Articles récents \ Monde Commission de la femme à l ‘ONU : entre bilan amer et oublis

Heureusement, il fait beau ! Pour les milliers de délégué·es des gouvernements et des ONG venu·es cette semaine à New York participer à la 69e réunion de la Commission de la condition de la femme, trente ans après celle de Pékin qui avait tant marqué d’avancées, le ciel bleu adoucit un peu le sentiment de recul en arrière. En effet, l’expression est aujourd’hui dans la bouche de toutes et tous, depuis celle du secrétaire général des Nations Unies à celle d’Aurore Bergé, ministre française de l’égalité entre les femmes et les hommes, en passant par Nicole Ameline, ancienne ministre et spécialiste de la Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Un exemple ? La déclaration adoptée dès le premier jour par les Etats ne mentionne même plus les droits sexuels et reproductifs, au contraire des textes adoptés en 1995… Et l’ONU d’enfoncer le clou dans un rapport publié le 8 mars qui passe les droits des femmes en revue 30 ans après Pékin ; « Les droits des femmes et des filles font face à des menaces de plus en plus grandes, jamais vues jusqu’ici, sur toute la planète. A cause des discriminations grandissantes et de protections juridiques plus faibles, mais aussi à la baisse des subventions pour les programmes qui les visent ». De plus, une étude montre qu’un quart des pays de la planète montre aujourd’hui un recul sur les droits des femmes. Le « poison du patriarcat est de retour », comme l’exprime Antonio Guterres, secrétaire générale des Nations unies, jamais avare de formules choc.

La France, en ce domaine, s’exprime toutefois d’une voix claire : lorsque sa représentante porte encore et toujours la voix de l’abolition en promettant de « s’attaquer de toutes nos forces à l’exploitation sexuelle des femmes qui est la forme la plus forte d’exploitation », lorsque le fait que l’IVG soit entrée dans la constitution fait pâlir d’envie d’autres pays, lorsque nous commençons a travailler sur les cyber violences et les nouveaux dangers qu’elle font vivre aux femmes, notre position est forte. Réconfortante en quelque sorte. Car les sujets égrenés par les ONG présentes à New York semblent frappés d’une désespérante immobilité : excision, violences domestiques, femmes victimes de trafic, femmes immuablement violées pendant les conflits … Pour qui était présente à Pékin il y a trente ans, l’impression de vouloir remplir un puits sans fond est présente. A ce sentiment il ne faut pas oublier d’ajouter la situation politique mondiale, la montée des masculinistes et les bruits de bottes, une participante observe : « Ok, les droits des femmes vont mal, mais c’est le monde entier qui va mal ! »

Mais le but de ces réunions internationales étant aussi de permettre de nombreux échanges entre militantes de tous les pays, certaines rencontres donnent espoir et permettent à cette autre participante de se réjouir que « ces rencontres soient en quelque sorte des colonies de vacances pour féministes ! ». ce qui n’est pas inutile lorsqu’on prend conscience de l’urgence de l’engagement collectif par delà les frontières. Lors du lancement, par exemple, du Forum des jeunes féministes francophones sous l’égide d’ONU Femmes dans lequel de jeunes canadiennes, françaises et africaines décident d’échanger et de construire des plaidoyers ensemble, et espérant pouvoir le faire en compagnie de militantes plus historiques, malgré les différentes façons d’agir. Ou cette table ronde organisée avec des représentantes de différents pays, France, Suède, Canada et Mexique pour trouver des solutions à la déferlante de violences en ligne, « cette violence contre laquelle aucun pays ne peut lutter seul car elle est partout et ne s’arrête pas aux frontières  »  comme l’a souligné la canadienne Lisa Hepfner. La possibilité donnée par ce genre de conférence de partager des points de vue reste, d’année en année, d’anniversaire en commémoration, essentielle. Mais quelles solutions proposer ensuite ?

Et c’est là que le bât blesse… Trop nombreuses sont les tables rondes qui, après avoir déploré certaines situations, ne proposent que des recommandations dont on devine qu’elles risquent de ne rester que des souhaits. Éduquer les sociétés pour éradiquer les stéréotypes qui défavorisent les femmes ? Comment ne pas être d’accord ? Protéger les victimes, bien sûr, mais dans le cas des victimes de traite, le manque cruel d’aide à l’intégration est partout dénoncé. Et pourtant les textes internationaux sont bien là : la Convention pour l’élimination des violences envers les femmes, la Convention d’Istanbul, et d’autres comme la résolution 1325 de l’ONU qui, depuis qu’elle a été votée en 2000,demande sans effet que l’on prenne en compte les femmes dans la résolution des conflits.

Alors, l’ONU serait-il devenu le symbole des « Nations désunies » qui enterrent les droits de l’homme ( et de la femme!), comme le titrait un livre de Malka Marcovich il y a quelques années? Certainement, mais comme la démocratie, ce n’est peut- être pas le meilleur des systèmes, mais c’est celui qui existe. Malgré l’impossibilité de parler de certains sujets concernant le corps des femmes dans les textes qu’elle publie, malgré l’ironie dont elle fait souvent preuve en mettant par exemple cette année à la présidence de la commission l’Arabie Saoudite, pays qui a encore besoin de faire ses preuves dans l’égalité entre les sexes, malgré le retrait des USA de l’OMS et les critiques récurrentes qui lui sont faites, l’organisation reste peut-être l’un de nos derniers espoirs de pouvoir faire face à un avenir inquiétant.

Moira Sauvage 50-50 Magazine

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