nous raconte que lors du tournage de Cl\u00e9o de 5 \u00e0 7,<\/em> elle attrapait au vol des sc\u00e8nes de rues, mais c\u2019est au montage qu\u2019elle d\u00e9cidait de les conserver ou non. Plus \u00e9tonnant encore, lors d\u2019un tournage d\u2019un film, voici qu\u2019appara\u00eet, sortant d\u2019un camion-loge du magazine \u00ab\u00a0Elle\u00a0\u00bb, Fanny Ardant, dans une magnifique robe rouge. Aussit\u00f4t, elle lui demande de faire une petite sc\u00e8ne avec la com\u00e9dienne, \u00abtrois heures apr\u00e8s, c\u2019\u00e9tait dans la bo\u00eete.\u00bb <\/em><\/p>\n Femmes<\/strong><\/p>\n Agn\u00e8s Varda n\u2019\u00e9pingle jamais ses h\u00e9ro\u00efnes dans les cat\u00e9gories pr\u00e9\u00e9tablies du cin\u00e9ma dominant. Ce n\u2019est jamais \u00absois belle et tais-toi.\u00bb Au contraire, elle leur laisse un espace de libert\u00e9. Ainsi Cl\u00e9o (Cl\u00e9o de 5 \u00e0 7<\/em>) va passer du statut d’objet regard\u00e9 \u00e0 celui de sujet. Plus qu\u2019un film sur la mort (Cl\u00e9o craint d\u2019avoir un cancer et le jeune homme rencontr\u00e9 \u00e0 la fin part pour la guerre en Alg\u00e9rie), c\u2019est l\u2019histoire d\u2019une transformation. Cl\u00e9o, chanteuse de petit renom, cesse de se regarder, d\u2019\u00eatre pi\u00e9g\u00e9e dans le regard des autres. Elle s\u2019ouvre sur le monde ext\u00e9rieur, sur les arbres d\u2019un parc, comme emport\u00e9e dans une caravelle vers d\u2019autres pays car les arbres, eux aussi, voyagent. Plus tard, dans les ann\u00e9es 1970, la cin\u00e9aste accompagne le f\u00e9minisme joyeux de l\u2019\u00e9poque\u00a0: L\u2019une chante et l\u2019autre pas<\/em>.<\/p>\n Quant \u00e0 Mona, la jeune vagabonde de\u00a0Sans toit ni loi<\/em>, elle \u00e9chappe \u00e0 l\u2019omnipotence de la vision patriarcale. Agn\u00e8s Varda pose, au contraire, un regard interrogateur sur la repr\u00e9sentation de \u00abla f\u00e9minit\u00e9.\u00bb La fragmentation du r\u00e9cit, les commentaires divergents ou contradictoires que l\u2019on fait sur elle, cr\u00e9ent un film puzzle qui \u00e9branle la psychologie des personnages des films traditionnels et les normes corporelles qui p\u00e8sent tout particuli\u00e8rement sur les femmes. Mona nous \u00e9chappe comme elle \u00e9chappe \u00e0 la cam\u00e9ra qui la laisse sortir du champ pour se poser sur un arbre, une maison, un paysage\u2026<\/p>\n Voyages 1962<\/strong><\/p>\n Agn\u00e8s Varda d\u00e9barque \u00e0 Cuba o\u00f9 elle a \u00e9t\u00e9 invit\u00e9e, elle y photographie tout\u00a0: les coupeurs de canne, les danseuses, Fidel Castro, les brigades d\u2019alphab\u00e9tisation. A son retour, ses photos deviennent un film\u00a0: Salut les Cubains<\/em>. Projet\u00e9 de nouveau il y a quelques ann\u00e9es, il nous emporte encore dans son rythme effr\u00e9n\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 un montage \u00e9tonnant au rythme d\u2019une musique tr\u00e9pidante. 1968, la voici en Californie qui offrait \u00e0 l\u2019\u00e9poque un grand remue-m\u00e9nage d\u2019id\u00e9es. \u00ab\u00c7a m\u2019a \u00e9clat\u00e9 l\u2019esprit\u00bb, <\/em>dit-elle. De cette \u00e9poque, elle rapportera plusieurs documentaires dont Lions Love<\/em>\u00a0et Black Panthers<\/em>. S\u2019ouvrir au monde, c\u2019est aussi le parcourir \u00e0 travers les films des autres\u00a0: elle est venue plusieurs fois au Festival International de Films de Femmes de Cr\u00e9teil pour d\u00e9couvrir des pionni\u00e8res et des r\u00e9alisatrices du monde entier.