DOSSIERS \ Mais qu'est-ce qu'on leur a fait? Les violences masculines en question Lucile Peytavin : «J’ai estimé ce coût de la virilité à 95,2 milliards d’euros par an, soit près de 100 milliards d’euros par an »

Lucile Peytavin est essayiste et docteure en histoire. Elle a co-fondé l’association Gender and statistics. Elle est membre de l’Observatoire sur l’émancipation économique des femmes de la Fondation des femmes et experte dans la prévention des violences pour le cabinet Psytel. Elle a publié Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes. 

Lucile Peytavin, vous avez écrit Le coût de la virilité , un essai qui appréhende les violences masculines sous un angle nouveau, celui de leur coût, exorbitant, pour la société. Pouvez-vous nous le résumer en quelques faits et chiffres, et nous expliquer votre cheminement?

Je suis partie du constat que les hommes sont responsables de l’immense majorité des violences dans notre société.

Selon les chiffres officiels des ministères de la justice et de l’intérieur, ils représentent 83% des mis en cause et 90% des condamnés. La population carcérale est à 96% masculine et les hommes sont surreprésentés dans tous les types d’infractions et notamment les plus graves : 99% des auteurs de viols, 86% des auteurs d’homicides volontaires, 84% des auteurs d’accidents mortels sur la route,

97% des auteurs de violences sexuelles, 95% des auteurs de vols avec armes, 91% des auteurs de cambriolages, etc.

Si bien que

  •  Si tous les hommes ne sont pas délinquants et criminels, l’immense majorité des délinquants et des criminels sont des hommes. Et cela à tous âge, dans tous les milieux sociaux, quel que soit le niveau d’éducation.
  • Le premier critère qui définit le profil des délinquants et des criminels est donc le sexe masculin (c’est ce critère qui doit être retenu pour agir sur les origines de la violence)
  • Les activités des ministères de la justice et de l’intérieur fonctionnent en grande majorité pour les hommes…et donc cela entraîne des coûts.

Alors quel est-il ce coût de la virilité, comment l’avez-vous calculé?

J’ai donc produit une estimation des coûts induits par cette surreprésentation des hommes comme auteurs de délits et crimes.

Le coût de la virilité est un différentiel. Il estime les conséquences financières d’une différence d’éducation entre les femmes et les hommes, qui poussent les hommes a adopter plus de comportements antisociaux que les femmes : il correspond à ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes.

Le coût de la virilité recouvre deux sortes de coûts : directs pour l’Etat en frais de force de l’ordre, de justice et de santé et indirects pour la société, liés aux souffrances psychologiques et physiques des victimes, aux pertes de productivité des victimes et des auteurs eux-mêmes, des destructions de biens et cela pour chaque type d’infractions.

J’ai estimé ce coût de la virilité à 95,2 milliards d’euros par an, soit près de 100 milliards d’euros par an.

Les conséquences financières, et humaines, de la virilité en France sont donc colossales et il est temps que nous nous y attaquions si nous voulons couper le robinet des violences.

Justement, avez-vous une idée d’où viennent ces violences masculines ?

Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de preuves scientifiques que les hommes soient biologiquement plus violents que les femmes. Nous savons aujourd’hui que la testostérone ou le cerveau ne sont pas en cause.

Les discours « virilistes » justifiant le surplus d’agressivité des hommes par le naturel plutôt que par le culturel apparaissent comme irrationnels.

Par contre, les sciences de l’éducation ont démontré qu’il y a une acculturation des hommes à la violence à travers les valeurs viriles dès leur plus jeune âge dans les modèles éducatifs qui leurs sont transmis. La notion au cœur de cette éducation est la virilité qui rassemble les attributs de force, de puissance et n’a pas d’équivalent pour les femmes. Elle définit dans nos sociétés le masculin, ce que doit être un vrai homme.

Elle se transmet souvent de façon consciente par les adultes qui ont été eux-mêmes éduqués à travers ces schémas.

Pour ne prendre que quelques exemples : très tôt les garçons sont incités à la violence avec les jeux de bataille, de bagarre avec des armes factices.

Dans les catalogues de jeux : dans 90% des cas quand il y a une arme c’est un garçon qui la tient (d’ailleurs comment pouvons-nous accepter sans le remettre en question que des jouets puissent avoir la forme d’une arme ?).

Nous sommes également plus permissifs avec les garçons, ils sont moins prévenus du danger. Et pour prouver leur virilité ils prennent des risques (ils représentent par exemple 78% des morts sur la route) si bien que quel que soit l’âge, le taux de mortalité prématurée des hommes (avant 65 ans) est 2,1 fois plus élevé que chez les femmes et leur taux de mortalité prématurée évitable  (avant 65 ans et causée par un comportement à risque) est    3,3 fois plus important.

Je terminerai par un aspect dont on parle trop peu s’agissant de l’éducation des garçons et qui est pourtant au cœur des violences machistes : c’est l’apprentissage systématique du mépris féminin. Très tôt on fait comprendre aux garçons qu’ils ne doivent surtout pas se comporter comme les filles : pas de rose, de couettes, de postures « efféminées », quand on les compare aux filles c’est pour les humilier « tu cours comme une fille » etc. Très rapidement les garçons intègrent donc que tout ce qui est dit féminin est méprisable, ce qui crée in fine des comportements sexistes.

On observe donc qu’il y a une acculturation des garçons à la violence et aux rapports de domination tout au long de leur vie à travers l’éducation à la virilité qu’ils reçoivent.

Y a-t-il une solution pour sortir de ce coût exorbitant de la virilité … et des violences masculines et si oui comment ?

On observe que la moitié de la population, à savoir les femmes, qui ne sont pas ou peu éduquées avec ces valeurs, ont des comportements beaucoup plus pacifiques, beaucoup plus en adéquation avec la société de droit dans laquelle on vit. Elles ne représentent que 17% des mis en cause par la justice.

L’éducation donnée aux filles construit des êtres beaucoup plus aptes à vivre en société. Leur empathie est cultivée, voire favorisée.

Cette éducation permet une meilleure compréhension de ses émotions et de leur maîtrise. Elle permet également de mieux comprendre les émotions des autres et donc d’avoir une meilleure communication.

Aussi la solution est sous nos yeux : éduquons les garçons comme les filles : offrons-leur des poupées pour qu’ils apprennent à s’occuper d’autrui, développons leurs sentiments par la lecture par exemple pour qu’ils soient plus empathiques, contraignons-les suffisamment pour qu’ils respectent les règles, etc.

En leur donnant l’éducation reçue par les filles, qui revient simplement à leur donner une éducation plus humaniste, on économiserait le coût de la virilité qui est un coût humain et financier colossal. On pourrait investir massivement dans des politiques porteuses pour la société (éducation, santé, etc.) plutôt que de construire des palais de justice et des prisons et l’insécurité ne serait plus un problème : nous vivrions bien dans une société plus riche et plus apaisée.

Propos recueillis par Jocelyne Adriant-Mebtoul 50-50 Magazine

Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes. Ed Livre de Poche 2023

 

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