DÉBATS \ Contributions Sarah Pepe : « Il est temps de mettre la parole des femmes au centre de la scène »

Fin janvier 2025, un tout nouveau chapitre s’écrira dans le paysage culturel avec l’ouverture du Local des Autrices. Situé à Belleville, dans le 11ème arrondissement de Paris et porté par Sarah Pèpe, autrice, metteuse en scène et comédienne, ce lieu se donne pour mission de mettre en lumière les voix féminines, encore trop souvent invisibilisées. Ce théâtre prend la suite du Local, un espace de création et de rencontres culturelles qui a animé le quartier pendant 23 ans avant de fermer ses portes. En reprenant cet héritage, Sarah Pèpe transforme le lieu tout en préservant son esprit territorial et participatif. Avec ses 45 places modulables et une programmation engagée, le Local des Autrices s’annonce comme un espace vivant, propice aux échanges et aux réflexions autour des thématiques féministes et sociales. Sarah Pèpe femme de théâtre passionnée est prête à redonner au public l’envie de fréquenter les salles et de (faire) découvrir des œuvres porteuses de sens.
Quel est votre parcours ?
J’ai toujours écrit, mais il y a une dizaine d’années, j’ai complètement arrêté. Un jour, j’ai pris conscience que cela me manquait terriblement, mais j’avais l’impression que je ne pourrais plus jamais m’y remettre. Puis, grâce à un collègue, j’ai participé à un atelier d’écriture il y a six ou sept ans. Cette expérience a rallumé une flamme, et depuis, je ne m’arrête plus !
Quant au jeu, c’est un peu arrivé par hasard : un jour, une des comédiennes qui devait jouer dans ma pièce est tombée malade. J’ai dû reprendre son rôle au pied levé et j’ai adoré. C’est ainsi que j’ai commencé à jouer. La mise en scène est quant à elle venue du fait que personne ne montait mes textes. Alors, je m’y suis mise et là encore, cela m’a passionnée. Aujourd’hui, je porte toutes ces casquettes, mais je joue uniquement dans mes propres projets. Cela me permet de contrôler les mots que je défends et que je choisis de porter sur scène.
Le Local des Autrices ne programmera que des femmes. Pourquoi ce choix ?
C’est avant tout une question de justice. Le monde artistique a historiquement été conçu par et pour les hommes. Quand on observe nos bibliothèques, nos musées, ou même les grandes scènes de théâtre, on voit principalement des œuvres d’hommes, des récits qui se nourrissent du point de vue et du désir masculins. Cela a façonné notre vision du monde, et nous avons été exclues de cette narration. Cela a conduit à la marginalisation de nombreuses voix, notamment celles des femmes, des personnes racisées et des minorités.
Mon objectif est alors de donner aux femmes la possibilité d’investir pleinement cet espace créatif. Et ce faisant, de réinventer l’imaginaire collectif, de l’enrichir en offrant une place centrale aux voix féminines et aux expériences diverses, celles qui ont été spoliées pendant des siècles. C’est aussi une manière de créer un monde plus riche et inclusif, où chaque histoire, chaque perspective a droit de cité.
Cela s’inscrit dans une logique d’éducation populaire et de médiation culturelle, au-delà de la simple dimension théâtrale.
Le Local des Autrices est situé à Belleville. Est-ce que le quartier joue un rôle particulier dans l’identité que vous voulez donner au théâtre ?
Absolument, Belleville est un quartier politique de la ville et cela influence directement l’identité du Local des Autrices. Initialement, cet espace n’était pas un théâtre, mais un lieu d’animation socio-culturelle destiné aux habitant·es du quartier. C’est Gabriel Debray, l’ancien directeur, qui l’a transformé en théâtre, tout en conservant une dimension communautaire. Aujourd’hui encore, cela reste au cœur de ma démarche : certaines journées seront dédiées au théâtre, d’autres aux ateliers artistiques et aux actions socio-culturelles. L’objectif est de rendre la culture accessible tout en intégrant la parole de celles qui sont souvent exclues de la parole artistique.
Cela s’inscrit dans une logique d’éducation populaire et de médiation culturelle, au-delà de la simple dimension théâtrale.
Quels sont les soutiens institutionnels et partenariats locaux qui vous accompagnent ?
Mon projet est soutenu par la mairie du 11ème, la mairie de Paris et l’État, notamment via des dispositifs liés à la cohésion sociale et à la politique de la ville. Par ailleurs, je suis en train de rencontrer plusieurs acteurs majeurs du territoire : des conservatoires, des bibliothèques, des associations de quartier et des centres pour jeunes, etc… afin que l’on puisse imaginer des projets communs qui font sens pour le quartier et ses habitant·es.
Je veux proposer des œuvres qui inspirent, qui donnent de la force et de l’empowerment.
Comment choisissez-vous les pièces qui seront programmées ?
Pour cette première saison, j’ai lancé un appel à projets, mais face au grand nombre de propositions, je l’ai rapidement clôturé. En sélectionnant les pièces, je me suis rendue compte que beaucoup d’autrices traitent des violences, de viol, d’inceste… ce qui est notre réalité, donc c’est essentiel que l’on en parle, mais cela peut aussi rendre l’atmosphère trop lourde.
