<\/p>\n
<\/p>\n
Ce qui m’a le plus marqu\u00e9, c’est son f\u00e9minisme en acte. Ir\u00e8ne Joliot-Curie ne th\u00e9orise pas le f\u00e9minisme, mais, au nom de l\u2019\u00e9galit\u00e9 des femmes et des hommes, elle a de r\u00e9elles intuitions politiques. A l\u2019oppos\u00e9 de sa m\u00e8re qui reste discr\u00e8te et refuse de prendre position publiquement, Ir\u00e8ne d\u00e9fend d\u00e8s 1914 le droit des femmes \u00e0 voter.
\nEn juin 1936, avec la victoire \u00e9lectorale du Front populaire, elle est nomm\u00e9e ministre de la Recherche par L\u00e9on Blum\u00a0: l\u2019appellation officielle est sous-secr\u00e9taire d\u2019Etat. Le texte officiel mentionne bien le double patronyme qu\u2019elle a r\u00e9ussi \u00e0 imposer\u00a0: Joliot-Curie, ce qui est in\u00e9dit. Les deux autres femmes ministres sont Suzanne Lacore \u00e0 la Protection de l\u2019Enfance et C\u00e9cile Brunschvicg \u00e0 l\u2019\u00c9ducation nationale, deux minist\u00e8res f\u00e9minins. Elles sont les trois premi\u00e8res femmes ministres fran\u00e7aises, mais Ir\u00e8ne Joliot-Curie doit patienter plusieurs semaines pour s\u2019installer car elle n’a ni bureau, ni secr\u00e9taire, ni moyens. Son ministre de tutelle est le radical Jean Zay tr\u00e8s soucieux de tout contr\u00f4ler. Lorsqu’elle lui annonce qu’elle va parler des femmes \u00e0 la radio, il lui demande de n’en rien faire. Elle passe outre son avis et d\u00e9clare: \u00ab J’ai accept\u00e9 ce poste pour faire avancer la cause des femmes. \u00bb J’ajoute que son mari Fr\u00e9d\u00e9ric n\u2019est pas ravi par sa nomination \u00e0 la fois \u00e0 cause de son \u00e9tat de sant\u00e9 et aussi parce que il pensait qu\u2019elle n\u2019avait pas l\u2019\u00e9toffe de la fonction! Ir\u00e8ne \u00e9tant mari\u00e9e, elle est mineure juridique et th\u00e9oriquement l\u2019accord de Fr\u00e9d\u00e9ric \u00e9tait n\u00e9cessaire pour la nommer ministre, accord que bien \u00e9videmment elle refusa de demander.
\nIr\u00e8ne Joliot-Curie est une f\u00e9ministe militante. Pour elle le plus important pour arriver \u00e0 l’\u00e9galit\u00e9 entre les femmes et les hommes est le droit au travail, plus encore que le droit de vote, surtout au moment de la crise des ann\u00e9es trente qui affecte particuli\u00e8rement les femmes. Ainsi les d\u00e9crets lois Laval de 1935, abaissent les indemnit\u00e9s des femmes mari\u00e9es et limitent le recrutement de nouveaux fonctionnaires aux seuls hommes. Sans nier que le droit de vote des femmes soit indispensable et in\u00e9luctable, Ir\u00e8ne Joliot-Curie pense que l\u2019ind\u00e9pendance financi\u00e8re et \u00e9conomique des femmes est un principe cardinal. Certes elle consid\u00e8re que les obligations familiales \u00e9choient aux \u00e9pouses et m\u00e8res, mais que l\u2019\u00e9ducation des enfants rel\u00e8ve d\u2019une \u00e9troite collaboration du p\u00e8re et de la m\u00e8re.
