Articles récents \ France \ Société Alyssa Ahrabare : «C’est une chance de pouvoir travailler avec des militantes, des expertes, des activistes de tous les pays de l’Union européenne»

La Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes (CLEF) regroupe 80 associations françaises qui défendent les droits des femmes dans de nombreux domaines. La Coordination fait partie du Lobby Européen des Femmes (LEF), elle est très impliquée dans les questions européennes et aussi internationales . Alyssa Ahrabare en est aujourd’hui la présidente.
Pouvez vous nous présenter la CLEF?
La Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes est un réseau de 80 associations de défense des droits des femmes, des associations très variées, qui se concentrent sur différents sujets. Certaines accompagnent les femmes migrantes et demandeuses d’asile, d’autres se concentrent plutôt sur les problématiques spécifiques aux femmes porteuses de handicap, d’autres sont des associations de terrain qui travaillent avec les victimes de la prostitution.
La première richesse de la CLEF, c’est son réseau associatif, qui lui permet d’avoir une expertise sur un très grand nombre de sujets liés aux droits des filles et des femmes, à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Notre spécificité, c’est que nous faisons partie du Lobby Européen des Femmes (LEF) dont nous sommes la coordination française. Le LEF est la première force féministe en Europe, qui rassemble un réseau de 2000 organisations de droits des femmes dans 27 États membres de l’Union européenne.
C’est véritablement une chance de pouvoir travailler avec des militantes, des expertes, des activistes de tous les pays de l’Union européenne. Et de soutenir mutuellement les initiatives des unes et des autres, partager des informations et évidemment organiser un plaidoyer commun auprès des institutions européennes.
Quel est son travail principal ?
La CLEF est essentiellement une organisation de plaidoyer, ce qui signifie que nos actions vont se concentrer à la fois sur la sensibilisation, les campagnes mais aussi et surtout sur le lobbying au niveau français, au niveau des institutions européennes et du Conseil de l’Europe, et également au niveau des Nations Unies. Nous travaillons pour l’application de la Convention sur l’élimination de l’ensemble des formes de discrimination contre les filles et les femmes (CEDEF) et aussi dans le cadre de la Commission de la Condition de la femme (CSW).
Parlez-nous de vos objectifs pour l’année 2025 ?
Cette année 2025 est une année spéciale puisqu’elle marque l’anniversaire Pékin +30. Ce sera l’occasion de faire le bilan des objectifs de la plateforme d’action de Pékin et de faire l’état des lieux de l’accès aux droit des femmes dans le monde. Nous suivons la mise en œuvre des obligations européennes et internationales. Évidemment, nous poussons pour améliorer ces cadres juridiques et en créer de nouveaux plus protecteurs pour les femmes.
Nous travaillons tout d’abord sur la mise en œuvre de la directive européenne sur la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences domestiques. Cette directive a été adoptée en avril 2024. La CLEF a beaucoup travaillé pour améliorer le texte de cette directive avec le Parlement européen et la représentation permanente de la France à Bruxelles. 4 articles concernant les violences sexistes et sexuelles en ligne sont particulièrement pertinents parce qu’il existe un manque de cadres juridiques sur ces violences spécifiques qui sont en constante explosion depuis ces dernières années.
Vous organisez bientôt un colloque avec Osez le féminisme !
Nous organisons un grand colloque en partenariat avec Osez le féminisme ! sur le sujet des violences en ligne et de l’exploitation sexuelle en ligne, la cyber prostitution, la digitalisation de la traite des êtres humains, la porno criminalité, la pédocriminalité en ligne. C’est un colloque international qui se tiendra à Strasbourg le 14 février 2025 et qui rassemblera des actrices/acteurs de nombreux pays dont notamment des eurodéputées de différents pays. Nous accueilleront également des expertes, des chercheuses, des avocates, des militantes et des associations de terrain.
Nous allons créer l’appel de Strasbourg, avec un certain nombre de recommandations concrètes sur ces sujets et rassembler des associations partenaires qui viennent de toute l’Europe.
Nous préparons la Commission de la Condition de la femme (CSW). Nous y apporterons des sujets notamment liés à l’accès aux droits pour les femmes migrantes, en partenariat avec l’Organisation internationale de la Francophonie. Nous lancerons une nouvelle initiative la “Women’s Plateforme for Action International”, une nouvelle Organisation internationale de plaidoyer pour les droits des femmes, une organisation abolitionniste universaliste qui utilise aussi le principe de l’intersectionnalité. Son lancement officiel aura lieu lors de la Commission de la Condition de la femme (CSW) en mars prochain, parce qu’il y a très peu d’organisations de plaidoyer auprès des Nations unies qui soient abolitionnistes et c’est un réel manque.
Vous avez également le projet d’un colloque au Sénat…
Nous voudrions organiser un colloque au Sénat à la fin du semestre, sur les freins, les obstacles à la participation politique des femmes, que ce soit au niveau des recrutements et des pratiques des partis politiques, mais aussi dans l’exercice du mandat d’élue, les barrières à la fois symbolique et matérielle auxquels font face les femmes élues…
A cette occasion, nous inviterons notamment Nicole Ameline, qui est la rapporteuse de la recommandation générale 41 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l‘égard des femmes (CEDEF), qui est paru en octobre dernier justement sur cette thématique et auquel a participé la CLEF.
Ce travail de l’ombre, de recréer des relations, c’est aussi une de nos priorités de cette année entre un nouveau gouvernement, une nouvelle Assemblée nationale et un nouveau Parlement européen.