<\/p>\n Marges<\/strong><\/p>\n Agn\u00e8s Varda a le regard aiguis\u00e9 pour d\u00e9couvrir ce qui est habituellement rejet\u00e9 sur le plan humain et esth\u00e9tique. Et voici la glaneuse \u00e0 la rencontre des glaneurs de notre temps, les femmes et les hommes qui, par n\u00e9cessit\u00e9, ramassent ou cueillent ce qui est consid\u00e9r\u00e9 comme du rebut. Qu\u2019est-ce que le rebut\u00a0? Tout ce qui n\u2019est pas aux normes, fix\u00e9es par qui\u00a0? Au profit de qui\u00a0? Ce sont, par exemple, les pommes-de-terre\u00a0: les trop grosses, les trop petites, les difformes c\u2019est-\u00e0-dire les plus belles, celles en forme de c\u0153ur. Qui, mieux qu\u2019elle, a su m\u00e9tamorphoser une patate germ\u00e9e en oiseau de paradis\u00a0? Au hasard des rencontres, elle prend le temps d\u2019\u00e9couter les paroles de ces glaneuses, de ces glaneurs, ces exclu.es qui, mine de rien, retournent comme un gant la vision des inclus.es.<\/p>\n Temps<\/strong><\/p>\n Dans le documentaire Les glaneurs et la glaneuse<\/em>, il y a une s\u00e9quence \u00e9tonnante o\u00f9 Agn\u00e8s Varda, avec sa petite cam\u00e9ra num\u00e9rique, prend une s\u00e9rie de gros plans sur son visage, sur ses mains rid\u00e9es, ce qui l\u2019am\u00e8ne \u00e0 une r\u00e9flexion entre m\u00e9lancolie et humour sur le temps qui passe\u00a0: \u00abNon, non ce n\u2019est pas. O rage, \u00f4 d\u00e9sespoir, \u00f4 vieillesse ennemie. Mais tout de m\u00eame, il y a mes cheveux, mes mains qui me disent que c\u2019est bient\u00f4t la fin.\u00bb <\/em>Puis, soudain, sans transition, la voici dans une voiture\u00a0: \u00abbon, pour le moment nous roulons vers la Beauce.\u00bb <\/em><\/p>\n Cette fa\u00e7on de rebondir, cet esprit vagabond, on les retrouve dans son installation pr\u00e9sent\u00e9e \u00e0 Paris\u00a0L\u2019Ile et elle<\/em>\u00a0(l\u2019\u00eele c\u2019est Noirmoutier). Dans un entrelac d\u2019objets, de textes, d\u2019images fixes ou mobiles, elle donne forme \u00e0 son \u00e9motion, entre m\u00e9lancolie et bonne humeur, entre vagues noires et vagues bleues. Elle nous emporte au gr\u00e9 des souvenirs, des mar\u00e9es. Il y a d\u2019abord les joies de la plage, les tongs m\u00e9tamorphos\u00e9es en objets de luxe, serties dans des bou\u00e9es multicolores qui riment avec les balles de ping-pong envoy\u00e9es entre les mains d\u2019un musicien. C\u2019est une farandole de sons, de couleurs dans un \u00e9ternel \u00e9t\u00e9.<\/p>\n Mais le temps reprend ses droits et dans les salles suivantes la mort r\u00f4de. Il y a le tombeau de sa chatte tr\u00e8s li\u00e9e \u00e0 l\u2019histoire de sa famille et \u00e0 ses films. Mais ce petit tumulus n\u2019est pas triste du tout\u00a0: il appara\u00eet recouvert de coquillages multicolores. En continuant le voyage, on d\u00e9couvre les veuves de Noirmoutier ou la main de Jacques Demy, son mari, peu de temps avant sa mort, qui laisse glisser du sable entre ses doigts. Puis, son regard bleuit. Au loin la mer s\u2019est retir\u00e9e. Sur la plage, Agn\u00e8s est assise sur une chaise, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019elle, une chaise vide, toute bleue. Le deuil est bleu et bleus les mimosas \u2026<\/p>\n <\/p>\n Marie-Jos\u00e9e Salmon, R\u00e9seau F\u00e9ministe \u00ab\u00a0Ruptures\u00a0\u00bb\u00a0<\/strong><\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Agn\u00e8s Varda a pr\u00e9sent\u00e9 son cin\u00e9ma comme \u00abune rencontre de possibilit\u00e9s\u00bb. En effet, elle \u00e9tait toujours l\u00e0 quand il se passait quelque chose, mais aussi quand il ne se passait rien, croit-on. Alors, quels mots poser sur toutes ces m\u00e9tamorphoses, ces germinations, ces explorations\u00a0? Disponibilit\u00e9 Notre r\u00e9alisatrice a un rapport au r\u00e9el qui laisse toute […]<\/p>\n","protected":false},"author":2,"featured_media":0,"comment_status":"closed","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":[],"categories":[117,12,23],"tags":[22],"yoast_head":"\n