DOSSIERS Nora Atalla : « Mes racines méditerranéennes : une empreinte indélébile »

Je suis née au Caire, cette ville effervescente où chaque pierre porte la mémoire de civilisations anciennes. Pourtant, mes racines plongent bien au-delà des rives du Nil, dans l’immensité de la Méditerranée. Mes parents, d’origine gréco-libanaise et franco-géorgienne, portaient en eux les couleurs et les contrastes de ces terres où se croisent langues, cultures et croyances. Ils étaient des enfants de la Méditerranée, et cette mer, si riche en histoires, coule dans mes veines.

Mon enfance a été marquée par l’exil. Mes parents, chrétiens, ont dû fuir l’Égypte sous le régime de Nasser; ils avaient appris à se réinventer, à survivre dans l’incertitude. Entre le Liban, l’Égypte et la France, ils ont appris à se reconstruire, à redéfinir leur identité. Finalement, c’est au Québec que nous avons posé nos valises et trouvé un refuge; des valises lourdes de souvenirs, de blessures et de langues mêlées, néanmoins, d’espérance. Mais la mort de mon père tout juste un an après notre arrivée au Québec a été dévastatrice pour toute ma famille. Cette mort et ce déracinement ont profondément marqué ma vision du monde. Dans cet ailleurs québécois, j’ai trouvé une patrie, une terre d’accueil hospitalière, et bien que mes origines soient multiples, je me suis toujours sentie Québécoise. Loin des rives chaudes de la Méditerranée, d’abord enfant, puis adolescente et jeune adulte, j’ai découvert une autre manière d’être, une autre manière de rêver.

Le français, une vocation façonnée par ma famille et mes origines

Lorsque ma famille a posé ses valises au Québec, j’étais donc encore enfant. Mon père avait choisi cette terre francophone, car elle représentait à ses yeux une promesse : celle de préserver notre langue maternelle. Il disait que nous étions Libanais aux anglophones, Français aux francophones. Cette dualité, ce jeu d’adaptation, a marqué ma relation au monde et à mes écrits. L’exil, le déracinement et la quête identitaire ne sont pas que des thèmes pour moi, ce sont des vérités que je porte en moi, à chaque ligne que j’écris.

Ma mère, autodidacte passionnée, aimait le français avec une ferveur contagieuse. Elle maniait cette langue avec une élégance rare, mieux que certains érudits. Elle me l’a transmise comme un flambeau, sans effort, par simple proximité. Les langues ont toujours été une richesse pour mes parents. C’est devant la télévision que j’ai appris l’anglais, et c’est sous le soleil du Honduras, pendant deux années de vie là-bas, que j’ai appris l’espagnol.

À la mort de mon père, son frère a pris la relève. Chaque été, il quittait Paris pour venir à Montréal et nous offrait des dictées exigeantes, presque chaque jour. Il m’a transmis l’amour des mots et, pour mes 15 ans, m’a tendu un trésor : Au bonheur des dames d’Émile Zola. Ce fut le coup de foudre. Ce livre a changé ma vie, éveillant en moi un amour irrévocable pour la littérature.

Le parcours d’une femme écrivaine : obstacles et résilience

Être femme et écrivaine, c’est emprunter un chemin semé d’embûches. Dans un monde littéraire souvent dominé par des voix masculines, j’ai dû me battre pour faire entendre la mienne. Les jugements, les doutes, et parfois la solitude m’ont accompagnée, mais ils m’ont aussi forgée. Mon premier roman, La couleur du sang, a mis dix ans avant de trouver preneur; il a enfin été publié en 2007 à compte d’éditeur, à Québec.

J’ai transformé ces épreuves en force, en détermination. Chaque page écrite est une victoire sur les silences imposés. Mais ce parcours n’a pas été qu’un combat. Il a été illuminé par des rencontres marquantes : des poètes, des éditrices/éditeurs, un lectorat passionné. Ces échanges ont été des phares dans ma traversée, me rappelant sans cesse l’importance et la puissance de la parole partagée. Mon plus grand supporteur de tous les temps est un homme, mon mari, qui a toujours cru en moi et en mon travail.

