DÉBATS \ Contributions Adrienne Bolland : pionnière, aviatrice, féministe, résistante
Avril 1921, Adrienne Bolland (1895-1975), jeune aviatrice française connue pour son mauvais caractère et son audace est la première à réussir la traversée de la cordillère des Andes. Après son brevet de pilote en 1920, Adrienne participe sur l’avion prêté par le constructeur Caudron à des meetings aériens et à des raids. Menant une vie d’aviatrice « nomade » à travers la France, elle lutte aussi pour les droits des femmes aux côtés de Louise Weiss. Elle a ses entrées au ministère de l’aviation à l’époque du Front populaire. Dès 1940, Avec son époux Ernest Vinchon, elle entre dans un réseau de la Résistance. Après 1960 elle devient ambassadrice de la compagnie Air-France.
Une casse-cou
Adrienne, née en 1895 à Arcueil-Cachan, est la dernière d’une fratrie de sept enfants. Son père Henri, natif de Belgique, a d’abord travaillé dans la presse. Puis aux éditions Hachette qui lui ont confié la rédaction de guides de voyage. Il voyage beaucoup.
Adrienne est une enfant agitée et casse-cou. Les activités scolaires ne lui conviennent guère. Elle est renvoyée des écoles et pensionnats. De caractère joyeux et insouciant, elle s’est donné le surnom de « Zizi ». Elle connaît son premier grand drame à quatorze ans, lors de la mort brutale de son père. La famille se retrouve en grande difficulté. Le frère aîné, Benoit, travaille dans la marine marchande. Il a participé à l’expédition polaire de Charcot, avant d’accepter le poste de pilote du port de Singapour. Il soutient financièrement sa mère et la fratrie. Malgré son insouciance et son goût pour la « frime », Adrienne se lance un défi : elle veut apprendre à piloter et s’émanciper financièrement. Elle fait un peu par hasard la connaissance des frères Caudron qui construisent des avions et ont ouvert une école de pilotage dans la Somme, au Crotoy. Adrienne, malgré des soucis financiers réussit le brevet en 1920 et commence à piloter pour le compte de la société Caudron. Elle est la quinzième femme au monde à obtenir ce brevet depuis les débuts de l’aviation.
Ses participations à des meetings aériens font connaître les appareils fabriqués par Caudron. Adrienne est la première femme à exécuter des loopings avec l’appareil Caudron G.3. Elle fait une tentative de traversée de la Manche en dépit d’un brouillard persistant, harcèle René Caudron pour partir en Amérique latine et là-bas tenter une traversée de la cordillère des Andes. Plusieurs pilotes se sont tués sur ce trajet. Des tourbillons de vents puissants emportaient l’appareil. Adrienne veut relever le défi.
La « déesse des Andes »
Après de sérieuses difficultés d’organisation et de financement Adrienne tente la traversée de la Cordillère. La veille de son départ, une Amérindienne de ses admiratrices vient lui parler : « Quand vous verrez un lac et l’apparence d’une voie d’accès facile, n’y allez pas, obliquez sur votre gauche ». Elle suit son conseil et réussit l’exploit en avril 1921, survolant les Andes de Mendoza (en Argentine) à Santiago du Chili en 4h et 20 minutes à une altitude de 4000m. Après un vol difficile compte tenu du froid et des vents, elle atterrit au Chili. L’appareil, d’une envergure de 13,40 m, pèse 708 Kg, est équipé d’un moteur en étoile rotatif Le Rhône de 80 CV. Elle reçoit un triomphe dont la presse latino-américaine se fait l’écho. Adrienne Bolland est surnommée « la déesse des Andes ».
A Orly en 1924 elle bat un record très populaire en bouclant avec 22 loopings en 72 minutes. Elle continue cette vie de « nomade » d’un aérodrome à un autre, enchaînant les démonstrations pour le compte de Caudron, avec des baptêmes de l’air pour son propre compte.
La même année, toujours avec le soutien précieux du mécanicien René Duperrier, elle participe au Concours d’avions de tourisme sur un parcours en France de 2120 Kms en 18 étapes et 11 jours, dans un avion Caudron 80 CV. Seule pilote femme, elle termine cinquième au classement général.
Sa vie d’aviatrice, non salariée, reste précaire. Adrienne rencontre Ernest Vinchon, industriel du Nord passionné d’avion et déjà titulaire d‘un brevet de pilotage. Ils travaillent et vivent ensemble. Adrienne et Ernest achètent deux avions de la société Robin-Finat, constituent une petite escadrille et sillonnent les aérodromes de France, repèrent des terrains pour leurs acrobaties, négocient les autorisations, mais les résultats financiers sont médiocres.
