Les revendications en faveur de la f\u00e9minisation de la vie politique apparaissent dans les ann\u00e9es 1990. L\u2019un des arguments \u00e9voqu\u00e9s \u00e9nonce que les femmes seraient porteuses d’une autre mani\u00e8re de faire de la politique, plus pragmatique, plus proche des \u00e9lecteurs, \u00e0 leur \u00e9coute. Alors qu’une abstention r\u00e9currente se manifeste \u00e0 chaque \u00e9lection \u2013 bien que dans des proportions variables -, pr\u00e9senter des femmes serait un gage de modernit\u00e9, de renouvellement politique susceptible d’attirer l’\u00e9lectorat.<\/p>\n
Lors des premi\u00e8res \u00e9lections soumises aux lois dites \u00ab\u00a0sur la parit\u00e9\u00a0\u00bb, au d\u00e9but des ann\u00e9es 2000 (municipales en 2001, r\u00e9gionales en 2004), ces croyances dans les vertus suppos\u00e9es des femmes transparaissent dans les discours des candidat-e-s, quelle que soit leur tendance politique. Les psychosociologues nomment \u00ab\u00a0contre-st\u00e9r\u00e9otype\u00a0\u00bb cette attitude. Elle consiste \u00e0 opposer un st\u00e9r\u00e9otype positif (les femmes peuvent r\u00e9-enchanter la politique) \u00e0 un st\u00e9r\u00e9otype n\u00e9gatif (les femmes ne sont pas faites pour la politique), sans pour autant faire dispara\u00eetre les id\u00e9es re\u00e7ues\u00a0sur chaque sexe. Or, des \u00e9tudes r\u00e9v\u00e8lent que les vertus attribu\u00e9es aux femmes caract\u00e9risent plus largement les candidats novices (1): la m\u00e9connaissance du milieu politique les conduit \u00e0 se replier sur les activit\u00e9s ext\u00e9rieures, au contact des \u00e9lecteurs, au d\u00e9triment des coulisses de la politique (confection des listes de candidats, n\u00e9gociations avec les partis, etc.). Les leaders, de leur c\u00f4t\u00e9, ne cherchent pas n\u00e9cessairement \u00e0 les initier. Leur int\u00e9r\u00eat est de mettre sur sc\u00e8ne des novices, notamment des femmes pour qu’elles s\u00e9duisent l’\u00e9lectorat et attestent du renouvellement d\u00e9mocratique.<\/p>\n
Les femmes, des candidates au m\u00eame titre que les hommes ?\u00a0<\/strong><\/p>\n Pass\u00e9es les premi\u00e8res \u00e9lections paritaires, la pr\u00e9sence des femmes se banalise. Les lois s’\u00e9tendent et se renforcent. Il serait malhonn\u00eate pour les leaders politiques de faire passer pour une attitude volontaire une f\u00e9minisation des candidatures contrainte par le code \u00e9lectoral. Pour autant, les femmes sont-elles devenues des candidates au m\u00eame titre que les hommes\u00a0?<\/p>\n L’analyse de campagnes plus r\u00e9centes montre qu’il n’en est rien. Le contre-st\u00e9r\u00e9otype valorisant les candidatures de femmes s’applique toujours, bien qu’avec parcimonie et de mani\u00e8re sp\u00e9cifique selon les tendances politiques. Par exemple, lors des \u00e9lections de 2010 que j’ai observ\u00e9es dans l’une des 22 r\u00e9gions, la liste socialiste relaie l’id\u00e9e du renouvellement politique par les femmes. Des candidates novices montent \u00e0 la tribune et interviennent. L\u2019une d\u2019entre elles s’esclaffe face au public\u00a0: \u00ab\u00a0La femme est l’avenir de l’homme\u00a0\u00bb tandis que les candidates de l\u2019\u00e9quipe sortante, pourtant nombreuses, se cantonnent aux premiers rangs dans