DÉBATS \ Témoignages Pegah Hosseini : « un féminicide c’est aussi d’arracher un bébé de 6 mois à sa maman » 

Je suis journaliste. J’écris sporadiquement pour quelques supports.

Et je suis surtout la maman d’un formidable petit garçon né en 2018 et qui, à l’âge de 6 mois, m’a été enlevé parce que son papa m’avait menacée quelques mois avant sa première saisine du Juge aux affaires familiales (JAF)? disant qu’il avait de hauts magistrats toulousains dans la poche et qu’il aurait la garde.

Notre petit garçon n’avait donc que 6 mois lorsque la garde totale a été confiée au père au motif que « l’enfant avait des repères à Toulouse ». À quelques mois !

Pour comprendre le cauchemar d’un désenfantement, qui est le graal de la violence conjugale, j’ai eu une formidable psychologue au 39 19. Elle m’a fait prendre conscience que les violences avaient commencé bien avant ce que je croyais…

On dit toujours qu’il faut partir à la première claque, mais dans la réalité, c’est plus compliqué que cela. On nous dit aussi qu’il fallait réagir plus tôt, mais comment ? Isolée à Toulouse, à 800 km de Lille, où l’on a grandi, où l’on a notre famille, nos amies, notre travail, nos repères et qu’on se retrouve petit à petit isolée de tout ? On ne se rend pas compte de ce vers quoi on glisse subrepticement. Jusqu’à par exemple ne plus conduire. Parce le père de mon fils me dit :« il faut quitter ta région, tu y as trop de famille » et « il ne faut pas conduire, tu es enceinte de notre enfant donc tu vas pas prendre des risques »..

On réalise que tout ça est anormal, mais on a des doutes, on se demande si ce que l’on vit est réel ou pas. Est-ce que j’ai bien entendu ? Est-ce que je dois vraiment me justifier, personne par personne, des likes sur ma photo Facebook ?

C’est comme si quelqu’un vous met la tête sous l’eau, la sort 5 secondes, le temps de respirer 30 secondes, et puis ça recommence.

Une forme de torture s’installe et on est dépassée parce que pour pouvoir sortir de là, on a besoin de soutien. Étant très loin, notre entourage doute de ce que l’on dit alors qu’il y a des photos, des enregistrements, mais le père de famille a un visage d’ange !

J’étais dans une sorte de système de poupées russes : encerclée, encerclée, encerclée… Et puis il a fallu tout casser et partir.

Ce que je n’aurais jamais imaginé, jamais pu anticiper, c’était tout ce qu’avait prévu le père de mon enfant bien en amont.

La garde à 6 mois, ça a été le meurtre psychique parfait. Un bébé n’a pas à être séparé de sa maman, sans motif réel et sérieux. Si la maman a de de graves problèmes psychiatriques, si elle a un casier judiciaire lourd, ce serait normal.

Ce n’était pas mon cas.

Quand l’autre parent utilise des SMS d’insultes, je réponds qu’à force d’être poussée à bout, on finit par insulter. Dès ma première plainte, j’ai bien dit aux policiers que je n’en pouvais plus. Mais le père de mon fils avait déjà montré mes SMS en se roulant par terre et en jouant la victime, en disant qu’il vit quand même avec une femme atroce. J’ai pris le temps, lors de mes dépôts de plaintes, de revenir sur le « comment en arrive là ? ».

D’autres questions sont apparues plus tard, lorsqu’il était déjà trop tard, à savoir après l’accouchement : pourquoi le père de mon fils a qualifié son ex compagne de « femme dérangée » dans un long mail ? Pourquoi a t ‘il fait interner sa propre maman en hôpital psychiatrique ?

Alors, le même schéma se répétait avec moi.

Il envoyait un message à tous les membres de ma famille en disant « il faut la faire interner ». Il a écrit à mon médecin traitant, en qualité de médecin. Il est même allé jusqu’à contacter mon ancienne directrice de rédaction !