\nAutre intuition f\u00e9ministe\u00a0: Ir\u00e8ne Joliot-Curie d\u00e9fend, d\u00e8s 1944, l\u2019id\u00e9e que le corps des femmes leur appartient, d\u2019o\u00f9 son affirmation \u00ab\u00a0de la libert\u00e9 de la procr\u00e9ation f\u00e9minine\u00a0\u00bb, m\u00eame si son compagnonnage avec le Parti communiste la conduit \u00e0 mettre en sourdine cette position apr\u00e8s 1946.<\/p>\n
Ir\u00e8ne Joliot-Curie obtient sa th\u00e8se de doctorat en 1925 sur \u00ab\u00a0le rayonnement alpha du polonium\u00a0\u00bb mais elle n’obtiendra un poste de ma\u00eetresse de conf\u00e9rence \u00e0 la Facult\u00e9 de Paris qu’en 1937 et un poste de professeure titulaire d\u2019une chaire qu\u2019en 1946 seulement. Si l’on compare sa carri\u00e8re \u00e0 celle de Fr\u00e9d\u00e9ric son mari, les diff\u00e9rences sont \u00e9videntes. Fr\u00e9d\u00e9ric passe sa th\u00e8se en 1930, devient ma\u00eetre de conf\u00e9rence en 1935 et professeur titulaire de la chaire de chimie nucl\u00e9aire au Coll\u00e8ge de France en 1937.
\nIl devient professeur 7 ans apr\u00e8s sa th\u00e8se, elle 21 ans apr\u00e8s\u00a0!
\nIr\u00e8ne ne pourra diriger un grand laboratoire, l’Institut du radium, qu’\u00e0 partir de 1946, puisqu\u2019il faut \u00eatre professeur de chaire sup\u00e9rieure. Fr\u00e9d\u00e9ric, lui, fonde le laboratoire de radioactivit\u00e9 du Coll\u00e8ge de France d\u00e8s 1937. Il est re\u00e7u \u00e0 l\u2019Acad\u00e9mie des sciences du premier coup en 1943. Ir\u00e8ne Jolliot-Curie est recal\u00e9e quatre fois de suite par l’acad\u00e9mie!
\nN\u00e9anmoins, elle est la seule femme parmi les six membres du Commissariat \u00e0 l\u2019Energie Atomique (CEA) cr\u00e9\u00e9 par De Gaulle en 1945 et Fr\u00e9d\u00e9ric en est le Haut-commissaire. A partir de 1954, son projet d\u2019Institut de Physique Nucl\u00e9aire prend vie\u00a0: c\u2019est la cr\u00e9ation du campus d’Orsay dont elle ne vit jamais l\u2019ach\u00e8vement puisqu\u2019elle meurt en mars 1956 alors que le premier b\u00e2timent laboratoire sort \u00e0 peine de terre.<\/p>\n
D\u00e8s l\u2019\u00e2ge de 17 ans, Ir\u00e8ne Joliot-Curie m\u00e8ne avec sa m\u00e8re Marie Curie l\u2019exp\u00e9rience in\u00e9dite de la radiographie par rayons X des bless\u00e9s sur le front, pendant la Premi\u00e8re guerre mondiale, gr\u00e2ce \u00e0 des voitures \u00e9quip\u00e9es. Et au Laboratoire de l\u2019Institut du Radium o\u00f9 elle devient l\u2019assistante de la \u00ab\u00a0patronne\u00a0\u00bb en 1919, elle participe \u00e0 la mesure de la radioactivit\u00e9 naturelle et \u00e0 la pr\u00e9paration du radium, du polonium, du radon d\u00e9couverts par ses parents Pierre et Marie en 1897 et 1898. Ces \u00e9l\u00e9ments ont de nombreuses applications, en particulier th\u00e9rapeutiques contre le cancer.
