Articles récents \ France \ Société Sarah Abramovicz : “L’excision est pour moi le symbole du patriarcat et du pouvoir des hommes sur les femmes : ni leur propre corps ni leur plaisir ne leur appartiennent !”

En cette journée internationale du 6 février consacrée à la lutte contre les mutilations sexuelles, rencontre avec la doctoresse Sarah Abramovicz, gynécologue obstétricienne et chirurgienne à l’hopital de Montreuil. Elle y répare depuis de nombreuses années les femmes victimes d’excision et nous présente l’exposition “ Réparer les vivantes” qui va tourner dans les banlieues parisiennes pendant plusieurs mois.
Vous êtes aujourd’hui l’une des rares spécialistes en France qui réparent les femmes excisées qui le souhaitent. Qu’est-ce qui vous a conduite à faire ce choix?
Moi, je voulais en fait être pédiatre! C’est un stage à l’hôpital Robert Debré qui m’a fait rencontrer l’excision pour la première fois. Une petite fille africaine d’un an avait été amenée par son père souffrant de graves problèmes cérébraux, dont elle a fini par mourir. Nous avons découvert en même temps qu’elle avait été envoyée en France par tout le village qui s’était cotisé pour elle et qu’elle avait été victime d’excision. Certain·es ont voulu dénoncer le père, mais celui-ci, qui ne savait même pas que son enfant avait subi ce que Touts/tous au village considéraient comme une tradition normale, n’allait quand même pas aller en prison parce que sa femme avait voulu que la petite “arrive en France propre”… alors je me suis demandé “ mais pourquoi donc faire ça à un corps d’une toute jeune enfant?”
Ce fut ma première rencontre avec l’excision, elle fut suivie de nombreuses autres lorsque je suis devenue gynécologue. Et l’excision est devenue pour moi le symbole du patriarcat et du pouvoir des hommes sur les femmes : leur corps ne leur appartient pas, et plus tard le plaisir non plus. Sur le plan culturel aussi bien que sociétal, cela signifie que les femmes sont inférieures aux hommes et que leur corps est à la disposition de ces derniers. Donc pour moi, devenir gynécologue, cela m’a permis de faire le lien entre la médecine et le féminisme! Et puis j’ai rencontré le collectif “Excision Parlons-en!” qui réunissait une vingtaine d’associations concernées par ce problème, et comme j’avais fait ma thèse en 2013 sur la réparation de l’excision, il m’a semblé évident que nos chemins étaient vraiment parallèles.…
Mais vous devez beaucoup aussi à d’autres rencontres…
Oui, bien sûr, je dois énormément au docteur Pierre Foldes qui a inventé cette technique de réparation du clitoris qui a été mutilé par le couteau de l’exciseuse. Il l’avait mise au point après avoir travaillé en Afrique et c’est en fait une intervention a la fois aussi simple qu’efficace, avec très peu de complications, c’est vraiment génial d’avoir inventé ça! En pratique, on récupère le nerf derrière le clitoris (qui est beaucoup plus long qu’on l’imagine, mais caché), on enlève les tissus qui ont été abîmés par l’excision et, en tirant légèrement, on reconstruit un clitoris. Une anecdote exprime bien ce que cela peut représenter pour une femme, c’est celle d’une femme âgée de quatre-vingt ans qui a souhaité être réparée en me disant qu’elle serait heureuse de “rencontrer bientôt son Dieu telle qu’il l’avait créée”…
Mais je dois aussi beaucoup à toutes celles et ceux qui m’ont accueillie dans mes études, et aussi à la doctoresse Ghada Hatem gynécologue à l’hôpital Delafontaine en seine Saint Denis où elle a créé la première Maison des femmes. Où les femmes excisées sont réparées mais aussi comprises, aidées, aussi bien sur le plan psychologique. Car soigner l’excision, c’est aussi ça : pas seulement de la chirurgie, mais aussi l’aspect psychologique, sociologique, des groupes de parole, de la danse ou du sport pour se réparer, de la sexologie…
Finalement, comment revivent les femmes après être passées dans votre hôpital ?
Je peux l’affirmer : beaucoup mieux! Aucune ne m’a jamais dit qu’elle n’était pas contente, même si une ou deux femmes par an se plaint de douleurs qui durent quelque temps. Mais lorsque l’opération est passée, je dirais que, outre le fait qu’elles ne souffrent plus lorsque l’excision avait laissé des traces douloureuse et qu’elles retrouvent du plaisir, l’essentiel est peut-être qu’elles ont décidé par elles-mêmes de prendre cette décision. On peut vraiment dire que c’est un succès à la fois physique et psychologique dans 95% des cas. Ce sont donc aujourd’hui environ 500 femmes excisées qui sont réparées en France, principalement par le docteur Foldes et moi-même, même si elles peuvent le faire dans d’autres hôpitaux.
Pour moi, cette possibilité de main tendue aux femmes est formidable, et elles me le rendent bien! Je reconnais que nous faisons très peu par rapport aux 200 millions de femmes excisées dans le monde, et que le phénomène persiste : lorsqu’il s’atténue dans un pays, il se renforce ailleurs… Mais si la France a été et reste pionnière dans cette réparation, j’ai quand même le sentiment que ce travail “de niche” ouvre sur l’humanité, notre humanité. Si un jour on arrêtait d’exciser, le monde irait tellement mieux!
L’association que vous présidez aujourd’hui à l’hôpital “Réparons l’excision” a donc créé une exposition itinérante qui va pouvoir être vue d’abord à la mairie de Montreuil puis dans d’autres villes d’Ile de France
En effet, c’est une exposition que nous avons préparée pendant 18 mois, faite à la fois de photos et de sons. Elodie Ratsimbazafy et Karine Le Loet sont venues en immersion dans l’hôpital et ont interrogé les femmes dont on pourra écouter les témoignages en scannant les QR codes sous les photos, ainsi que les sons et ambiances du service ou du bloc opératoire. Elle va circuler à Pantin, au Pré Saint Gervais puis Bagnolet et enfin Paris. Elle va, nous l’espérons, sensibiliser le grand public à l’excision, mais de manière positive!
Propos recueillis par Moira Sauvage 50-50 Magazine