Quand sa sœur « s’est mal occupée de ses enfants » (d’après lui), il les a fait placer en foyer, en famille d’accueil. Et là on se dit : le père de mon enfant a fait interner sa propre maman en hôpital psychiatrique, il a fait placer les enfants de sa propre sœur. Son premier fils, issu d’une première union, s’est suicidé à l’âge de 17 ans !

On réalise l’ampleur de sa toute puissance et de sa volonté d’écarter toutes les mères de la vie de leurs enfants.

On ne pourra pas dire que dès le départ, je n’ai pas alerté les autorités, j’ai alerté tout le monde en disant qu’il avait des relations étroites dans la magistrature et dans le milieu médical, preuves à l’appui.

J’ai expliqué que l’image qu’il projetait sur moi n’était pas réelle.

J’ai toujours travaillé et j’ai toujours été active, toujours été entourée d’ami·es, je suis propriétaire de mon appartement et j’ai une famille stable. J’ai une maman infirmière en psychiatrie, cela aurait été compliqué de la convaincre de me faire interner quand même… Ce qui rendait d’ailleurs le père de mon enfant furieux.

Sincèrement, si c’était un divorce avec une maison secondaire en jeu, je ne serais même pas allée en justice.

Mais quand le père prend votre enfant en otage, ce n’est pas franchement dans l’intérêt d’un enfant qui dit « mais où est ma maman ? Pourquoi maman ne peut pas venir me chercher à l’école ? »

On pense qu’un féminicide, c’est forcément un coup de couteau, un coup de fusil alors qu’un féminicide, c’est aussi arracher un bébé de 6 mois à sa maman. Le corps continue de vivre, mais il est complètement broyé par une décision qu’on a lue, relue, qu’on a envoyé à toute la planète en disant : « est-ce que ce que je lis te semble sensé ou non ? ». On voit que cela effraie tout le monde autour de soi et on se dit que c’était impensable…

Impensable ? Quand je vois aujourd’hui le nombre de parents avec qui j’ai échangé dans toute la France, je ne suis pas un cas isolé. Je tente vraiment de comprendre où est l’intérêt de l’enfant dans toutes ces décisions.

Pourquoi ces cas similaires, dans toute la France ? Pourquoi tous ces enfants qui souffrent ?

On pourra toujours me dire que la justice manque de moyens, qu’elle manque de temps. Je peux le comprendre. Mais après 7 ans, quand toutes les preuves, les pièces apportées sont écartées, et qu’il y a une intention de vous traîner dans la boue… La motivation se trouve ailleurs.

Aujourd’hui, mon enfant est retenu en otage, avec une surmédicalisation à outrance parce que l’autre parent se dit médecin et a décidé de contrôler le suivi médical de notre fils, jusqu’à demander l’exercice de l’autorité parentale exclusive pour pouvoir le faire opérer quand il veut, par qui il veut !

Et quand j’apporte un avis tiers extérieur qui ne va pas dans ce sens-là, il y a une sorte d’animosité grandissante à mon égard qui est validée par certaines magistrat·es de Toulouse.

Pour m’enlever l’autorité parentale, il eut fallu que j’ai commis des actes criminels.

Or je n’ai fait que dire « s’il y a un danger pour mon enfant et qu’il y a un rendez-vous médical je suis d’accord, mais on a le droit, dans un cas qui n’est pas urgent, de poser la question à une personne tierce, de demander un avis à un médecin en dehors de Toulouse ».

Et quand ledit médecin, éminent spécialiste à Lille, affirme qu’il n’y a aucune urgence à faire opérer notre fils, la riposte à Toulouse ne se fait pas attendre : j’ai découvert dans le dossier médical de mon enfant, qu’une note a été transmises aux magistrat·es de Toulouse en écrivant que ce médecin aurait fait un faux certificat !

Je ne sais pas dans quoi on est en train de basculer mais c’est cauchemardesque.  Mon fils a été opéré et les résultats ne sont pas bons.

Un week-end sur deux

J’ai le droit de voir mon fils un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Donc je fais 1000 km aller et 1000 km retour. Évidemment, durant le week-end, je ne déplace pas mon fils pour ne pas le fatiguer. Donc je ne reste pas très loin de la région toulousaine… Cette région qui a arraché à un bébé de 6 mois sa maman.

On se retrouve sur un parking de gendarmerie parce que le père de mon fils est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de m’approcher.

Le week-end, j’essaie de d’apporter à mon fils tout ce que je peux lui apporter, en termes d’affection, de réflexions, d’échanges, de suivi scolaire. J’essaie, malgré toutes ces décisions émanant de la juridiction toulousaine, de lui faire comprendre que je serai toujours sa maman. Je lui dis qu’aucune loi ne peut aller contre l’amour que j’ai pour lui et que l’important c’est que l’on puisse passer des moments ensemble.

En tant que maman, je pose bien évidemment des questions à des professionnels pour savoir si ce que l’on ressent en tant que parent, au fond de nous, est bon ou pas, parce qu’on n’est jamais trop sûr de soi. Je ne vois pas comment on pourrait être trop sûre de nous dans la question de la parentalité…

Mon positionnement, c’est de penser qu’à 7 ans, mon enfant doit être joyeux, qu’il doit jouer, s’épanouir, commencer à apprendre à lire et à écrire. Découvrir les milliers de livres qui vont jalonner sa route à lui. L’idée est d’être plutôt dans une interaction positive et dans l’échange.

Mais je ne peux pas lui dire certaines choses pour l’instant car il est trop petit.

Lorsqu’il me demande pourquoi il est uniquement chez papa et toujours chez papa, c’est complexe à gérer.  « Pourquoi maman, tu ne viens pas me chercher à la sortie de l’école ? Parce que mes copains ils ont leur maman à la sortie de l’école ? Si on se voyait plus, est-ce que j’irais la cantine ou est-ce que tu viendrais me chercher à midi ?»

J’apporte une réponse qui consiste à lui montrer mon amour, mais je m’arrête à une certaine limite. Je ne vais pas aller dans des explications rationnelles d’adultes parce qu’il est un enfant et qu’il doit le rester…

Ce qui m’importe en premier lieu, c’est le bon développement de mon fils.

Je ne touche pas à l’image paternelle, je ne franchis pas cette ligne parce que ce n’est pas mon rôle. Il y a d’autres personnes qui peuvent recueillir sa parole et lui expliquer avec les mots sortis d’une boîte à outils très efficace. Ce n’est pas à moi de lui expliquer qui est papa. C’est le rôle des professionnel·les de la petite enfance. Mon rôle est de montrer toute l’affection que j’ai pour lui, ma volonté de vouloir être avec lui. De venir le chercher à l’école, de le prendre dans les bras et de courir vers lui.

On m’a demandé après mon accouchement pourquoi ma cicatrice de césarienne, (j’avais 10 points de suture) avait mis autant de temps à cicatriser. En fait, elle s’est ré-ouverte brutalement au moment où l’on m’a enlevé mon bébé.  Pour pouvoir cicatriser, il faut être bien. J’ai un ami journaliste-écrivain Aurélien Poirson-Atlan qui dit toujours « quand maman va bien, bébé va bien ». Or en retirant à un bébé sa maman, on fait du mal aux deux : au bébé et à sa maman. Alors comment voulez-vous que ma cicatrice de césarienne se referme ? C’était une sorte de plaie béante, j’avais très mal. Le jour de la lecture du premier jugement de la toute première JAF, ça me lançait au niveau du ventre. C’était un coup qui a été très, très violent.

Je le répète : un féminicide, ce n’est pas seulement un homme qui tape sa femme ou qui lui court après, armé d’un couteau. Il peut la tuer en lui prenant son enfant et en le maintenant captif de ses desideratas.

Beaucoup de mamans et de papas se sont suicidé·es au moment du placement de leur enfant, d’un transfert de garde au parent maltraitant, comme c’est le cas dans d’innombrables dossiers dans toute la France.

Alors il faut tenir bon… Et espérer être entendue un jour.

Témoignage recueilli par Caroline Flepp 50-50 Magazine

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