Articles récents \ Culture \ Théâtre Aurore Evain : “Le mythe du génial Shakespeare, fut en fait construit sur du sable !”
Pour Aurore Evain, comédienne et historienne du théâtre et autrice d’un livre passionnant Mary Sydney, alias Shakespeare, il faut s’interroger sur le ou la véritable autrice/auteur de l’œuvre de Shakespeare qui a connu un écho universel. Puisque les archives sont muettes sur sa vie, qui donc a bien pu écrire ces pièces qui ont fait le tour du monde et reflètent incroyablement la destinée humaine? S’inspirant d’une étude américaine, elle pose avec vivacité et humour la question qui, une fois le livre refermé, continue à nous hanter….
Comment vous est venue l’envie de travailler sur “l’énigme Shakespeare” ?
En découvrant l’étude de la chercheuse indépendante Robin P. Williams, qui l’avait autoéditée aux USA. Elle n’avait pas été publiée en France, et j’ai passé le premier confinement à la traduire. J’en ai tiré une conférence-spectacle qui fut d’abord mise en scène à Montluçon puis, entre autres, à Montreuil et au Théâtre de l’Epée de Bois, à la Cartoucherie de Vincennes. Très vite, les éditions Talents Hauts m’ont contactée pour la publier sous forme d’un livre grand public. Je l’ai imaginé avec un côté cinématographique en tête, avec des personnages inventés, pour le rendre vivant. Il y a donc une partie fiction, mais j’ai aussi complété la partie historique en vérifiant toutes les sources, comme j’en ai l’habitude lorsque j’étudie l’histoire du théâtre, ainsi que lorsque je fouille le passé pour remettre en lumière les autrices oubliées d’autrefois. J’ai également cherché de nouvelles pistes, en faisant des liens avec ce qui se passait en France à l’époque, et en puisant dans mes connaissances sur les rapports femmes/hommes et la “Querelle des femmes”, un débat majeur à la Renaissance qui portait sur la question de l’égalité entre les sexes.
Vous racontez donc que les archives, si elles parlent du Shakespeare homme d’affaire et du comédien qu’il fut, sont totalement muettes sur son œuvre. Comment est-ce possible? Pourquoi a-t-il ensuite été ainsi mis sur ce piédestal quasiment inamovible duquel il est aujourd’hui encore si difficile de le faire descendre?
C’est en effet totalement affligeant de voir que l’on construit si facilement un monument sur du sable !… Surtout lorsqu’on voit tant de femmes qui au contraire furent allègrement effacées de l’histoire. Mais cela peut s’expliquer par le fait que l’Etat-nation, pour se construire, en concurrence d’ailleurs avec l’Eglise, a eu besoin de constructions patrimoniales, de grands hommes, de héros, voire de demi-dieux. Créer un William Shakespeare “de papier” aida l’émergence des nouvelles institutions culturelles et savantes. Ensuite, le phénomène s’est consolidé autour de son village de naissance, Stratford-upon-Avon, nouvelle crèche de l’enfant-prodige, et cela dès le 18e siècle. Et ce qui est planté prenant racine, c’est devenu une manne touristique, c’est aussi simple que ça ! Je ne suis pas la seule à tourner autour de cette hypothèse d’une femme autrice de l’œuvre shakespearienne. Du reste, beaucoup de grands noms dont Nabokov ou Freud s’étaient déjà interrogés sur le peu de preuves permettant de relier William Shakespeare à cette oeuvre, et, avant eux, dès le 19e siècle des théories étaient apparues. Mais aujourd’hui mettre un nom de femme reste encore tabou.
Pour cerner Mary Sydney, vous choisissez de faire un portrait robot de celui ou celle qui aurait pu écrire une telle œuvre, dont la puissance nous touche ecore aujourd’hui
Oui, et ce portrait-robot est très facile à esquisser : il représente une personne à la fois cultivée comme l’étaient les membres de l’aristocratie, polyglotte, au fait des méandres de la politique, qui s’y connaisse en fauconnerie, en jeu de boule, en alchimie, musique, médecine, etc.. Autant de savoir-faire où brillait Mary Sydney, autrice de poèmes, de traductions, de pièces de théâtre, créatrice du plus grand cercle littéraire anglais de son époque et recevant dans son château les troupes de théâtre les plus célèbres de son temps. C’est un vrai faisceau de coïncidences, et il n’ait pas impossible qu’elle ait croisé William Shakespeare, qui, outre son rôle de comédien de second ordre, fut actionnaire du célèbre théâtre du Globe (que l’on peut encore admirer aujourd’hui à Londres où il a été récemment reconstruit). Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’à l’époque, au 16e et au 17e siècle, il était impossible pour une femme, encore moins une aristocrate, de publier sous son nom. C’était très mal famé…
Quelle est votre conclusion ?
Il est invraisemblable que le William Shakespeare de Stratford ait pu écrire seul une telle œuvre. Mais je laisse le verdict à mes lecteurs et lectrices ! Il est possible que ce soit une œuvre collective. Mary Sidney a pu coécrire avec son frère, avant sa mort, car il était lui aussi écrivain, ou avec d’autres de ses proches, telle sa nièce Mary Wroth, première romancière anglaise. Ce qui est fascinant, c’est la réaction des universitaires spécialisé·es, qui s’arc-boutent sur leur admiration pour le génial William et traitent facilement de “complotistes” ou “conspirationnistes” celles/ceux qui osent le mettre en doute. En Angleterre, les attaques peuvent se déchaîner. Et pourtant, il faut bien admettre que rien ne colle dans la vie de William Shakespeare avec le portrait-robot de la personne à l’origine de cette œuvre. Peut-être verrons nous un jour apparaître de nouvelles sources même si j’en doute car beaucoup ont disparu, dans le feu ou sous des secrets de famille… Mais il y a eu encore si peu de recherches dans les archives des femmes, qu’il faut garder espoir !
Propos recueillis par 50-50 Magazine
Aurore Evain Mary Sidney Alias Shakespeare Ed. Talents Hauts 2024
Une rencontre avec Aurore Evain est organisée par l’Institut Emilie du Châtelet le lundi 4 novembre 2024 à la Cité Audacieuse, 9 rue de Vaugirard à Paris. 18 h, entrée libre.