Monde Evelyne Accad : «Les violences domestiques sont dorénavant de la compétence des tribunaux civils, et non plus religieux» 1/2

Evelyne Accad, née à Beyrouth vit entre le Liban, la France et les Etats-Unis. Elle est autrice, chanteuse/compositrice, poétesse, professeure émérite de littérature comparée francophone et arabophone, d’études africaines et féministes à l’Université d’Illinois, et à la Lebanese American University de Beyrouth. Elle a écrit de nombreux ouvrages dont l’excisée, Voyages en Cancer, Des femmes, des hommes et la guerre: fiction et réalité au Proche-Orient. Elle a reçu de nombreux prix, … Evelyne Accad se bat depuis longtemps pour l’égalité entre les femmes et les hommes. En 2008, elle a créé, avec sa sœur, un abri pour femmes battues Beit el-Hanane (Maison de la tendresse).

Qu’est que Beit el-Hanane et qui l’a fondé Beit el-Hanane ?

C’est ma sœur, Jacqueline Hajjar, et moi qui avons fondé un abri pour femmes battues à Beyrouth. Beit el-Hanane (Maison de la tendresse) est une organisation libanaise à but non lucratif qui procure, à travers son centre d’hébergement, un refuge sécurisé pour les femmes victimes de violences. Créée en 2008, elle permet d’accueillir femmes et enfants victimes de violences. À travers son réseau de professionnelles et de bénévoles, le centre d’accueil est un véritable lieu de prise en charge et de réhabilitation.

La question des droits des femmes au Liban est particulièrement sensible dans le contexte socioculturel non seulement libanais, mais aussi du monde arabe où les structures de la société reposent généralement sur l’inégalité des pouvoirs. Même si dans le contexte régional, le Liban est considéré comme l’un des plus « libéraux », ces inégalités y sont flagrantes et les violences faites aux femmes persistent.

En mai 2014, suite à la mobilisation de la société civile, dont nous faisons partie, le Liban a adopté la loi n°293 sur la protection des femmes et des autres membres de la famille contre les violences domestiques. Le Liban est un des rares pays du monde arabe à avoir adopté une telle législation. Ce texte marque une certaine avancée dans un pays où le statut personnel relève, de prime abord, de chaque communauté religieuse. Les violences domestiques sont dorénavant de la compétence des tribunaux civils, et non plus religieux. Ce nouveau cadre juridique reste toutefois largement insuffisant, en plus d’être faiblement appliqué dans la réalité.

L’association collabore avec plusieurs ONG et réseaux de femmes. Beit el Hanane  travaille sur les femmes victimes de violences et de viol, mais se lie avec des réseaux de divers secteurs axés sur les droits des femmes. Ces genres de partenariats sont vitaux pour l’organisation qui fonctionne avec un budget limité.

Quels sont les objectifs principaux de votre association ?

Dès 1994 la co-fondatrice, Jacqueline Hajjar,a pris sur elle d’offrir refuge, amour et soins à des dizaines de victimes sans défense de diverses formes de violences conjugales, pour leur fournir des soins d’abord dans la sécurité de son domicile et en utilisant des ressources personnelles, puis dans un cadre officiel et à une échelle beaucoup plus grande.

Tout au long de sa carrière d’enseignante, étant témoin de l’injustice et des mauvais traitements dont beaucoup de ses élèves souffraient, Jacqueline Hajjar a pris conscience de l’ampleur du problème des violences conjugales dans la société libanaise et du manque alarmant d’efforts concertés au sein de la société pour résoudre adéquatement cette question critique.

C’est avec cette préoccupation majeure à l’esprit que ma sœur et moi avons fondé Beit El-Hanane. L’association agit comme un véritable catalyseur de la transformation qui vise à briser le cycle des violences en mettant à disposition gratuitement des services d’hébergement à court et moyen terme, ainsi que des soins aux femmes, ainsi qu’aux enfants qui survivent à la violence familiale. Nous leur offrons également un soutien personnel, des services juridiques et des services d’orientation professionnelle pour leur réinsertion sociale.

Par son approche holistique et son réseau exceptionnel de professionnelles et de bénévoles, Beit-El-Hanane offre un milieu sûr, favorable et stimulant à toutes celles avec qui elle est en contact, indépendamment de leur appartenance religieuse, sociale ou politique.

Au-delà de sa mission d’offrir un environnement sécurisé et aimant, un lieu de transformation personnelle et de réhabilitation, Beit El-Hanane se consacre activement à promouvoir la sensibilisation et la mobilisation de la communauté vers l’amélioration de la situation politique, légale, sociale et économique des femmes et des enfants au Liban.

De plus, elle défend des causes supérieures, comme le respect des droits humains, le règlement des conflits et la prévention des violences.

Dans ses efforts pour créer un avenir sans violence pour le Liban, l’association s’est également associée à diverses ONG et défenseuses, défenseurs des droits des femmes comme KAFA, YWCA, Dar Al Amal, LECORVAW, ABAAD (Ressource Center for gender equality), Tahaddi, Bon Pasteur, Caritas, Mission de Vie, RESTART, UPEL, HOME.6

Notre mission est d’aider à transformer la vie des femmes et des enfants victimes de violences physiques et mentales en leur donnant les moyens de mettre fin au cycle des violences familiales par la prévention, l’intervention et la réinsertion sociale.

Pourquoi l’avoir appelé Maison ?

Maison est un mot qui dégage des sentiments de chaleur et d’intimité. C’est l’endroit même où on peut trouver refuge et soulagement face à la pression constante du monde extérieur, et s’épanouir dans l’accueil et l’affection des membres de la famille.

Cependant, pour un nombre alarmant d’autres personnes, la maison est un endroit lourdement chargé de terreur, un lieu de tourment avec de multiples facettes sinistres et complexes, dans laquelle elles se réveillent chaque jour en souhaitant au tréfonds de leur être que ce ne soit qu’un cauchemar qu’elles pourraient oublier, mais tragiquement certain.es ne s’échapperont jamais vivant.es…

Chaque année, 2600 victimes de violences conjugales appellent à l’aide sur une ligne d’urgence gérée par l’ONG libanaise KAFA (« Ça suffit »), tandis que des dizaines de femmes meurent chaque année au Liban à cause des violences conjugales. La majorité des femmes assassinées dans des incidents de violences conjugales meurent dans les limites de leur propre foyer.

Propos recueillis par Caroloine Flepp 50-50 Mgazine

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