Articles récents \ Chroniques Chronique l’air du psy : Mon gâteau préféré
En préambule, indiquons que les cinéastes ont vu leurs passeports confisqués parce qu’iels n’ont pas accepté de renoncer à la projection de leur film à la Berlinale 2024. Mon gâteau préféré a obtenu le Prix du Jury Œcuménique. Outre cette interdiction de quitter l’Iran, le couple de cinéastes fait l’objet de nouvelles accusations du tribunal :
– 1 propagande contre le régime
– 2 propagation du libertinage et de la prostitution
– 3.violation des règles islamiques en réalisant et en montrant un film vulgaire.
L’intérêt d’une chronique publiée très en amont de la sortie en salles, ce serait d’oublier l’éventuel divulgâchage de l’intrigue. Mon gâteau préféré est un film iranien réalisé par Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha. Elle/il n’ont donc pu se rendre à la projection à la Berlinale 2024. Quel curieux pays doté d’une police morale (!) mixte (!), qui veille au port rigoureux du voile islamique et aux «bonnes» mœurs, c’est-à-dire en conformité avec l’idéologie du dogme religieux. C’est étrange comme la soumission semble indispensable au maintien de ce qui proviendrait des dieux. Que sont donc ces dieux, dont se réclament l’Islam politique, pour s’appuyer non pas sur l’amour, mais sur la méfiance, la violence, la crainte, la condamnation, la répression ? Comme si toute candeur, toute confiance accordée à chacun·e était potentiellement au service de l’Occident, de la corruption. Pourquoi l’usage de la liberté est-il si menaçant pour le régime en place ?
Je me souviens, j’étais alors lycéen, lorsque Khomeini, hébergé par la France à Neauphle-le-Château, repartit en Iran. La chute du Shah d’Iran apparaissait comme une victoire contre l’oppression et le retour de Khomeini comme l’arrivée d’un libérateur ! La désillusion n’a pas tardé. Je me souviens également de mon étonnement, cette fois plus récent, lorsque je découvrais la plaque parisienne devant l’ambassade de la «République islamique» d’Iran. Mon usage des guillemets traduit cette sensation étrange face à ce qui me semblait s’apparenter à un oxymore (même si le terme république n’est pas synonyme de démocratie). Cela parait tellement invraisemblable d’avoir pu inventer une «police des mœurs» consacrée au contrôle de la «tenue» des femmes ! Quelle étrange mission que celle confiée aux forces de l’ordre en charge de veiller à ce que la chevelure féminine reste dissimulée ! La conformité attendue par le régime iranien reposerait ainsi sur l’hypothèse que les femmes ne sauraient d’elles-mêmes «se tenir». Le danger viendrait il d’elles ? A moins que contrairement à l’affirmation d’Albert Camus : «un homme, ça se retient», seule la contrainte exercée à l’endroit des femmes permettrait aux hommes de ne pas «se lâcher», de «se tenir» ?
Ce qui est formidable dans ce beau film, c’est qu’il met en scène des protagonistes inhabituel·les, à savoir des septuagénaires, pour lesquel·les le veuvage ne signifie pas nécessairement le renoncement à une possible rencontre. D’autres alternatives que la débauche, existent : le rire, la musique, la danse, le vin, le désir… Et ce ne sont pas des poisons, dont les mécréants de l’occident seraient seuls détenteurs.
Le sommeil avec l’âge, c’est ce qui est le plus fragile, le plus vulnérable, le plus attaqué. Mahin (interprétée par Lili Farhadpour), insomniaque nocturne, dort au petit matin, munie d’un masque de sommeil. Elle est réveillée par l’appel téléphonique de son amie, qui n’intègre pas ce décalage horaire, préférant consulter de multiples médecins, qui diagnostiqueront enfin ce qu’elle «a», ce qu’elle «est». Nos maux parfois nous font exister…
Le déjeuner avec ses amies organisé chez Mahin va faire germer en elle l’idée d’une possible rencontre d’un homme. Au parc, Mahin intervient pour défendre une jeune fille molestée par la brigade des mœurs [la fameuse scène incriminée par le régime], elle fait face au policier, n’a pas peur de ses tentatives de l’intimider et il renonce. A la jeune fille, qui la remercie, elle dit «Tu dois te défendre ! Plus tu es docile, plus ils en profitent. J’ai compris ça depuis peu». D’autres personnages du film tiendront des propos critiques à l’endroit du régime iranien…
Au restaurant des retraité·es, lorsque monsieur Farmaz termine son repas, Mahin décide qu’elle doit faire sa connaissance. Elle va faire preuve d’audace et de détermination. Elle propose à ce chauffeur de taxi de l’emmener chez elle. Cela va devenir une très belle rencontre. Elle/il se racontent qu’elle était infirmière, lui militaire. Il a pris sa retraite après avoir été blessé à la guerre : «Je trouvais que la guerre n’avait pas de sens».
Le désir est exprimé, les désirs de chacun s’affirment peu à peu de façon directe et en même temps très délicate. Ils ont de la «tenue» ces deux-là ! Leurs échanges sont tellement raffinés et néanmoins sans détours. La poésie est au rendez-vous. Mahin l’invite chez elle et son magnifique jardin va s’éclairer de la présence de cet homme. La pluie et l’orage sont de la partie, mais rien d’orageux ne se dessine entre eux. Le jardin est promesse d’avenir comme si la terre allait être fertile pour les tourtereaux. Leur histoire se tient à l’abri du voisinage et de la société.
Elle/il vont danser, chanter, s’amuser avec insouciance. Comme le chantait Michel Fugain «C’est une romance, c’est une belle histoire…». Et effectivement les dialogues entre Mahin et Faramarz (monsieur Farmaz) sont presque inouïs, tant ils sont chargés de l’authenticité lestée par le poids des années. Elle comme lui ne se dérobent pas aux questions, qu’elle/il s’adressent mutuellement.
Sur le chemin qui les conduisait chez Mahin, Faramarz avait fait une halte dans une pharmacie. Le tragique des hommes, c’est la crainte de la défaillance. Et malheureusement, Faramarz n’y échappera pas. Quel dommage qu’il se soit encombré de cette question. Le virilisme peut s’infiltrer en tous lieux et polluer par sa toxicité… Ce film est d’une finesse impressionnante par l’étendue des questions abordées sur les relations entre hommes et femmes. Le courage se conjugue d’abord au féminin, mais il est des hommes tels Faramarz, qui peuvent ou pourraient tout à fait s’en saisir. Mon gâteau préféré est une œuvre humanisante et pleine de sensibilité. Souhaitons que le cinéma iranien continue d’être une boussole indicatrice de libertés possibles. En interdisant la liberté de circuler aux créatrices/créateurs, le régime iranien témoigne de sa faiblesse. La force contraignante, la tyrannie des conduites à tenir sont de bien tristes destins sur le projet d’une société humaine.
Daniel Charlemaine 50-50 Magazine
Mon gâteau préféré au cinéma le 5 février 2025