Vous faites partie de la coalition féministe pour une loi intégrale contre les violences sexuelles
Oui la CLEF est partie prenante de la coalition féministe pour une loi intégrale contre les violences sexuelles qui est une initiative coordonnée par la Fondation des Femmes qui rassemble plus de 60 organisations. Et nous avons rédigé 140 propositions de mesures concrètes qui sont à la fois d’ordre législatif, réglementaire, pour une meilleure prise en charge des violences sexuelles. Cela a découlé de l’actualité du procès Pélicot, du débat politique autour de la définition juridique du viol . Il y a le constat partagé par les associations que ce débat de la définition pénale, certes c’est important mais c’est quand même l’arbre qui cache la forêt car le véritable problème de la prise en charge des violences sexuelles, en France comme ailleurs, ce n’est pas tant la définition pénale du viol, mais bien le manque de plaintes et la quantité de classements sans suite.
Le manque de plaintes est dû à un manque de sensibilisation, de formation des professionnel.les à identifier les victimes, à un manque de performance du système judiciaire, de protection des victimes. Les classements sans suite sont liés à un manque de moyens, un manque d’enquêtes, de recherches de preuves, parce qu’un classement sans suite, évidemment, ne veut pas dire ? comme on l’entend parfois, que les femmes mentent, mais bien que les preuves n’ont pas été trouvées. Et souvent les preuves ne sont pas trouvées parce que les preuves ne sont pas recherchées. Donc nos recommandations portent sur ces différents leviers d’éducation, de sensibilisation et d’identification, prise en charge, protection des victimes. Nous proposons des mesures spécifiques pour les victimes migrantes, handicapées, mineures. Les femmes victimes d’exploitation sexuelle, dans la prostitution, dans la pornographie, les filles victimes de mariages forcés sont évidemment incluses.
Que proposez vous pour réformer la justice sur la question des violences faites aux femmes ?
Nous avons beaucoup travaillé sur une proposition de réforme de la justice, avec des tribunaux et , des parquets, des cours de justice, des cours d’assises spécialisées sur les violences gynécologiques obstétricales et sur les violences sexuelles au travail qui ont aussi des angles morts dont on parle trop peu. Cette spécialisation est nécessaire notamment pour articuler une réponse cohérente entre les contentieux au pénal et au privé. En effet, dans le cadre d’un procès pour violences intrafamiliales par exemple, il est important qu’un jugement de divorce ou une décision concernant la garde des enfants puisse se faire à la lumière des risques pour les victimes. Dans le cas du parquet, au niveau national, une spécialisation permettrait le pilotage d’une véritable politique coordonnée. En plus de cette spécialisation à tous les niveaux, nous prônons la création d’un poste de magistrat·e spécialisé·e, formé·e sur les questions de VSS, sur le modèle du Juge aux Affaires Familiale. Cela permettrait que ce/cette magistrat·e puisse siéger en cour d’assise en faisant, de fait, une cour d’assise spécialisée. Ainsi, le cadre de la cour d’assise, qui juge les crimes les plus sérieux et garantit la présence d’un jury populaire, serait maintenu pour les affaires de viol. Aujourd’hui, la majorité des procès pour viol sont jugés en cour criminelle départementale, et non plus aux assises. Pour assurer une chaîne cohérente tout au long du parcours judiciaire des victimes, des chambres spécialisées dans les cours de cassation devraient aussi être créées.
Nous avons rencontré des député.es qui veulent créer un groupe de travail sur le sujet pour réfléchir à la mise en place concrète de ces recommandations.
Quel est votre avis sur la question du consentement dans la définition juridique du viol
Concernant la définition pénale du viol, nous sommes très méfiantes concernant l’inclusion du consentement dans la définition juridique du viol. La définition française aujourd’hui se concentre sur les comportements des agresseurs et non pas sur les comportements des victimes. On voit que le consentement, de toute façon, est systématiquement soulevé dans les affaires pour viol, souvent au détriment de la victime, avec un certain nombre de stéréotypes sexistes associés.
Donc on va demander à la victime si elle a consenti et bien souvent, les soi-disant preuves du consentement vont être amenées par les comportements de la victime à travers un prisme sexiste. Par exemple, comment elle était habillée, ses pratiques sexuelles antérieures, voilà ce genre de réflexions.
Au niveau européen, les pays qui ont inclus le consentement dans la définition juridique du viol n’ont pas de niveaux ni de plaintes, ni de condamnations supérieures à la France. La seule exception est la Suède qui a vu le nombre de condamnations augmenter de manière significative après l’inclusion du consentement dans la définition juridique du viol. Mais cela est dû au fait que la définition du viol en Suède était extrêmement restrictive avant cette réforme. Elle concernait uniquement les cas de violences et menaces de mortt, donc violences physiques et menaces de mort. Or la définition française inclut la contrainte, la surprise, qui permet donc d’ouvrir un champ beaucoup plus large.
Cela nous pose aussi question en ce qui concerne la lutte contre certaines formes de violences, notamment la prostitution et la pornographie. Étant une organisation abolitionniste, nous avons tout à fait conscience que dans une société patriarcale, du fait de l’absence de choix des femmes qui sont bien souvent précarisées, le consentement finalement est bien souvent contraint. Consentir en société patriarcale pour une femme, c’est souvent céder et c’est donc l’argument qui est utilisé notamment en ce qui concerne certaines formes de violences extrêmes comme le BDSM, la prostitution, la pornographie, afin de pouvoir dire que les victimes ont consenti pour finalement assurer l’impunité des agresseurs. Or, on ne devrait pas pouvoir consentir à des atteintes à la dignité humaine, à l’intégrité physique et à des violations des droits fondamentaux.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine