Monde \ Asie Sadia Hessabi : la liberté pour elle… et pour les Afghanes

Sa vie est un roman, dont elle a pris elle-même la plume depuis des années. C’est le parcours d’une femme et de sa résilience multiple et quasi intersectionnelle. Sadia Hessabi est une Afghane devenue française et « cuisinière itinérante » sollicitée par de nombreuses entreprises et médias. Dans son livre Kaboulyon truffé de recettes afghanes, elle relate comment elle a surmonté tant d’embûches pour s’accomplir aujourd’hui en tant que femme, afghane, française… et universelle.

Orpheline de père puis de mère, abandonnée ensuite par une cousine qui l’avait recueillie, Sadia Hessabi quitte seule l’Afghanistan à 15 ans peu avant la prise du pouvoir par les forces islamistes, pour se réfugier en France, en pays inconnu et chez un oncle inconnu. A 18 ans, elle a un choc en apprenant qu’elle a été adoptée. Elle coupe ses dernières attaches et se retrouve… à la DDASS. Après son BEP sanitaire et social, elle réalise peu à peu qu’elle a plusieurs fois été victime d’attouchements étant enfant. A 26 ans, elle se découvre atteinte d’une maladie auto-immune. A 30 ans, elle fait une pause dans son couple et quitte son métier de soignante pour s’orienter vers la cuisine. Avec succès.

Pourquoi avez vous écrit ce livre ?

Pour partager et transmuter mon parcours, mais aussi pour exister, tellement j’ai eu l’impression que je n’existais pas. Grâce à ma cuisine aux saveurs afghanes et françaises, j’ai commencé à me réconcilier avec mon histoire. J’ai partagé mes recettes sur un blog, avant d’y déballer ma vie un jour de 2015. Je pensais que c’était resté à l’état de brouillon. A ma surprise, le lendemain j’avais 150 messages positifs. Avant ça, j’avais honte de mon histoire, je ne voulais pas susciter de la pitié. Ce livre, je l’ai fait pour me libérer, pour transmettre à mes enfants, et pour que les consciences se réveillent.

Pourquoi avoir choisi la cuisine ?

J’ai beaucoup appris grâce à ma mère. Les saveurs et surtout les odeurs me rendaient dingue. La cuisine afghane demande beaucoup de temps, mais à Kaboul on n’avait classe que de 8h à 12h, et les écoles fermaient l’ hiver à cause du froid.

En France, j’ai d’abord consacré mon énergie à apprendre la langue et un métier. Puis je me suis mise à cuisiner des plats afghans et français pour mon entourage. En 2016, en faire mon métier est devenu une évidence. J’ai toujours eu envie de mélanger les saveurs et les cultures. D’où le nom de KabouLyon. La cuisine permet de rencontrer, de partager, c’est un médiateur social.

En France, il y a beaucoup moins de contacts humains qu’en Afghanistan. Au début, j’avais un peu honte de mon pays… Aujourd’hui, la plupart du temps, je cuisine avec mon public. Je travaille pour des particulier·es, mais aussi pour beaucoup d’entreprises (souvent en teambuilding), et avec des associations d’entraide.

Qu’est ce qui vous a motivé à être cuisinière itinérante ?

Quand on n’a pas de restaurant, on a moins de charges, plus de libertés et davantage de temps pour ses enfants… Mais je rêve d’un lieu. Un lieu d’amour, une maison universelle de la diversité, de la cuisine et de la connaissance, où on cuisine ensemble. Avec un espace permaculture, et un jardin intimiste pour les gens qui ont perdu leurs proches trop tôt.

Comment avez-vous surmonté vos épreuves ?

J’en ai eu marre à un moment. En 2015, je n’y arrivais plus. Mais on n’a pas le choix, il faut avancer. J’ai toujours eu la fierté de vouloir y arriver par moi-même et de ne dépendre de personne. Avec tout ce que j’ai traversé, rien ne m’arrête. Aujourd’hui je suis heureuse. J’aime la vie. Ce livre est un message d’espoir.

Et les abus sexuels ?

Pendant longtemps, je n’ai pas vraiment réalisé. J’ai commencé à en prendre conscience quand j’étais en BEP. Plus tard, l’association L’Enfant Bleu m’a aidée. En parler, cela soulage, à condition d’être écoutée. On ne ne sent plus coupable, ni isolée.

Il n’y a pas si longtemps, j’ai envoyé une lettre recommandée aux auteurs des faits. J’ai reçu une lettre d’excuses. J’ai décidé de ne pas aller en justice.