le public, applaudissant sans pouvoir manifester les comp\u00e9tences qu’elles ont acquises durant leur premier mandat. En pr\u00e9sentant essentiellement des femmes novices sur sc\u00e8ne, accompagn\u00e9es des t\u00eates de listes qui restent le plus souvent des hommes exp\u00e9riment\u00e9s, on entretient symboliquement l’id\u00e9e que les femmes sont moins comp\u00e9tentes que les hommes. Le sexe des orateurs est la seule diff\u00e9rence imm\u00e9diatement perceptible par le public pour expliquer les discours de niveaux diff\u00e9rents\u00a0: celui des novices est plus souvent h\u00e9sitant, court ou timide que celui des plus exp\u00e9riment\u00e9s. Le feu des projecteurs n\u2019atteint pas les femmes d\u2019exp\u00e9rience qui pourraient s\u2019exprimer avec autant d\u2019aplomb que les hommes.<\/p>\n Autre nouveaut\u00e9, alors que les candidates risquent de se banaliser, les socialistes privil\u00e9gient celles cumulant les signes d’alt\u00e9rit\u00e9\u00a0: ils s\u00e9lectionnent des femmes novices, relativement jeunes (une trentaine d’ann\u00e9es), d’origine ethnique non-europ\u00e9enne, en particulier maghr\u00e9bine ou subsaharienne. Symboliquement toujours, ils propulsent ces jeunes femmes en deuxi\u00e8me position sur les listes, derri\u00e8re le leader qui demeure le plus souvent un homme, blanc, \u00e2g\u00e9s et hyper-exp\u00e9riment\u00e9. Dans cette r\u00e9gion, la tactique se renouvelle lors des \u00e9lections de 2015.<\/p>\n Les strat\u00e9gies de renouvellement selon les partis<\/strong><\/p>\n Les socialistes restent les seuls \u00e0 jouer explicitement la carte du renouvellement politique par les femmes. Lors des r\u00e9unions de campagne de la liste de l’UMP alli\u00e9e au Nouveau-Centre, de jeunes novices apparaissent sur sc\u00e8ne, aux c\u00f4t\u00e9s de candidats grisonnants et exp\u00e9riment\u00e9s. La strat\u00e9gie du renouvellement est \u00e9voqu\u00e9e dans quelques discours, mais elle concerne autant les hommes que les femmes. Il s\u2019agit plus g\u00e9n\u00e9ralement de faire \u00e9merger une nouvelle g\u00e9n\u00e9ration d’\u00e9lus de droite. Enfin, des candidats d\u2019autres listes ne manifestent aucun discours sp\u00e9cifique quant \u00e0 la f\u00e9minisation des listes \u00e9lectorales. Les femmes candidatent au m\u00eame titre que les hommes. Par exemple, la liste du Front de gauche revendique la participation des citoyens, hommes ou femmes, \u00e0 la vie politique. Ils privil\u00e9gient les candidatures de novices et d\u00e9noncent les pratiques des professionnels de la politique suppos\u00e9s coup\u00e9s des pr\u00e9occupations quotidiennes. Autre exemple, la liste EELV pour sa part, revendique une parit\u00e9, non pas de sexe, mais entre les militants et la\u00a0soci\u00e9t\u00e9 civile. L’objectif est de confirmer l’ouverture entreprise en 2009 lors des \u00e9lections europ\u00e9ennes, qui a permis \u00e0 la tendance politique d’\u00e9galer les scores des socialistes.