\nElle poursuit de fructueux travaux en \u00e9quipe avec Fr\u00e9d\u00e9ric devenu son mari en 1926, en particulier sur le rayonnement du polonium et ses effets. Leurs recherches contribuent ainsi \u00e0 la d\u00e9couverte du neutron (une des composantes de l’atome). Ce fut un tournant pour la physique nucl\u00e9aire. En effet, d\u00e8s janvier 1934, Ir\u00e8ne d\u00e9couvre, toujours avec son mari, la radioactivit\u00e9 artificielle. C\u2019est pour cette d\u00e9couverte qu\u2019est attribu\u00e9 le Prix Nobel de Chimie 1935, \u00e0 parit\u00e9 pour les deux savants.
\nC\u2019est aussi gr\u00e2ce \u00e0 ses travaux, en tandem avec le savant Pavl\u00e9 Savitch \u00e0 partir de fin 1936, qu\u2019a lieu la d\u00e9couverte de la fission nucl\u00e9aire. Ir\u00e8ne et son collaborateur figurent sur les listes des nob\u00e9lisables en 1938.
\nCe sont de tels travaux qui, permettent la r\u00e9action en cha\u00eene qui est \u00e0 la base de la bombe atomique. Pour Ir\u00e8ne Joliot-Curie, ce fut alors le terrible dilemme d\u2019avoir contribu\u00e9 \u00e0 la cr\u00e9ation d\u2019une arme de destruction massive, d\u2019o\u00f9 son refus de la bombe atomique et son engagement pacifiste pour le d\u00e9sarmement en compagnie de son mari. Au sein du CEA, Ir\u00e8ne mena, de 1946 \u00e0 1950 plusieurs campagnes d\u2019exploration et d\u2019exploitation de mines d\u2019uranium en France et dans son empire colonial.<\/p>\n
Curieusement, on parle beaucoup plus de Marie Curie que de sa fille. Et pourtant son travail scientifique et son apport politique ne sont pas moindres.
\nLorsque l’on fait appel aux enfants d’Ir\u00e8ne, H\u00e9l\u00e8ne Langevin-Joliot et Pierre Joliot, partout dans le monde, c’est pour parler de leur grand-m\u00e8re et peu de leur propre m\u00e8re, m\u00eame si eux mettent un point d\u2019honneur \u00e0 associer Marie et Ir\u00e8ne.
\nChaque ann\u00e9e apporte son lot de biographies sur Marie Curie dans le monde entier. Pour Ir\u00e8ne Joliot-Curie, trois biographies aux Etats-Unis et deux en France pendant ces quinze derni\u00e8res ann\u00e9es\u00a0!
\nLe mythe de Marie Curie occulte le r\u00f4le qu’Ir\u00e9ne Joliot-Curie a jou\u00e9 dans la recherche de tr\u00e8s haut niveau. Il faut reconna\u00eetre que Marie Curie fut une pionni\u00e8re alors qu\u2019Ir\u00e8ne repr\u00e9sente la seconde g\u00e9n\u00e9ration.
\nPropos recueillis par Caroline Flepp 50\/50<\/strong>
\nLouis-Pascal Jacquemond : Ir\u00e8ne Joliot-Curie: biographie<\/em>. Ed Odile jacob 2014<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
Professeur, il demandait tr\u00e8s souvent \u00e0 ses \u00e9l\u00e8ves de faire des expos\u00e9s sur des femmes de l’histoire. Aussi certain-e-s de ses coll\u00e8gues d\u2019Histoire l\u2019avaient-ils surnomm\u00e9 \u00abl’homme \u00e0 femmes\u00bb. Louis-Pascal Jacquemond est inspecteur d’acad\u00e9mie honoraire. Agr\u00e9g\u00e9 d’histoire, dipl\u00f4m\u00e9 en droit et sciences politiques, il enseigne \u00e0 sciences Po. Il est \u00e9galement membre de l’association Mn\u00e9mosyne […]<\/p>\n","protected":false},"author":5,"featured_media":0,"comment_status":"closed","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":[],"categories":[117,27,19,112],"tags":[66],"yoast_head":"\n