Que savez-vous de la situation en Afghanistan ?

Quand j’y vivais, les cours étaient mixtes jusqu’au lycée. J’ai suivi un cursus normal jusqu’en 8e (la 4e en France). Les femmes n’étaient pas mises en cage. Je suis partie avant le pouvoir taliban. Pendant trente ans, je n’ai eu aucun contact avec mon pays. Depuis, j’ai rencontré des Afghans et des Afghanes en exil en France. Des années de régime taliban n’ont pas arrangé la situation dans le pays. Je suis particulièrement affectée par celle des femmes.

Vous dites que l’Afghanistan, ce n’est pas que les talibans

La plupart des talibans sont des orphelins qui ont été endoctrinés dans les écoles coraniques des camps de réfugiées au Pakistan. C’est comme s’ils avaient subi un lavage de cerveau. J’aurais pu tomber dedans moi aussi. Ce sont des gens incultes. Ils ont oublié leur civilisation. En Afghanistan, les femmes ont pu voter dès 1919. Il y a eu aussi le zoroastrisme, le bouddhisme, la calligraphie perse… Quand j’étais enfant à Kaboul, on entendait de la poésie partout. Ecrire des poèmes m’a aidée quand la vie était trop difficile.

J’aimerais revoir mon pays et faire plus pour lui. Les religions sont faites pour relier, pas pour séparer. S’il ne devait y en avoir qu’une, ce serait celle de la beauté, la nature, la vie, l’amour. Commençons par faire de notre vie sur terre un paradis, et pas un enfer.

Propos recueillis par Laurent Quicili 50-50 Magazine

Sadia Hessabi Kaboulyon de Kaboul à Lyon, itinéraire initiatique et culinaire d’une femme afghane Ed.  Mindset 2024

 

                                             Photo libre de droits Creative Commons/Arnesen)

Les talibans en viennent à voiler les maisons !

Jusqu’où ira la folie mortifère du régime taliban en Afghanistan ? En guise de cadeau de nouvel an, il n’a rien trouvé de mieux que d’interdire les fenêtres donnant sur des espaces où l’on peut voir des femmes. Les Afghanes ne pourront pas non plus se trouver dans des pièces comportant des fenêtres visibles de l’extérieur. Une nouvelle « talibanerie » dénoncée sur Facebook par Chela Noori, fondatrice de l’association Afghanes de France. « L’Occident se voile la face » s’indigne-t-elle.

Les talibans continuent impunément à réduire en esclavage la moitié de leurs compatriotes. « Le 3 décembre 2024, ils ont interdit la formation des infirmières et des sages-femmes », s’inquiète une autre association franco-afghane. « La vie des femmes et de leurs bébés en sera extrêmement menacée alors que les taux de mortalité maternelle et infantile sont déjà élevés», pointe Pamela Cipriano, présidente du Conseil International des Infirmières.

Depuis août 2024, une loi interdit aux femmes de parler hors de chez elles, leur voix étant « indécente », s’insurge le média afghan féministe Rukhshana. Les Afghanes étaient déjà cantonnées à l’école primaire, interdites de presque tous les emplois, empêchées d’aller dans les parcs publics, les gymnases et les salons de beauté. Elles ne peuvent sortir de chez elles que par « nécessité », couvertes intégralement d’une burqa et chaperonnées par un proche autorisé.

En France, plusieurs associations s’efforcent d’aider les femmes en Afghanistan. L’économie du pays est ruinée. L’aide est d’abord alimentaire : de nombreuses femmes ont perdu leur emploi et n’ont plus de ressources, alors qu’il y a beaucoup de veuves, de divorcées, de conjointes de handicapés ou d’épouses forcées d’hommes âgés, et qu’elles ont souvent des enfants à charge. La mendicité est réprimée. Les associations achètent et distribuent la nourriture sur place pour éviter les détournements.

L’Afrane, orientée initialement vers l’éducation, qui soutenait 48 écoles dans le pays avant 2021, indique sur son site Internet qu’elle est en discussion avec le ministère afghan de l’éducation pour poursuivre son action. Begum TV, créée en mars 2024, diffuse des programmes d’instruction à l’intention des femmes en Afghanistan.

Voici quelques associations qu’on peut soutenir : Afghanes de France, Afghanistan libre, Amitié mères afghanes, Negar, Begum TV, Afrane.

Photo de Une S H

print