<\/p>\n Ces trois listes ne mobilisent pas explicitement les st\u00e9r\u00e9otypes associ\u00e9s aux femmes car le contexte ne s’y pr\u00eate pas. Les candidats de l\u2019UMP alli\u00e9e au Nouveau Centre d\u00e9clarent promouvoir une nouvelle g\u00e9n\u00e9ration d\u2019\u00e9lus hommes et femmes car ils sont confront\u00e9s au retrait de leur leader historique, un notable local, ancien ministre et \u00e9lu d\u00e9put\u00e9 depuis les ann\u00e9es 1960. C\u2019est l\u2019occasion de faire \u00e9merger quelques novices. De m\u00eame, EELV et le Front de gauche sont des mouvements r\u00e9cents en 2010\u00a0: ils ne disposent pas d’\u00e9lus \u00e9tablis de longue date. Tout candidat, quel que soit le sexe, est susceptible d’incarner le renouveau. Pourtant, dans d\u2019autres contextes comme les \u00e9lections l\u00e9gislatives de 2012 que j\u2019ai observ\u00e9es dans une circonscription rurale, la strat\u00e9gie diff\u00e8re. Le parti EELV nomme une jeune femme novice. Il se distingue ainsi de ses concurrents qui ont d\u00e9sign\u00e9 pour la plupart des hommes \u00e2g\u00e9s et\/ou exp\u00e9riment\u00e9es. Lorsque les militants pr\u00e9sentent la candidate, ils mentionnent qu\u2019elle repr\u00e9sente le renouvellement, par sa jeunesse et aussi son sexe. Des st\u00e9r\u00e9otypes transparaissent lors des r\u00e9unions publiques. Par exemple, le suppl\u00e9ant \u2013 un \u00e9lu local \u2013 d\u00e9clare \u00e0 l\u2019une de ces occasions que \u00ab\u00a0c\u2019est important d\u2019avoir des femmes en politique car elles ont une vision sp\u00e9cifique de la vie\u00a0; elles font moins de b\u00eatises\u00a0\u00bb.<\/p>\n Entretenir l\u2019id\u00e9e que les femmes changeraient la vie politique gr\u00e2ce \u00e0 des vertus suppos\u00e9es propres \u00e0 leur sexe est un st\u00e9r\u00e9otype qui les incite insidieusement \u00e0 se confiner dans des attitudes de care<\/em> (soin, \u00e9coute et attention envers autrui). Or, celles-ci permettent difficilement de s’imposer en politique, un milieu o\u00f9 il faut aussi savoir \u00ab\u00a0jouer des coudes\u00a0\u00bb et parfois d\u00e9velopper un v\u00e9ritable\u00a0\u00ab\u00a0instinct de tueur\u00a0\u00bb envers ses concurrents pour atteindre les plus hautes fonctions.<\/p>\n Maud Navarre – sociologue<\/strong><\/p>\n Cet article se fonde sur l’enqu\u00eate r\u00e9alis\u00e9e pour mon doctorat de sociologie. Les conclusions de l\u2019\u00e9tude – consacr\u00e9e plus largement aux carri\u00e8res des femmes politiques – ont \u00e9t\u00e9 publi\u00e9es dans le livre Devenir \u00e9lue. Genre et carri\u00e8re politique<\/em> (Presses universitaires de Rennes, 2015).<\/p>\n 1 C. Guionnet, \u00ab\u00a0Entr\u00e9es de femmes en politique. L’irr\u00e9ductibilit\u00e9 du genre \u00e0 l’heure de la parit\u00e9\u00a0\u00bb, Politix<\/em>, 60, 2002<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Aujourd’hui, des lois dites \u00ab\u00a0sur la parit\u00e9\u00a0\u00bb contraignent les partis politiques \u00e0 pr\u00e9senter des femmes candidates lors des diff\u00e9rentes \u00e9lections. Pourtant, chacun s\u2019accommode \u00e0 sa mani\u00e8re de cette contrainte. Selon le contexte de l\u2019\u00e9lection (locale\/nationale) et le comportement des adversaires, certains d\u00e9finissent une strat\u00e9gie de campagne \u00e0 partir de la f\u00e9minisation des candidatures, d\u2019autres non. […]<\/p>\n","protected":false},"author":2,"featured_media":0,"comment_status":"closed","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":[],"categories":[117,12,23],"tags":[9,10],"yoast_head":"\n