DOSSIERS \ Mais qu'est-ce qu'on leur a fait? Les violences masculines en question Mais qu’est-ce qu’on leur a fait?

Les violences masculines interrogent : ne se serait-on pas trompées dans notre lutte pour les dénoncer et les éradiquer? Vouloir protéger les femmes aura-t-il suffi? Le fait que ces violences continuent montre bien que non. Mais la vraie question est celle de leurs racines : pourquoi diable les hommes sur la planète en veulent-ils tant aux femmes?

La petite fille est sûre d’elle. A 6 ans, elle aimerait faire de la boxe, comme sa grande cousine. Elle joue au foot avec son frère, et n’aime pas les barrettes qui lui tirent les cheveux. Elle n’a pas encore rencontré les violences masculines. A l’école, il y a bien quelques garçons qui l’ennuient, mais heureusement pour elle, son père, son frère et les hommes de sa famille sont respectueux. Elle est heureuse et n’imagine même pas un avenir différent de ce qu’elle vit.

Alors pourquoi tant de nos filles, tant de femmes sur cette planète sont-elles destinées à renoncer à cette confiance enfantine? Pourquoi parce qu’elles sont nées avec un sexe féminin doivent -elles, si tôt, apprendre à souffrir comme l’expliquaient les jeunes mères africaines rencontrées par la grande anthropologue Françoise Héritier? Pourquoi les violences envers les femmes, de l’inceste au meurtre en passant par les viols, les crimes d’honneur ou l’excision, sont-elles un phénomène mondial, ces violences que l’on ne peut qualifier que de systémiques? Si elles n’en sont pas responsables, qu’elles en sont donc la cause?

Depuis que le sujet de ces violences est abordé, depuis les années soixante-dix et la création, en France et en Angleterre, des premiers foyers d’accueil pour “femmes battues”, depuis le procès d’Aix et la criminalisation du viol, depuis les enquêtes ENVEFF (2001) et VIRAGE (2019) ont enfin fourni des chiffres fiables, depuis MeToo enfin, l’attention a été portée, et on ne peut que l’approuver, vers la protection des femmes victimes de violences. Protection, évolution de la loi, et sensibilisation ont été essentielles pour faire évoluer, ne serait-ce qu’un peu, le regard de la société. Lorsque par exemple en 2006 Amnesty International publie son rapport “Les violences faites aux femmes en France, Une affaire d’Etat”, il s’est quand même trouvé des personnes pour s’indigner d’être obligées de s’occuper de ce qui, selon elles, relevait de la vie privée… Oui, on peut aujourd’hui se rassurer, à l’échelle de ces décennies, les féminicides et les viols choquent plus qu’avant, du moins dans nos sociétés occidentales. Mais comment s’en satisfaire? Comment accepter sans sourciller toutes les nouvelles entendues à la radio, les chiffres des femmes assassinées égrenés chaque année par les media – 134 en 2023 pour notre seul pays… -, comment ne pas frémir à l’écoute des ONG qui dénoncent les violences sexuelles subies par les enfants – 160.000 enfants victimes d’inceste par an en France – et comment ne pas céder à la lancinante question de la racine de ces violences?

On sait que le viol n’est pas de nature purement sexuelle, qu’il s’agit de pouvoir, d’emprise, de haine même. Haine du sexe féminin et volonté de détruire que l’on retrouve aussi bien dans l’intimité du foyer que sur les champs de guerre. Mais que fait-on de ce savoir, développé et martelé depuis tant d’années par les mouvements féministes, les sociologues et les Nations Unies? Dénoncer et protéger suffit-il vraiment pour que cela change?….

Une autre question se pose alors : ne s’est-on pas trompées? Dans l’urgence du besoin de protection, aussi insuffisantes qu’en soient les réponses, n’aurait-on pas oublié de réfléchir à la cause, à cette évidence qui fait que tant d’hommes ont recours de façon naturelle à une domination qui engendre les violences? Bien sûr, les féministes n’ont pas attendu 2024 et le procès de Mazan pour provoquer la réflexion, tandis que celle-ci, provoquée par l’effarement et l’incompréhension face à cette incroyable histoire, fait aujourd’hui le tour des media de la planète. L’américaine Andrea Dworkin par exemple, écrivait déjà en 1974 dans son livre Woman hating, De la misogynie, en se fondant sur l’analyse du sort réservé aux sorcières, la pornographie ou le bandage des pieds des femmes chinoises : “Nous voyons la dimension du crime, les dimensions de l’oppression, l’angoisse et la détresse qui sont une conséquence directe de la définition des rôles en pôles opposés, des femmes définies comme charnelles, mauvaises et Autres.” Aujourd’hui, c’est la philosophe Olivia Gazalé qui, dans son livre Le mythe de la virilité s’interroge sur ce qui fonde celle-ci : « L’histoire de la virilité est marquée par l’angoisse terrible, irrationnelle, de l’impuissance”, et elle ajoute un peu plus loin : “Autrement dit, ce qui fait l’homme, c’est de prouver, dresser, entrer, mouiller et fanfaronner. La virilité c’est la preuve, l’érection, l’intromission, l’émission et la vantardise”.

