Monde « La convention Cedaw a plus de 30 ans. – La quoi ? »
La Cedaw demeure méconnue, pour ne pas dire méprisée. Importante convention des Nations unies, elle est une arme précieuse pour les femmes, pour leurs droits, pour la démocratie. Le temps est pourtant venu de la faire connaître, de la défendre, voire de sonner l’alarme. Car ce texte fondamental, modèle d’un droit universel pour les femmes, tend aujourd’hui à se fracasser sur les exigences communautaristes et intégristes.
Mal connue, mal défendue, déjà menacée
Dans le hors-série de sa revue Hommes et libertés consacré à la Cedaw (Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes), la Ligue des droits de l’Homme note que « même les ligueurs ignorent cette convention des Nations unies ». Étrange pour « le texte international adopté par le plus d’États dans le monde », 185 pays, soit 90 % des membres des Nations unies ! On mesure une nouvelle fois, à cette maigre popularité, l’intérêt porté aux questions qui concernent les femmes.
Adoptée le 18 décembre 1979 par les Nations unies, soit un peu plus de 30 ans après la Déclaration universelle des droits de l’Homme (10 décembre 1948), la Cedaw est un peu la Déclaration internationale des droits des Femmes. Porteuse d’un rêve de droit universel au féminin, quels que soient les contextes culturels, religieux et socio-économiques, elle constitue un outil précieux de recours pour les ONG (organisations non gouvernementales) et pour les mouvements de femmes à travers le monde.
C’est pour en rappeler le contenu et l’usage, autant que pour alerter sur les menaces dont elle est l’objet que Femmes solidaires et la Ligue du droit international des femmes ont organisé une journée débat au Palais du Luxembourg, à Paris, le 13 novembre 2009. L’occasion de mesurer ses apports et ses actuelles limites.
« L’ennemie à abattre »
Entrée en vigueur en 1981, la Cedaw est le produit de notables avancées enregistrées depuis 1945. Pour Malka Marcovich, consultante internationale en droits humains et droits des femmes, « la Cedaw représente en 1979 une sorte d’apogée pour les droits des femmes. Elle pose les bases d’un droit universel jusqu’à ce que les années 1990 ne commencent à faire entendre la petite musique inverse ».
Malka Marcovich relève les attaques croissantes dont la Convention a fait – et fait de plus en plus – l’objet. « Tout a commencé avec la ré-interprétation de l’article 6, qui interdit l’exploitation de la prostitution des femmes, par les pays ayant légalisé certaines formes de proxénétisme. Leur réduction de cette exploitation à celle de la prostitution dite « forcée » a constitué la première dérive normative contre les droits des femmes. »
Les attaques n’ont fait ensuite que se renforcer, comme le montre l’actuelle instrumentalisation des femmes dans le cadre de l’ONU grâce à des ONG organisées et financées par des Etats totalitaires : « Aujourd’hui, par exemple, des délégations de femmes de Bahrein, jeunes, voilées, revendiquent la polygamie en jouant la carte de la modernité. »
La Cedaw est clairement l’ennemie à abattre. La deuxième conférence internationale sur les femmes organisée à Téhéran en juin 2009 a d’ailleurs procédé à la comparaison des mérites de la Charte des droits et responsabilités des femmes dans la République islamique d’Iran et de la Cedaw. Par ailleurs, l’Iran prépare un nouveau texte sur le droit des femmes répondant aux exigences de la loi religieuse.
Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, voit venir le danger : « Comme un seul homme, les pays de droit musulman, même les plus modérés, qui ont déjà tous émis des réserves sur la Cedaw, vont se ranger sous la bannière de l’Iran », écrivait-elle dans le journal Libération en juin 2009.
Un levier majeur pour les ONG et les mouvements de femmes
Partout, des femmes se lèvent et protestent contre ces réserves en produisant des contre rapports exigeant la reconnaissance de leurs droits propres. Beaucoup considèrent que la Cedaw reste un levier important pour les ONG et leur parole alternative, même si ce levier reste insuffisamment utilisé. Entre 2006 et 2007, par exemple, la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et ses organisations membres ont soumis des rapports alternatifs sur le Mali, la Gambie, le Burkina Faso, le Nicaragua, le Pérou et le Vietnam.
