Articles récents \ DOSSIERS Marie-Noël Arras : « créer une maison d’édition de femmes, le revendiquer en face de personnes qui nous ont traitées de sexistes est un acte féministe »

Née en 1952 en Normandie, Marie- Noel Arras s’est mariée à 19 ans avec un étudiant algérien. Avec leurs 3 enfants, ils sont partis en Algérie en novembre 78. Elle a exercé les métiers d’ institutrice, d’enseignante de français langue étrangère (FLE) et de finisseuse en ébénisterie… Elle s’est repliée à Montpellier en 1994, a milité au sein d’une association de Solidarité avec les Femmes Algériennes (SAFA) puis avec Maissa Bey et Edith Hadri, elles ont créé les éditions de femmes Chèvre-feuille étoilée et la revue Étoiles d’encre sur les deux rives.

Pourquoi ce titre de votre maison d’édition ?

Le e d’étoilée marque le côté féminin de l’édition. Il se justifie par le fait que Chèvre-feuille est un mot composé de Chèvre (fém.) et de feuille (fém.)…

Outre la fleur que j’aime particulièrement et qui est à l’origine du titre de ma première nouvelle écrite un 8 mars dans un petit recueil dédié aux femmes d’Algérie à l’époque du terrorisme islamiste, ce nom d’édition évoque les femmes que nous sommes, têtues comme des chèvres et qui mangent aussi du papier comme elles. Étoilée, c’est pour le ciel d’Algérie et de toute la méditerranée à la demande de Leïla Sebbar, notre première marraine.

Quelle est l’originalité de Chèvre-feuille étoilée ? Et quel est votre angle de vue ?

Nous, fondatrices, Behja Traversac, Édith Hadri, Maïssa Bey et moi, sommes des femmes d’Algérie. Algériennes ou pas, nous y avons vécu assez de temps pour en être imprégnées.

Nous avons d’abord milité pour les femmes pendant les années noires alors que trois d’entre nous étaient exilées ou repliées à Montpellier. Puis nous avons œuvré pour faire entendre et donner à lire leurs paroles. C’est ainsi que la paix revenue, nous avons créé sur les deux rives, une revue « Étoiles d’encre », et une maison d’édition en même temps. Nous avons aussi porté un gros projet européen en co-fondant une association de femmes en Algérie, Paroles et écriture, présidée par Maïssa Bey, et en créant la première bibliothèque publique à Sidi Bel Abbes, lieu de résidence de trois d’entre nous. Au sein de cette bibliothèque, nous proposons cercles de lectures au féminin, lectures publiques, animation pour les enfants et les jeunes, ateliers d’écriture et expositions .

Qu’est-ce qui, dans votre parcours personnel, vous a donné l’idée de créer votre propre maison d’édition ?

Au-delà de mon goût pour la lecture (j’ai appris seule à lire à l’âge de 4 ans en écoutant les grands de la classe unique de mon parrain, comme Maïssa Bey écoutait ceux de la classe de son père d’ailleurs…), j’ai fait un diplôme de FLE et j’aimais lire des extraits de livre à mes élèves. Repliée en France en 93, je me suis plongée dans la littérature algérienne pour faire connaître la culture de l’Algérie aux Françaises et Français lors d’événements organisés par l’association SAFA (Solidarité avec les Femmes d’Algérie) de Montpellier, créée par les femmes qui se sont retrouvées à Montpellier alors que leur vie était en danger en Algérie.

Parallèlement, je travaillais avec un metteur en scène, sur la lecture à haute voix en public et les deux se rejoignaient. Lorsque j’ai pu repartir en Algérie, nous avons arrêté l’activité de SAFA tout en désirant la prolonger autrement, Behja Traversac et moi. Grâce à cette association, j’ai fait diverses rencontres, théâtrales avec Jocelyne Carmichael, poétiques avec Dominique Le Boucher, poétesse qui écrivait sur ce pays et qui faisait des entretiens avec des autrices/auteurs algérien·nes pour la revue Algérie/littérature de Marie Virolle, littéraires aussi avec Maïssa Bey, amie depuis longtemps et il m’a semblé évident de créer un espace de paroles et d’écriture au départ pour les femmes d’Algérie et de la Méditerranée et plus tard ouverte à toutes les femmes. Dominique Le Boucher a permis de trouver des marraines pour notre revue Étoiles d’encre dont Leïla Sebbar, Alice Cherki, Hélène Cixous, Sophie Bessis, Cécile Oumhani, Karima Berger, Wassyla Tamzali, Claude Ber et Jocelyne Carmichael… que je revois régulièrement et qui ont écrit régulièrement dans cette revue…, et elle a dirigé la revue Étoiles d’encre quelques années tout en travaillant aussi dans une des collections.

En quoi êtes-vous féministe ?

Si une féministe est une personne qui soutient l’égalité des droits pour les femmes, je le suis de naissance. Élevée entre deux garçons, je n’avais d’autre choix que de me battre pour avoir ma place, de me révolter lorsque mes frères pouvaient aller jouer alors que moi, je devais garder ma petite sœur, et aider ma mère. J’avais 17 ans en 1968 et j’étais interne au lycée de jeunes filles de Saint-Quentin dans l’Aisne, les voix des féministes sont arrivées jusqu’à nous, mais un peu filtrée… Mes parents m’ont donné une éducation sexuelle soft toute petite, mais c’est une fois mariée (à 19 ans) et maman (à 20 ans) que j’ai découvert en librairie Notre corps-nous-même créé par un collectif de femmes américaines, l’année de sa parution en France en 77 que j’ai découvert ce que les femmes avaient à me dire, leur combat, et appris sur mon corps.

Ensuite, étant partie avec mon époux dans son pays, je ne pouvais qu’être féministe quand je découvrais le code de la famille en Algérie. Mais je n’en avais aucune conscience. Je n’étais pas militante.

Mon amie Behja faisait elle, partie d’un formidable collectif « Citoyennes Maintenant » à Montpellier, je ne les ai rejointes que tardivement, ayant peur d’une certaine radicalité.

Mais créer une maison d’édition de femmes, le revendiquer en face de personnes qui nous ont traitées de « sexistes » est un acte féministe. Et, au fur et à mesure des 25 années de travail sur des textes de femmes et d’accompagnement de ces textes, en parallèle avec la régression de mentalités dans le monde et des injustices faites aux femme,  je me revendique de plus en plus comme féministe. Sans pour cela me reconnaître complètement dans la nouvelle génération même si j’aime me retrouver avec elles au cours de certaines lectures… Je fais partie aussi de groupes de défense des droits des enfants et des femmes en particulier. Comme Soutien Ciivise ou le GAMS.

On ne devrait pas avoir besoin de se définir comme féministe…

Propos recueillis par Edith Payeux 50-50 Magazine

Photo de Une : Enfance des filles Ed. femmes Chèvre-feuille étoilée

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