Non classé Femmes européennes : la révolution inachevée
Cet article a été publié dans Alternatives économiques n° 299 sous le titre Femmes : la révolution inachevée.
C’est un petit article sous l’intitulé « Egalité professionnelle entre les hommes et les femmes ». Glissé dans la loi sur les retraites votée à l’automne dernier, il prévoit des sanctions (*) pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés qui n’auront pas mis en place des actions pour lutter contre les inégalités professionnelles – essentiellement salariales – entre les sexes. Pourquoi des sanctions ? Parce que sans elles, très peu d’entreprises jouent le jeu. On en est encore là.
Certes, en deux ou trois générations, la condition des femmes a plus changé que dans les deux siècles précédents. Mais aujourd’hui, ce mouvement « marque le pas », comme l’écrivent Dominique Méda et Hélène Périvier. Mais la France n’est pas une exception en Europe : les Européennes continuent à consacrer 17 heures de plus que leurs conjoints chaque semaine aux tâches domestiques et familiales. Et si elles ne sont pas plus nombreuses que les hommes au chômage (9,6 % en moyenne dans les deux cas), leurs revenus restent inférieurs de 17 %. Et 31 % d’entre elles travaillent à temps partiel, contre seulement 8 % des hommes.
Interview de Hélène Périvier, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) :
L’Europe du Nord et de l’Est en pointe
Ces moyennes masquent cependant des réalités nationales contrastées. Le mouvement général vers l’égalité n’a pas emprunté partout les mêmes chemins et n’a donné lieu ni aux mêmes compromis sociaux ni aux mêmes avancées. Du coup, « chaque pays est un modèle en soi », affirme Hélène Périvier, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ces singularités s’expliquent par l’histoire, les normes sociales et culturelles, et par les politiques publiques de chaque pays. Au total, elles rendent difficile la réalisation d’un « palmarès » européen en matière d’égalité des sexes, même si l’on peut identifier des pays plus avancés que d’autres.
Par exemple, les pays nordiques, souvent présentés comme des modèles, font certainement partie de ceux qui ont poussé le plus loin la recherche de l’égalité. Ils ont ainsi mené avec une grande efficacité des politiques familiales visant à concilier vie professionnelle et vie familiale : l’Etat propose des prestations familiales généreuses, des congés parentaux ouverts aux deux parents et des services d’accueil nombreux pour la petite enfance. Du coup, le taux d’activité des femmes y atteint des records et la fécondité reste soutenue. Mais les femmes se retrouvent malgré tout plus souvent dans des emplois à temps partiel dans le secteur public, moins rémunérateurs. Engendrant de fait des inégalités de revenus légèrement supérieures à la moyenne européenne.
Autre univers : les anciens pays communistes. Ils gardent les traces de régimes où l’égalité entre les sexes était plutôt recherchée. Ainsi, en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie ou en Pologne, les inégalités salariales entre les sexes sont sensiblement inférieures à la moyenne européenne, le temps partiel féminin relativement bas et le nombre de femmes diplômées du supérieur plus élevé que celui des hommes. Toutefois, les structures d’accueil de la petite enfance font cruellement défaut, rendant difficile la conciliation entre activité professionnelle et éducation des enfants (République tchèque, Hongrie). Et la participation des femmes au marché du travail reste inférieure à la moyenne européenne. Du coup, de nombreuses femmes de l’Est sont confrontées à un arbitrage entre maternité et emploi. Et, si l’on en juge par leurs taux de fécondité très bas, elles arbitrent souvent au détriment de la maternité.