Selon Rachel Eapon Paul, directrice de programme sur le Moyen-Orient, la Cedaw est un outil de première nécessité. Elle cite l’exemple de l’Afrique du Sud, un des premiers pays à avoir soumis un rapport alternatif, deux ans après la fin de l’apartheid. « Femmes noires et femmes blanches ont pu s’allier pour dénoncer les violences contre les femmes ». Le Comité Cedaw a ensuite porté 26 recommandations à l’attention du gouvernement sud africain, dont 18 sur ces violences en demandant des législations plus adaptées.
La Cedaw a été un plus pour la démocratisation du pays. L’organisation des femmes d’Afrique du Sud a eu une influence sur d’autres dans les pays de la région, comme le Botswana et le Nigeria. Pour Rachel Eapon Paul, « la Cedaw est autant un instrument de coopération entre organisations de femmes qu’un outil de lobbying en direction des gouvernements ; un outil d’éducation populaire et de solidarité ».
Sophie Bessis, secrétaire générale adjointe de la FIDH, met en avant le dynamisme des ONG du monde arabe qu’elle juge sous-estimées depuis notre fenêtre occidentale. « En 2008, deux rapports alternatifs ont pu être produits par des auteures anonymes en Arabie Saoudite. La Cedaw a contribué à certaines victoires malgré l’ampleur des résistances. » Selon elle, « quelle que soit l’ampleur du conservatisme, il y a des évolutions incontestables : droit de vote dans les pays du Golfe, femmes députées au Koweit, première université mixte en Arabie Saoudite… Le seul pays où la régression est épouvantable est l’Irak, l’invasion américaine ayant abouti à faire sauter les lois civiles au profit des lois confessionnelles ». Pour résumer, « pas d’angélisme mais pas de pessimisme absolu ».
Et en France ?
La dernière audition de la France devant le Comité, à Genève, remonte au 18 janvier 2008. Valérie Létard, alors secrétaire d’Etat à la Solidarité, a présenté le rapport gouvernemental, et Nicole Renault, le rapport alternatif de la Clef, Coordination française pour le lobby européen des femmes, établi grâce à la contribution d’associations membres.
Les principaux thèmes abordés dans ce contre rapport traitaient du contexte législatif et institutionnel, de la participation insuffisante des femmes à la vie politique et publique, de la persistance des stéréotypes sexistes, notamment dans l’éducation et le choix des métiers, des violences à l’égard des femmes dans le couple, des discriminations dans l’emploi, des discriminations vis-à-vis des femmes immigrées et des femmes d’outre-mer. La Ligue des droits de l’Homme a ainsi pu porter devant le Comité une note virulente sur la politique française sur la traite des femmes, politique qui criminalise les victimes au lieu de les protéger dans le cadre de la loi sur le racolage (LSI, 2003)
Les experts ont tenu compte de ces remarques et conclu à un certain nombre de recommandations, transmises au gouvernement français : campagne pour inciter les femmes à recourir à la Halde, promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les médias, mesures pour supprimer toute forme de traite et de prostitution des filles, etc. Assorties d’une demande : faire connaître plus largement la Convention Cedaw en l’intégrant notamment à la formation des personnels des professions juridiques.
Pour les ouvrières du rapport alternatif, cette occasion est précieuse. Elle ne permet pas seulement de faire remonter un ensemble d’informations : « C’est en travaillant sur le contre rapport en 2003 que nous avons découvert que les filles étaient mariables à 15 ans et les garçons à 18 ! », explique Bernice Dubois, de la Clef. C’est à cette trouvaille que l’on doit, trois ans plus tard, l’alignement à 18 ans inscrit dans la loi.
Les prochains rapports, les 7e et 8e, doivent être soumis au Comité en janvier 2013.
Depuis 2008, la représentante française au Comité Cedaw est Nicole Ameline, ancienne ministre de la Parité et de l’Égalité professionnelle, en remplacement de Françoise Gaspard.
Claudine Legardinier – ÉGALITÉ
Voir nos deux articles pour en savoir plus :
Un texte fort assorti d’un mécanisme de contrôle
Les réserves, ou l’art de vider la Convention de son contenu….