Depuis le premier livre en 2007, une quinzaine ont paru chez différents éditeurs (poésie, roman, nouvelles) et mes textes ont été publiés dans une cinquantaine d’anthologies, de collectifs ou en revues.

Les moments charnières de mon écriture et les sources d’inspiration

La Méditerranée, l’Afrique, leurs contrastes, leurs douleurs et leurs espoirs, et les océans qui les entourent sont le fil conducteur de mon écriture. Le fait d’avoir vécu quelques années ici et là, Honduras, République démocratique du Congo, Cameroun, Maroc, et d’avoir voyagé dans plusieurs autres pays, dont l’Égypte, le Liban, la Tunisie, la France, et j’en passe, m’a permis de plonger dans l’âme de leurs habitant·es. Ces périples ont donné naissance à des œuvres qui ont été reconnues et primées, comme Morts, debout! et La révolte des pierres, qui célèbrent la résilience des peuples face aux épreuves. Mon tout récent recueil, Varappe, explore les thèmes de l’exil, de l’errance et de la migration, et de la quête de sens. À travers la métaphore de la varappe, je trace des parallèles entre l’ascension d’une paroi rocheuse et l’effort constant pour surmonter les obstacles, de la traversée des océans et de celle de l’existence. Je cherche à mettre en lumière les luttes intérieures, le doute, mais aussi les éclats de victoire et de liberté.

Recevoir en 2022 le Prix international de poésie Annette Mbaye-d’Erneville du Festival international de littérature de Dakar, puis en 2023, le Prix Artiste de l’année dans la Capitale-Nationale du Conseil des arts et des lettres du Québec et le Prix d’excellence de l’Institut Canadien de Québec, a été une reconnaissance précieuse. Mais mes plus grandes réussites restent les liens tissés avec mes lecteurs et lectrices qui trouvent dans mes mots un écho à leur propre vie.

Les livres voyageurs : entre mission et passion pour la littérature

Mon projet « Les livres voyageurs », que j’ai lancé en 2009, est né d’un rêve : faire voyager la littérature québécoise et canadienne francophone hors des frontières du Québec. En portant des livres dans les bibliothèques du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Europe et des Amériques, je souhaite bâtir des ponts entre les cultures.

Désormais, près de 1225 ouvrages ont trouvé leur place dans 10 pays sur les rayons de bibliothèques nationales et universitaires sur les quatre coins du globe. Chaque livre envoyé, chaque atelier littéraire animé, est une façon de célébrer la diversité des voix et de rappeler que les mots, comme la Méditerranée, savent unir les mondes. Ce projet me permet d’incarner mes valeurs : la transmission, l’engagement et l’ouverture à l’autre.

Femmes et Méditerranée : écrire pour relier et célébrer

Aujourd’hui, en tant que femme, poètesse et écrivaine, je ressens une responsabilité : celle de donner une voix aux femmes, en Méditerranée et de par le monde. Dans mes œuvres, je célèbre la force de ces femmes, mais aussi leurs luttes et leurs rêves.

Écrire est un acte de mémoire, de résistance et de transmission. À travers chaque mot, chaque projet, je veux célébrer ces passerelles mystérieuses qui relient les cultures, les peuples, et les cœurs.

C’est entre mes racines méditerranéennes et mon ancrage québécois que je trouve ma liberté de création. On me dit « citoyenne du monde »… C’est là, dans cet espace entre deux rives, que je continuerai de raconter les histoires qui nous unissent. Que mes écrits transcendent d’où je viens, qui je suis et où je vais, qu’ils deviennent une voix sans frontières, portée par le souffle universel de l’humanité. Que toutes celles qui vivent dans l’ombre du silence imposé sachent que j’élève ma voix pour elles. Que ma plume est porteuse de leurs histoires et de leurs rêves qui méritent d’être entendus. Je raconterai toujours leurs luttes invisibles. Pour leurs mots qu’on ne les laisse pas dire, j’écris. Je raconte leurs espoirs, leur souffrance, leurs joies, à travers ma poésie, mes romans ou nouvelles, afin que jamais le silence ne devienne l’oubli.

Nora Atalla, poètesse et écrivaine

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