Brèves Médias et féminicides : le temps presse

#NousToutes publie la première grande enquête sur l’évolution du traitement médiatique des féminicides entre 2017 et 2022

Depuis 2017, début du premier mandat du président Macron, nous décomptons plus de 1 000 féminicides, un chiffre qui ne diminue pas d’année en année. Aujourd’hui, la presse écrite reste le premier moyen d’information sur les féminicides. Et elle en parle plus, beaucoup plus qu’avant. Mais en parle-t-elle mieux et traite-t-elle tous les féminicides de la même manière ?

Quelques semaines après l’instrumentalisation à des fins racistes du féminicide de Philippine Le Noir de Carlan, survenu le 23 septembre 2024, par des personnalités publiques d’habitude silencieuses au sujet des violence de genre, le collectif #NousToutes publie la première grande enquête sur le traitement des féminicides dans la presse écrite entre 2017 et 2022.

Depuis 2022, #Noustoutes publie son propre décompte des féminicides avec l’aide de l’Inter Orga Féminicides. Une équipe de bénévoles se relaie tous les jours pour identifier les meurtres de femmes parce qu’elles sont des femmes, dans la sphère conjugale et en dehors. Ce décompte est essentiellement mené en recensant les articles parus dans la presse au moyen d’une veille médiatique. C’est de ce travail quotidien qu’a émergé le projet de mener cette enquête. Plus de 4 000 articles ont été analysés par 58 volontaires bénévoles pendant deux ans pour produire des données qualitatives et quantitatives jamais étudiées ni publiées jusqu’ici.

L’enjeu est important. Les mots font exister les faits sociaux. La façon dont la presse parle des féminicides a un impact sur leur perception par la société et peut contribuer à la diminution des violences féminicidaires. Les organisations féministes comme #NousToutes et les médias doivent donc travailler main dans la main vers l’éradication des féminicides et des violences de genre par le biais de la sensibilisation.

Voilà les conclusions de notre enquête :

● Le concept de « féminicide » a connu une véritable percée médiatique en cinq ans : il y a 28 fois plus d’articles utilisant le terme de féminicide en 2022 qu’en 2017.

● Globalement, leur traitement médiatique a évolué, avec une diminution des biais sexistes : il y a moins de culpabilisation ou de déshumanisation des victimes, d’essentialisation de ces dernières à leur rôle familial, de romantisation du féminicide et de valorisation de l’auteur.

● Ces biais tendent à favoriser une acceptabilité sociale des féminicides dans l’imaginaire collectif. En tant qu’organisation féministe luttant contre les féminicides, nous considérons donc cette évolution du traitement médiatique comme un progrès, dans la mesure où il peut entraîner à la fois une conscientisation des mécanismes des violences et donc la protection des victimes potentielles, ainsi
qu’un changement dans les attentes de la société envers les pouvoirs publics.

● En 2022, la presse considère davantage les féminicides comme un fait social systémique, et moins comme de simples faits divers, notamment grâce à l’engagement des journalistes femmes et/ou queer dans les rédactions, surtout dans la presse quotidienne régionale.

Cependant,

● Ce sont majoritairement les féminicides conjugaux qui sont évoqués dans la presse et dont le traitement s’est amélioré. Alors que les organisations féministes font un travail de visibilisation conséquent, la proportion des articles dédiés à des féminicides non conjugaux est passée de 47 % en 2017 à 11 %. Cela invisibilise près d’un quart des féminicides commis dans la famille, sur le lieu de travail, dans la rue, etc.

● Cette invisibilisation touche des catégorie de victimes déjà marginalisées, comme les travailleuses du sexe, les femmes trans, migrantes, racisées, handicapées,= âgées, habitant en milieu rural, porteuses du VIH, précaires, etc.

● Enfin, notre enquête met en évidence l’émergence d’un phénomène alarmant d’instrumentalisation fémonationaliste du concept de féminicide, comme l’illustre le féminicide de Philippine Le Noir de Carlan, visant à récupérer le discours féministe à des fins racistes et xénophobes, avec l’apparition du terme de « francocide ».

L’enquête est étoffée par l’analyse de six expertes (Laurène Daycard et Jennifer Chainay, journalistes ; Sylvaine Grévin et Mimi Aum Neko, militantes ; et Christelle Taraud et Margot Giacinti, universitaires). Enfin, l’enquête est complétée par une proposition de huit axes d’amélioration issue de nos constats, dans l’optique d’un traitement médiatique favorisant un engagement de toute la société contre les féminicides.

Rapport 

Nous Toutes

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