DOSSIERS \ Mais qu'est-ce qu'on leur a fait? Les violences masculines en question Nicolas Rainaud : « il m’a toujours semblé que les inégalités de genre étaient la plus grande absurdité de nos sociétés»
Nicolas Rainaud est responsable du pôle plaidoyer d’Equipop, association féministe de solidarité internationale. Diplômé de Sciences Po Paris, il travaille depuis une quinzaine d’années dans le domaine de la solidarité internationale. Il contribue à diverses dynamiques de plaidoyer en faveur de politiques publiques féministes au niveau français et au niveau international, et participe à plusieurs espaces collectifs tels que Coordination SUD. Nicolas Rainaud est membre du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes depuis 2019. Il y co-préside la Commission « Diplomatie féministe, enjeux européens et internationaux » depuis 2022.
Etes-vous un homme féministe ?
Mon engagement est intrinsèquement lié au fait que je travaille pour une association féministe de solidarité internationale. En tant que responsable du pôle plaidoyer, j’espère contribuer au mieux à mettre en œuvre la mission d’Equipop, qui est de travailler à améliorer les droits et la santé des femmes et des filles dans le monde, en particulier leurs droits et leur santé sexuels et reproductifs. Mon métier correspond évidemment à des convictions personnelles. Est-ce que cela signifie que je suis un homme féministe, ou « allié »? Ce n’est probablement pas à moi d’en juger.
Certaines militantes féministes pensent que mettre en avant la parole des hommes sur les questions d’égalité n’est pas prioritaire, voire problématique, d’autres considèrent que l’engagement des hommes est important. En fonction du contexte, les deux positions se tiennent certainement, et c’est pour cela que j’ai un peu hésité à répondre à cet entretien.
Ceci étant posé, il faut évidemment encourager tous les hommes à lire ou écouter des militantes ou penseuses féministes pour comprendre ce qui est en jeu, et agir à son niveau, c’est-à-dire modifier son comportement ou investir des sujets que nous laissions jusque-là de côté, consciemment ou non.
Pourquoi êtes-vous engagé en faveur de l’égalité femmes/hommes et les droits des femmes en France et dans le monde ?
Avant d’entrer dans la vie professionnelle, il y a quinze ans, et avant de côtoyer des activistes féministes et d’avoir lu quoi que ce soit sur le sujet, il m’a toujours semblé que les inégalités de genre étaient la plus grande absurdité de nos sociétés. J’ai rejoint Equipop en tant que chargé de plaidoyer directement après mes études, à un moment où l’association centrait son action sur la santé des femmes en s’appuyant sur une approche genre. La structure a beaucoup évolué, et assume un positionnement féministe depuis de nombreuses années désormais. Mon engagement s’est donc façonné en grande partie au gré des orientations prises par Equipop (1), j’espère aussi avoir contribué à ces orientations, et bien sûr au contact de féministes d’Afrique de l’Ouest, tout particulièrement, mais aussi Afghanes, Iraniennes, Congolaises, Mexicaines, engagées sur les questions des violences basées sur le genre, l’accès à l’avortement, la lutte contre le VIH, et de nombreuses autres thématiques… Leurs discours, leurs témoignages apportent énormément de perspective.
Dans un contexte international globalement hostile aux droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, on pourrait donc dire que l’engagement pour les associations féministes a malheureusement plus que jamais du sens. Mais on peut voir les choses de façon plus positive, et souligner la puissance et la diversité des mobilisations sur tous les continents et à toutes les échelles, de l’international au local. Parmi les nouvelles générations, le caractère systémique des enjeux ressort de plus en plus. Etre en appui de ces mouvements est très stimulant, si bien qu’en quinze ans, ma motivation pour contribuer aux activités d’Equipop, et d’autres collectifs ou instances telles que le Haut Conseil à l’Egalité, n’a fait que se renforcer.
Croyez-vous qu’on peut en finir avec les violences masculines ? Comment ?
Il me semble que ce n’est pas une question de croire, ou de faire un pronostic. La question qui doit nous guider, c’est : que fait-on pour y arriver ? Quels moyens, quelle énergie met-on pour en finir avec les violences masculines ? Rien n’avancera si l’approche n’est pas systémique. Des mesures isolées ne suffiront pas. Puisque les ressorts patriarcaux ne s’arrêtent pas aux frontières, il faut agir aux niveaux national et international, et selon deux axes principaux.