C’est clairement dit et exprime le dilemme : être un homme n’est pas si facile si on ne se conforme pas à cet ordre. Entre cette obligation et le sort fait aux femmes et filles sur la planète, le lien est évident. Si les hommes ont peur de l’impuissance, s’il leur faut montrer leur force sexuelle pour s’affirmer, comment le faire sans avoir méthodiquement construit leur domination sur les représentantes du sexe féminin! Pour beaucoup de scientifiques, le patriarcat ne serait apparu qu’à la fin du néolithique, avec la naissance de l’agriculture et de la propriété. Qu’en était-il auparavant? Si la réponse ne sera peut-être jamais connue, on peut néanmoins noter la présence de ces violences depuis des millénaires, que ce soit dans les lois, les pratiques traditionnelles, les récits, les œuvres d’art même, qui n’hésitent pas à décrire des scènes de violences tel l’enlèvement des Sabines…

Montrer qu’on est un homme, un vrai, passerait donc par la preuve d’une virilité sans faille? Mais il ne faut pas oublier ce que la psychanalyse nous a appris sur la peur du sexe féminin lui-même, celle de ce vagin où l’on se perd si facilement, la peur d’y voir disparaître cet organe viril si vanté dans toutes les cultures. Ne pas oublier non plus, comme le soulignait autrefois Elisabeth Badinter dans XY, De l’identité masculine, la difficulté de devenir un homme pour le petit garçon élevé par sa mère, figure de femme dont il lui faut se séparer à tout prix… à cela il faudrait peut-être ajouter la colère masculine face au désir que les hommes ressentent pour les femmes, désir que beaucoup n’hésitent pas à nommer manipulation, dangereuse séduction. On le voit, si les violences ont de multiples sources, la plupart du temps inconscientes, elles n’ont pris cette ampleur qu’au sein d’un système qui les justifie, les valorise, même, et ne se maintient que grâce à elles.

Alors que faire, comment transformer cette vision de la virilité qui aveugle ceux qui en usent pour dominer, et comment faire pour que les violences sexistes et sexuelles ne soient plus une évidence pour tant d’hommes?

Tout commence par l’éducation, proclament les organisations, les associations, les représentants à l’ONU des gouvernements, mais faut-il encore que lorsqu’une ministre de l’Education nationale Najat Vallaud Belkacem essaie de faire passer en France “les ABCD de l’égalité”, programme d’enseignement contre le sexisme destiné à initier les élèves du primaire à l’égalité et au respect, des boucliers ne se lèvent pas pour faire supprimer ce projet? Le phénomène de backslash bien connu de l’Histoire, ou l’éveil des masculinistes ne laissent pas augurer du succès des prochaines réformes en ce sens. Les changements politiques non plus, et cela tout autour de la planète où bien des dirigeants ne semblent pas choqués par l’arrivée au pouvoir aux USA ,d’un homme qui conseille “d’attraper les femmes par l’entre-jambes”…

Pourtant, que ce soit les nombreuses publications qui depuis les années 2000 ont vu le jour qui s’interrogent sur ce que doit être un homme aujourd’hui et sur l’histoire de la virilité – dont l’énorme somme initiée par Paul Virilio Histoire de la virilité, ou l’ouvrage de John Stoltenberg Refuser d’être un homme, pour en finir avec la virilité– les podcasts et émissions créées par des hommes qui cherchent à “se déconstruire”, ou quelques tribunes ou associations d’hommes qui luttent par exemple contre la prostitution qu’ils voient comme un violence faites aux femmes, on ne peut nier, si l’on veut être optimistes, qu’on puisse se prendre à espérer qu’un autre monde soit possible. Un monde où la sexualité masculine ne soit définitivement plus liée aux violences mais au partage. Où lorsqu’un homme dérape, verbalement ou physiquement, son entourage masculin lui fasse honte. Où les hommes violents accepteraient de ne pas se soumettre à leur colère intérieure. Où chacun et chacune seraient profondément scandalisé·es par la domination et les inégalités.

Où les filles et les femmes n’auraient plus peur.

C’est peut-être cela le féminisme : une utopie inachevée à laquelle il faut encore croire…

Moira Sauvage 50-50 Magazine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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