Brèves L’analyse d’Osez le féminisme ! du rapport parlementaire sur la définition pénale du viol : face à la culture du viol, l’introduction du consentement peut devenir un piège pour les victimes
Le rapport parlementaire présenté par les députées Mme Riotton et Mme Garin propose, pour mieux lutter contre le viol, d’introduire la notion de consentement dans la définition du viol dans le Code pénal. Si cette démarche se veut progressiste, notre analyse révèle qu’elle pourrait, au contraire, être inutile, voire renforcer les obstacles à la reconnaissance des violences sexuelles et maintenir une justice profondément inégalitaire.
Un système pénal imprégné de culture du viol
Le viol est un crime systémique et sexiste. La justice continue de se focaliser sur le comportement des victimes plutôt que sur les actes des agresseurs, en raison de stéréotypes profondément ancrés. Cette prégnance de la « culture du viol » se traduit par des statistiques accablantes en termes d’impunité :
- 168 000 viols ou tentatives de viols chaque année.
- Seules 6 % des victimes de viol ou d’agressions sexuelle parviennent à porter plainte.
- Moins de 0,7 % des viols aboutissent à une condamnation.
Ces chiffres ne sont pas le fruit d’une simple inadaptation législative, mais d’un système judiciaire qui perpétue l’impunité des agresseurs, en interrogeant sans relâche la crédibilité des victimes et en déplaçant sur elles le fardeau de la preuve.
Consentement : une fausse solution qui détourne le regard des rapports de force
L’introduction de la notion de consentement dans la définition légale du viol est présentée comme un progrès, mais elle masque des enjeux fondamentaux. Le consentement est un concept fragile, subjectif et manipulable. Les agresseurs fabriquent souvent une apparence de consentement en utilisant des stratégies de provocation de la sidération, d’emprise ou de coercition morale, rendant cette notion inopérante dans de nombreuses situations.
En plaçant le consentement au cœur du dispositif pénal, on risque de perpétuer les biais sexistes existants. Les victimes seraient encore plus exposées à des interrogatoires intrusifs sur leurs comportements, leur tenue vestimentaire ou leur passé. Ce sont autant d’éléments qui, dans une société imprégnée de préjugés, peuvent être utilisés par les agresseurs pour se disculper.
Appliquer pleinement la loi, plutôt que la modifier
Une analyse de la jurisprudence par le Conseil National des Barreaux démontre que la violence, contrainte, menace ou surprise, qui caractérise aujourd’hui le viol, permettent déjà d’intégrer des situations diverses comme la sidération, l’abus de vulnérabilité ou d’autorité, la soumission chimique, l’emprise psychologique. Mais ces possibilités sont insuffisamment mobilisées par l’institution judiciaire qui classent sans suite une grande majorité des plaintes. Il est crucial de :
- Clarifier par une circulaire de politique pénale les possibilités offertes par la jurisprudence actuelle, les connaissances scientifiques sur les mécanismes psychotraumatiques et les stratégies d’emprise et de coercition des agresseurs.
- Recentrer les procédures judiciaires sur les actes des agresseurs, et non sur les victimes, pour éviter la victimisation secondaire.
- Former les magistrat·es et enquêteur·ices pour se débarrasser des représentations sexistes sur le viol.
- Motiver chaque classement sans suite.
Une réforme tronquée face à un crime systémique
Enfin, l’introduction du consentement est une réponse isolée, insuffisante face à l’ampleur des violences sexuelles. La justice ne peut être réellement efficace sans une approche globale, incluant :
- Une loi-cadre de protection contre les violences sexuelles, intégrant prévention, éducation et accompagnement des victimes.
- Un investissement conséquent dans les moyens humains et financiers, pour garantir une justice accessible et équitable. Les classements sans suite ne doivent pas être la variable d’ajustement d’une justice sans moyens suffisants.
Une réforme déconnectée des réalités internationales
Plusieurs pays ayant introduit le consentement dans leur législation, comme le Royaume-Uni ou le Canada, continuent de faire face à des taux de condamnation très faibles. Ces échecs démontrent que le consentement, en tant que critère juridique, ne suffit pas à améliorer la prise en charge des victimes ni à réduire l’impunité des agresseurs. Dans le cas d’un pays où le nombre de condamnations a augmenté, comme la Suède, cela était dû à deux facteurs majeurs : la législation précédente sur le viol était extrêmement limitée et d’importants investissements ont été réalisés pour enquêter sur les affaires.
Pour une justice féministe et efficace
Nous demandons une réforme qui s’attaque aux causes systémiques des violences sexuelles, et non une mesure cosmétique qui risque de détourner l’attention des vrais enjeux. La lutte contre les violences sexuelles ne peut se contenter d’une réforme symbolique : elle exige une transformation radicale de la justice et de ses pratiques.