Premièrement, en matière de sensibilisation et d’éducation, il faut s’attaquer aux représentations sociales qui maintiennent les mécanismes patriarcaux. Par exemple, il faut faire reculer la culture du viol, il faut continuer à diffuser des clés de compréhension de certains phénomènes tels que les féminicides. Il faut poursuivre la politisation de ces sujets engagés par les féministes au cours des dernières décennies, et refuser de les envisager comme des faits divers ou des affaires privées. L’ « éducation complète à la sexualité », terme consacré au niveau international et qui peut prendre d’autres noms, est centrale dans la démarche à long terme. Mais évidemment, la démarche doit s’appliquer à tous les domaines, la recherche, les médias, les productions culturelles et la sphère politique. Le nombre de partis et de responsables politiques qui en font un vrai sujet de débat public doit considérablement augmenter.
Deuxièmement, l’institution judiciaire a un rôle prépondérant à jouer. L’impunité des auteurs de violence doit cesser. Les lois actuelles, même si elles peuvent être améliorées, doivent s’appliquer plus systématiquement et conduire à des sanctions appropriées. Et, même si le parcours judiciaire d’une victime ne peut pas être, par définition, un processus agréable, force est de constater qu’un certain nombre de dysfonctionnements le transforme en calvaire à toutes les étapes, dans la plupart des cas. Je suppose que des spécialistes présenteront cela bien plus en détail que moi dans ce dossier, mais je ne voulais pas esquiver la question. Et je rappelle qu’en France, actuellement, des dizaines d’associations promeuvent plus d’une centaine de propositions pour une loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles.
Voilà pour ce qui est urgent. A plus long terme, on peut ajouter que déconstruire les mécanismes patriarcaux implique aussi de poser des bases pour un autre système, dans lequel la question de la violence en général serait repensée.
Que voulez-vous dire plus précisément?
D’abord, que dans toute action, il y a une part systémique et une part individuelle : il ne faut pas l’oublier lorsque l’on lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Il s’agit donc de trouver l’équilibre : comprendre les causes systémiques afin de changer les choses, sans pour autant minimiser les responsabilités individuelles. Ensuite, je pense qu’il faut éradiquer un biais fréquent de réaction chez les hommes, auquel je n’échappe sans doute pas totalement, qui est de juger « ce qui ne fait pas avancer la cause féministe » à la place des féministes. Puisque la plupart des hommes accusés de violences d’ordre criminel ne sont pas condamnés circule parfois l’idée d’une certaine injustice quand des hommes sont sanctionnés pour des faits moins graves, ou tout du moins l’idée qu’il ne « faudrait pas commencer par-là ». Non. Ce qui est profondément injuste, c’est que le processus judiciaire s’arrête souvent avant même un quelconque jugement, et que la majorité des victimes n’est pas entendue, voire est stigmatisée. Même s’il faut soutenir des réponses globales pour lutter contre les violences, la moindre des choses est donc de ne pas faire entrave à des actions qui y contribuent.
Pour conclure, même si la réélection de Trump ne change pas fondamentalement les rapports de force mondiaux en matière de droits des femmes et d’égalité de genre, malheureusement, elle renforce l’urgence d’agir. Les mouvements masculinistes sont organisés, ils bénéficient de soutiens financiers et politiques considérables, ils peuvent compter sur de nombreux médias et le contrôle de certains réseaux sociaux. Face à cela, la mobilisation doit être totale. Chaque institution qui détient un pouvoir, politique ou financier, doit comprendre la nécessité absolue de soutenir les mouvements féministes, qui sont les plus légitimes pour faire avancer les droits et faire reculer les inégalités et les discriminations à court et long terme.
Propos recueillis par Jocelyne Adriant-Mebtoul 50-50 Magazine
1 Equipop, association féministe de solidarité internationale, travaille à améliorer les droits et la santé des femmes et des filles dans le monde, en particulier leurs droits et leur santé sexuels et reproductifs. Equipop promeut des valeurs féministes et place l’approche genre au cœur de ses interventions. Equipop est une structure en développement qui compte une quarantaine de salarié·es réparti·es dans ses bureaux de Dakar, Ouagadougou et Paris. Elle appuie et collabore avec plus d’une centaine d’associations partenaires et des activistes féministes dans 12 pays.