{"id":16259,"date":"2012-10-25T12:11:27","date_gmt":"2012-10-25T10:11:27","guid":{"rendered":"http:\/\/www.50-50magazine.fr\/_?p=16259"},"modified":"2012-10-25T12:11:27","modified_gmt":"2012-10-25T10:11:27","slug":"kadhafi-dans-le-harem-de-logre","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/www.50-50magazine.fr\/2012\/10\/25\/kadhafi-dans-le-harem-de-logre\/","title":{"rendered":"Kadhafi : dans le harem de l’ogre"},"content":{"rendered":"

Article publi\u00e9 par \u00a0<\/em>Terriennes<\/a>\u00a0le 24 octobre 2012.<\/em><\/p>\n


\n<\/a>\u00ab\u00a0Ne bouge pas sale putain!\u00a0\u00bb Il m’a donn\u00e9 des coups, m’a \u00e9cras\u00e9 les seins, et puis ayant relev\u00e9 ma robe, et immobilis\u00e9 mes bras, il m’a violemment p\u00e9n\u00e9tr\u00e9e. Je n’oublierai jamais. Il profanait mon corps mais c’est mon \u00e2me qu’il a transperc\u00e9e d’un coup de poignard. La lame n’est jamais ressortie.<\/em>\u00a0\u00bb Soraya avait quinze ans la premi\u00e8re fois que Kadhafi l’a viol\u00e9e, elle voulait \u00eatre dentiste, une vie g\u00e2ch\u00e9e.<\/p>\n

En visite dans son \u00e9cole \u00e0 Syrte, le guide l’avait d\u00e9sign\u00e9e d’une main sur la t\u00eate, dont la signification \u00e9tait connue de tous : \u00ab\u00a0celle-l\u00e0, je la veux<\/em>\u00ab\u00a0. En racontant son histoire \u00e0 la journaliste Annick Cojean, Soraya s’excuse d’utiliser ces mots crus qu’elle juge d\u00e9gradants. Mais comment faire autrement? Ce sont les mots de son bourreau, \u00ab\u00a0ce sont les seuls qui existent pour d\u00e9finir ce qu’elle a v\u00e9cu<\/em>\u00a0\u00bb d\u00e9plore Annick Cojean.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Pour moi c’\u00e9tait objectivement tr\u00e8s compliqu\u00e9, je voulais quand m\u00eame que le livre reste \u00e9l\u00e9gant\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb admet la journaliste dans un sourire g\u00ean\u00e9. \u00ab\u00a0Enfin, \u00e9l\u00e9gant, ce n’est vraiment pas le mot\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb conclue-t-elle avec froideur. \u00ab\u00a0Je lui ai demand\u00e9 des d\u00e9tails, des d\u00e9tails que l’on n’a jamais parce que dans cette culture l\u00e0, ces mots sont trop difficiles \u00e0 dire pour les femmes<\/em>\u00ab\u00a0. C’est pour cela qu’elle pr\u00e9sente le t\u00e9moignage de Soraya comme un document, aussi brut que brutal. Pour une autre raison aussi : \u00a0\u00bb Aucune amazone, aucune amazone n’a t\u00e9moign\u00e9<\/em>\u00ab\u00a0.<\/p>\n

Une enqu\u00eate tabou<\/strong><\/p>\n

Partie fin octobre 2011 en Libye, Annick Cojean devait \u00e9crire pour Le Monde une s\u00e9rie d’articles (lien payant) sur le r\u00f4le des femmes dans la r\u00e9volution libyenne. La veille de son retour \u00e0 Paris, elle rencontre Soraya. \u00a0\u00bb Elle est belle comme le jour et elle est fracass\u00e9e<\/em> \u00a0\u00bb \u00e9crit-elle le 16 novembre dans les pages du Monde (article payant). \u00a0\u00bb J’ai recueilli son t\u00e9moignage il y a un an maintenant. Apr\u00e8s la mort de Kadhafi, je pensais qu’il y en aurait d’autres comme celui-l\u00e0, et bien nous sommes un an apr\u00e8s et il n y en a pas eu un seul qui est paru dans la presse internationale\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0.<\/p>\n

Le sujet est tabou, \u00ab\u00a0et quand on dit tabou en Libye, c’est d’une force terrible que l’on n’imagine pas en Occident, c’est souvent une question de vie ou de mort<\/em>\u00ab\u00a0. Annick Cojean d\u00e9crit une enqu\u00eate difficile \u00e0 mener, ses sources se d\u00e9sistent au dernier moment, pr\u00e9textant parfois d’une urgence hospitali\u00e8re ou disparaissant simplement. \u00a0\u00bb A quoi bon ressasser des pratiques et des crimes si avilissants et si impardonnables ?\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb lui a-t-on souvent demand\u00e9.<\/p>\n