L’Europe du Sud contrastée
Et en Europe méditerranéenne ? Cette région réputée patriarcale et machiste est en réalité de plus en plus coupée en deux entre les pays de la Péninsule ibérique : Espagne (voir le focus Espagne : adieu monsieur Gagne-pain) et Portugal, d’une part, Grèce et Italie, de l’autre. Dans ces deux derniers pays, la participation des femmes au marché du travail reste relativement basse et les inégalités en matière de travail domestique élevées. A cela s’ajoutent, en Grèce, des inégalités salariales importantes et des structures d’accueil insuffisantes pour les jeunes enfants. Par comparaison, le Portugal apparaît comme un Eldorado méridional de l’égalité : un taux d’activité élevé, une proportion de femmes en temps partiel deux fois inférieure à la moyenne européenne, un impact de la maternité sur l’emploi quasi nul, une grande proportion de jeunes enfants gardés en structure collective, des inégalités salariales et domestiques contenues et une forte participation des femmes à la vie parlementaire…
Comment situer les Françaises dans ce tableau européen ? Elles apparaissent à bien des égards comme des championnes : elles conjuguent un niveau d’activité supérieur à la moyenne européenne avec une fécondité élevée (2 enfants par femme en moyenne). Mais à quel prix ? Celui d’un risque de surmenage. En tout cas de surménage : elles consacrent 18 heures de plus que les hommes chaque semaine aux tâches domestiques et familiales ! Au prix également d’une mauvaise qualité de l’emploi. Certes, les femmes travaillent de plus en plus, mais elles sont 30 % à être à temps partiel (contre 6 % des hommes), parmi lesquelles une part non négligeable souhaiterait travailler davantage. De plus, les Françaises sont encore trop souvent confinées au secteur des services, souvent dans des emplois peu valorisants comme dans la grande distribution.
Résultat : le plafond de verre est particulièrement difficile à percer. On compte seulement 10 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées et seulement 19 % au Parlement. Il faut dire qu’entre le travail domestique et la vie professionnelle, les Françaises ont finalement peu de temps pour s’impliquer dans la vie collective, moins par exemple que leurs homologues néerlandaises ou allemandes.
Une affaire d’Etats
Comment une Union européenne aussi hétérogène pourrait-elle inciter ses membres à faire mieux ? En 2002, elle a défini plusieurs objectifs dans sa « Stratégie de Lisbonne ». A commencer par un taux d’emploi des femmes à 60 % en 2010 (il était de 58,6 % en 2009) et 33 % des enfants de moins de 3 ans accueillis dans des structures collectives d’ici à 2010 (seuls sept Etats membres ont dépassé ce seuil). Les sociaux-démocrates allemands se sont d’ailleurs appuyés sur ces directives pour faire passer leur réforme au début des années 2000 (voir le focus Allemagne : l’emprise de la maternité). Mais les solutions concrètes pour les atteindre restent l’affaire des Etats.
En France par exemple, une loi a été adoptée le 13 janvier dernier pour lutter contre le plafond de verre : elle impose aux conseils d’administration et aux conseils de surveillance des entreprises cotées et des entreprises publiques de compter au moins 20 % de femmes dans trois ans et au moins 40 % dans six ans. Pour certains, cette politique des quotas permettra peut-être à quelques femmes d’accéder à des postes à responsabilité, mais elle laissera l’immense majorité au bas de l’échelle, creusant ainsi les inégalités entre femmes. D’autres y voient un mal nécessaire : « Bien sûr, la politique des quotas engendre des effets pervers. Mais puisque cela n’avance pas, il faut imposer le changement. Un jour, ce sera normal d’avoir 50 % de femmes dans les hautes sphères dirigeantes », affirme Hélène Périvier. Le combat continue !
Claire Alet
(*) La loi de 2006 sur l’égalité salariale prévoyait qu’une loi soit votée en 2010 pour définir des sanctions pour les entreprises qui n’auraient pas ouvert de discussions en la matière. En juillet 2010, seules 8 % d’entre elles avaient signé un accord avec les partenaires sociaux.
En savoir plus :
Le deuxième âge de l’émancipation. La société, les femmes et l’emploi, par Dominique Méda et Hélène Périvier, Seuil-La République des idées, 2007.
« Les discriminations entre les femmes et les hommes », Revue de l’OFCE n° 114, juillet 2010.
« Equality Between Women and Men – 2010 », rapport de la Commission européenne en PDF—
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Voir les deux focus
Espagne : adieu monsieur Gagne-pain
Allemagne : l’emprise de la maternité
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