De qui viennent les sabotages qui manquent de lui coûter la vie ?
Adrienne Bolland échappe de justesse, en avril 1930, à un accident grave : son avion a été saboté et s’écrase sur le toit d’un hangar militaire ! Des fils métalliques d’un câble de commande ont été cisaillés ! La presse se fait l’écho de cette affaire survenue non loin du Bourget. On apprend aussi que quelques jours avant cet accident, une goupille de soupape en excellent état a été sciemment remplacée par une neuve, mais de mauvaise dimension et donc mal fixée ! Ernest inspectant l’avion de sa compagne évite l’accident. Adrienne est encore victime de plusieurs autres sabotages, mais les auteurs ne furent jamais identifiés.
Une féministe engagée
Adrienne fait la connaissance de Louise Weiss, alors journaliste et qui a fondé la revue « La femme nouvelle ». De leur rencontre naît l’idée de Louise Weiss d’agrémenter les rencontres politiques qu’elle organise par des démonstrations en vol de femmes pilotes. Adrienne est invitée avec Maryse Bastié et la jeune Hélène Boucher à participer à Bordeaux en octobre 1934 à un grand meeting en faveur du droit de vote des femmes. Les trois aviatrices sont acquises à la cause. Louise Weiss décrit Adrienne dans son livre publié en 1980 Mémoires d’une européenne : Combats pour les femmes (vol. III) : « Tout le fuselage de sa mince personne tremblait de gaieté. Son succès avait été une suite de bourrasques. Sa vie ? Une fantaisie héroïque à laquelle ne manquait pas une note d’éclat ».
Une résistante
En 1936, le Front populaire arrive au pouvoir. La guerre civile bat son plein en Espagne. Le gouvernement français, bien que sympathisant de la cause républicaine hésite à s’engager. Mais, désireux d’apporter une aide à la cause, il demande à Adrienne Bolland et son époux de recruter et former des pilotes pour l’Espagne républicaine sous le contrôle du ministre de l’Air, Pierre Cot.
La guerre éclate. En 1940, Adrienne décide avec son mari de rester dans la zone occupée par les Allemands. Tous deux rejoignent le réseau CND (Confrérie Notre-Dame) – Castille du département du Loiret. Ernest est agent P1 à Paris, Adrienne agent P2 à Donnery, où sa famille maternelle possède une maison. Elle devient opératrice radio, chargée du repérage des terrains susceptibles de servir aux atterrissages et parachutages clandestins de la Résistance. En 1943 s’ajoute le travail radio avec les liaisons du grand réseau « Marco Polo ». Alors qu’Ernest portait clandestinement des renseignements à Paris, une souricière lui est tendue, il est arrêté par la Gestapo et envoyé à la prison de Fresnes. Malgré les interrogatoires il ne parle pas. Adrienne est soupçonnée mais échappe avec sang- froid à la Gestapo d’Orléans. En janvier 1944 Vinchon est libéré mais demeure gravement malade des suites d’une pleurésie. Dès 1945, les époux Vinchon, sans ressources, déposent un dossier de secours auprès du « Service social de la France combattante » et sollicitent l’appui de Nicole de Hautecloque.
En 1946 le couple réintègre Paris. Un appartement leur est prêté par le frère aîné d’Adrienne, Benoît. Adrienne fait de nombreuses démarches pour faire reconnaitre ses droits à la retraite comme membre de l’aviation. Elle est soutenue par Pierre Mendès-France. En 1954 les deux époux obtiennent enfin une pension.
En 1961 Adrienne participe au voyage de commémoration des quarante ans de la traversée des Andes. Son époux disparaît en 1966.
En 1971, Air France fête la première traversée d’un vol direct Paris-Santiago du Chili, et le cinquantenaire de son passage des Andes est l’évènement de l’année pour la presse sud-américaine. Adrienne est accompagnée de 30 personnes. Leur tournée les mène de Rio Janeiro à Santiago en passant par São Paulo, Montevideo, Buenos Aires et Mendoza. Dans une émission de radio en 1972, Adrienne dit « C’est l’aviation qui m’a fait découvrir mon royaume intérieur ».
Adrienne Bolland meurt en mars 1975, elle est inhumée à Donnery. Elle a légué ses quelques biens personnels à la Fondation de la Vocation. En 2021, un siècle après son exploit de la traversée des Andes, des hommages officiels ont été rendus à sa mémoire.
Catherine Chadefaud, agrégée d’histoire Secrétaire générale de l’association REFH (Réussir l’égalité Femmes-Hommes)
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