\"\"<\/p>\n

\u00ab\u00a0Ce silence, cette tradition, ce conservatisme extr\u00eame de la soci\u00e9t\u00e9 libyenne a jou\u00e9 en faveur de Kadhafi, il en a profit\u00e9, il enfermait les gens dans ce silence sans avoir besoin de donner des ordres, tout le monde, spontan\u00e9ment, visc\u00e9ralement, \u00e9tait enferm\u00e9 dans l’omerta\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb d\u00e9crit la journaliste. Le dictateur est mort, mais le silence reste.<\/p>\n

\u00ab\u00a0C’est r\u00e9ellement pour la plupart d’entre elles une question de vie ou de mort\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb explique Annick Cojean. \u00a0\u00bb Soraya est extr\u00eamement courageuse, et quelques autres ont parl\u00e9 mais elles \u00e9taient compl\u00e8tement terrifi\u00e9es\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb raconte la journaliste. \u00a0\u00bb Vous n’imaginez pas les sc\u00e8nes, certaines refusaient de me regarder dans les yeux, elles s’adressaient dans une pi\u00e8ce \u00e0 ma traductrice, qui me rapportait leurs propos, puis elles venaient voir ce que j’avais \u00e9crit de leur t\u00e9moignage, en gommant des passages par peur d’\u00eatre reconnues : ‘si jamais mon mari me reconna\u00eet, je vous promets je me tue m’a dit l’une d’entre elles\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0. Annick Cojean modifie leurs noms, r\u00e9fl\u00e9chit longuement \u00e0 ce qu’elle peut se permettre de dire et ce qu’elle doit taire. Sur place, les menaces qui p\u00e8sent sur ces femmes sont multiples.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Je suis souill\u00e9e, alors je souille\u00a0\u00bb<\/strong><\/p>\n

\u00ab\u00a0La menace vient d’abord de leur propre famille, c’est la honte totale, c’est l’opprobre, quelques fois le crime d’honneur de la part des fr\u00e8res. Elles peuvent aussi \u00eatre chass\u00e9es de la famille, et devoir quitter leur village, leur tribu, leur argent, et une femme seule ne peut pas vivre en Libye, c’est \u00e9pouvantable\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0. En Libye, une femme seule ne peut pas avoir acc\u00e8s \u00e0 un appartement par exemple. Elle sera par ailleurs d\u00e9nonc\u00e9e si l’on constate qu’elle a entretenu des relations hors-mariage, y compris s’il s’agit d’un viol.<\/p>\n

Pour les attirer dans sa forteresse de Bab al-Azizia \u00e0 Tripoli, Kadhafi faisait pression sur ces jeunes femmes en mena\u00e7ant d’emprisonner leurs fr\u00e8res, leurs p\u00e8res ou leurs maris. Pour sauver la vie de leurs hommes, elles se rendaient \u00e0 l’abattoir. Paradoxe insupportable, en \u00e9tant viol\u00e9es, elles \u00a0\u00bb\u00a0souillaient\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb l’honneur des hommes qu’elles avaient ainsi sauv\u00e9s. Seul moyen de le laver, leur propre mort. \u00a0\u00bb C’est juste terrible d\u00e9plore Annick Cojean c’est r\u00e9ellement la d\u00e9tresse de ces femmes. Leur courage, leur noblesse la plupart du temps, et de constater qu’elles ont double et triple peine, parce qu’une femme est toujours coupable\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0.<\/p>\n

\u00a0\u00bb Une fille perdue, soupirent mes parents. Une fille \u00e0 tuer, songent mes fr\u00e8res, dont l’honneur est en jeu. Et cette pens\u00e9e me glace. M’\u00e9gorger ferait d’eux des homes respect\u00e9s. Le crime laverait la honte. Je suis souill\u00e9e, alors je souille\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0. Ce constat vibrant de Soraya fait \u00e9chos aux paroles de son p\u00e8re, que la journaliste a aussi pu rencontrer. \u00a0\u00bb Il n’existe pas, chez nous, d’insulte plus terrible\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb dit-il lorsqu’il \u00e9voque le viol de sa fille. \u00a0\u00bb Elle touche aussi mes fils. D\u00e9truits, complex\u00e9s, incapables d’imaginer une autre issue pour para\u00eetre de vrais hommes que le meurtre de leur soeur. C’est terrible! Notre soci\u00e9t\u00e9 traditionnelle est trop stupide et trop impitoyable. Vous savez quoi ? Aussi douloureux que cela soit pour moi son p\u00e8re, je r\u00eaverai qu’une famille \u00e9trang\u00e8re l’adopte\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0.<\/p>\n