Si cette parole doit être entendue, je veux aussi proposer des textes d’autrices du passé, du matrimoine. Je veux aussi proposer des œuvres qui inspirent, qui donnent de la force et de l’empowerment. Il est essentiel que les pièces respectent une éthique claire : pas de stéréotypes sexistes ou de discours contraires aux valeurs du lieu, mais une diversité de voix et de perspectives.
Enfin, je veux laisser aux autrices la liberté d’écrire sur tout sujet qui nourrit leur geste artistique.
Votre projet va au-delà du théâtre « classique » avec des événements comme des cabarets, des apéros littéraires, etc. Comment est-ce que tout cela s’inscrit dans l’identité du lieu et l’expérience du public ?
L’idée, en fait, est de réinventer l’expérience théâtrale pour un public plus large. J’ai constaté que de moins en moins de gens se rendent au théâtre, mais qu’ils fréquentent les cafés. Alors, pourquoi ne pas introduire l’ambiance d’un café dans un théâtre !? C’est ainsi que sont nés “les mercredis cabaret”. Initialement, je voulais proposer cela une fois par mois, mais en raison du grand nombre de propositions reçues, j’ai décidé de le faire chaque semaine.
Concrètement, chaque mercredi soir, les spectatrices/spectateurs pourront investir le théâtre avant l’heure de la représentation, et s’asseoir autour de tables, pour échanger, se rencontrer… Après ce moment convivial, une prestation scénique sera proposée. Cela peut être du théâtre, de la musique, des tables rondes, des interventions de sociologues ou de philosophes, des conférences gesticulées, etc…
Ensuite, les artistes et intervenant·es resteront pour partager un moment avec le public, autour d’un verre. L’idée est de favoriser les échanges, les rencontres et le temps de la discussion.
Le concept du Local des Autrices ressemble beaucoup à celui du Théâtre des Lila’s à Avignon, un lieu dédié aux créatrices, metteuses en scène, compositrices, chorégraphes… Vous êtes d’ailleurs associée à la programmation là-bas.
Effectivement, le concept est le même dans les deux lieux. Nous l’avons imaginé ensemble pour le Théâtre des Lila’s et quand l’occasion s’est présentée, il m’a paru essentiel de créer un lieu dédié aux autrices à Paris. Encore aujourd’hui, elles restent moins mises en lumière, moins produites, moins visibles.
Nous avons décidé de tisser des liens, des passerelles entre les deux lieux, pour offrir des opportunités aux artistes et leur permettre de voyager entre Paris et Avignon.
Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles vous êtes confrontée dans ce projet ? Est-ce que vous avez des peurs ou des envies particulières ?
J’ai beaucoup d’envies (rires). Ma plus grande envie est de faire de ce lieu un véritable espace de vie, où chacun·e se sente libre de venir, sans crainte d’être exclu·e pour une raison quelconque. Il doit aussi être un lieu où l’on puisse échanger et réfléchir. Le théâtre sera bien sûr au cœur de cette démarche, comme geste artistique mais aussi politique. L’idée est de créer un espace où le débat se substitue à la dispute.
L’aspect financier reste également un vrai défi. A l’heure où les subventions se réduisent comme peau de chagrin, il est crucial de rendre le lieu économiquement viable tout en permettant aux compagnies de partir sans dettes, contrairement à ce qui peut parfois se passer à Avignon.
Enfin, il y a la question de l’engagement du public. Paris regorge de lieux formidables, mais certains restent sous-fréquentés. Il est donc essentiel de faire un travail de médiation culturelle, afin de développer une vraie diversité de publics.
Et justement, comment comptez-vous faire venir le public du quartier ?
Nous allons travailler sur une politique tarifaire adaptée, mais aussi sur l’implication du public. Par exemple, nous prévoyons d’organiser des ateliers pour les spectatrices/spectateurs afin qu’elles/ils puissent devenir des actrices/acteurs du lieu, en participant à des discussions ou en montant sur scène.
En plus de cela, nous irons directement à leur rencontre. Chaque compagnie programmée sera invitée à réfléchir à une action de médiation culturelle, qu’il s’agisse d’un bord de plateau, d’une rencontre avec les habitant·es du quartier ou d’une présentation de leur spectacle dans un kiosque citoyen. L’idée est d’amener la culture au cœur du quartier et de rompre avec l’idée qu’elle ne concerne que les initié·es.
À long terme, quels sont vos objectifs pour ce lieu ? Qu’espérez-vous réaliser ?
Mon ambition à long terme est de faire de ce lieu un véritable espace de création et de réflexion, où chaque personne se sente légitime à prendre la parole, que ce soit en tant que spectatrice/spectateur ou participant·e. Je souhaite que la voix des femmes et des minorités soit non seulement entendue, mais qu’elle devienne un moteur pour de nouveaux récits et débats. Ce lieu doit aussi être un carrefour de rencontres humaines, où les gens viennent non seulement pour les spectacles, mais aussi pour rencontrer, échanger, discuter, oser l’altérité.
Propos recueillis par Périne Sedex blogueuse