Des victimes en danger<\/strong><\/p>\n

En dehors de leurs familles, des r\u00e9volutionnaires \u00a0\u00bb z\u00e9l\u00e9s, assez aveugles<\/em> \u00a0\u00bb constituent aussi pour ces femmes une menace dangereuse. Annick Cojean explique ainsi que \u00a0\u00bb Le pr\u00e9sident du Conseil national de transition de Libye, Moustapha Abdel Jalil<\/em> (lui-m\u00eame ancien ministre de la Justice de Kadhafi de 2007 \u00e0 2011, ndlr), ne voulait pas entendre parler de \u00e7a, et pour lui toutes ces filles \u00e9taient des coupables, en gros, des prostitu\u00e9es. Elles avaient profit\u00e9 du r\u00e9gime, elles avaient eu des largesses de la part de Kadhafi, il fallait donc les punir\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0.<\/p>\n

\u00ab\u00a0 C’\u00e9tait un comble qu’on puisse m’assimiler au camp de mon bourreau !\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb s’exclame Soraya, qui a \u00e9t\u00e9 oblig\u00e9e de fuir la Libye \u00e0 la fin de la r\u00e9volution. Apr\u00e8s la mort de Kadhafi, elle revient et raconte son histoire aux rebelles. \u00a0\u00bb Il y a plein d’autres filles dans ton cas\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>lui r\u00e9pond-on. \u00a0\u00bb On m’a attribu\u00e9 un logement temporaire, r\u00e9quisitionn\u00e9 dans le parc des anciens appartements de mercenaires de Kadhafi. A tort, je m’y suis sentie en s\u00e9curit\u00e9. Un rebelle a abus\u00e9 de moi. Une fille avec un tel pass\u00e9<\/em>\u2026\u00a0\u00bb<\/p>\n

Enfin, la menace vient aussi des anciens Kadhafistes. \u00ab\u00a0 Ils sont puissants, ils ont encore beaucoup d’argent, et il y a des armes partout. Effectivement, ces filles, croient-ils en tout cas, savent beaucoup de choses. C’est notamment le cas d’une des femmes dont je parle, qui a couch\u00e9 avec beaucoup d’hommes sur les ordres de Kadhafi pour les pi\u00e9ger. Elle m’a donn\u00e9 une liste impressionnante de noms, des personnalit\u00e9s tr\u00e8s connues. Elle, elle est clairement en danger\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb s’inqui\u00e8te la journaliste. On a d’ailleurs retrouv\u00e9 dans la forteresse assi\u00e9g\u00e9e de Bab al-Azizia, des cadavres d’amazones, assassin\u00e9es dans la h\u00e2te par le r\u00e9gime en fuite.<\/p>\n

Un Etat pornocratique<\/strong><\/p>\n

Ces femmes d\u00e9crivent la dictature en un syst\u00e8me qu’on pourrait qualifier de pornocratique, dans lequel Kadhafi avait mis les institutions au service de son obsession sexuelle. Le premier septembre 1981, il inaugure l’Acad\u00e9mie militaire des femmes avec un discours vibrant : \u00a0\u00bb Nous avons d\u00e9cid\u00e9 de lib\u00e9rer totalement les femmes en Libye pour les arracher \u00e0 un monde d’assujettissement de mani\u00e8re qu’elles soient ma\u00eetresses de leur destin\u00e9e (\u2026) Aujourd’hui n’est pas un jour ordinaire mais le commencement de la fin de l’\u00e8re du harem et des esclaves\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0. L’Acad\u00e9mie, qui a suscit\u00e9 l’espoir et les vocations de centaines de Libyennes \u00e0 servir leur pays se r\u00e9v\u00e8le \u00eatre une \u00a0\u00bb\u00a0mascarade\u00a0<\/em>\u00a0\u00bb qui n’est utile qu’\u00e0 servir de vivier d’esclaves sexuelles \u00e0 la merci du dictateur.<\/p>\n

[Lire la suite]<\/a><\/p>\n

Anna Ravix\u00a0<\/strong>\u2013 TERRIENNES<\/p>\n

Annick Cojean, Les Proies, Grasset, 2012, 19\u20ac.<\/em><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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