France \ Société Soad Baba Aissa : «Le mouvement féministe doit lutter contre toutes les oppressions, l’oppression patriarcale, capitaliste, religieuse, de classe, de race»

Femmes Solidaires va bientôt fêter ses 80 ans. L’association gère 190 comités locaux dans un grand nombre de régions françaises. Soad Baba Aissa est membre de la Direction nationale et occupe le rôle de présidente du comité de Paris.

Quelle est l’histoire de femmes solidaires ?

C’est important d’évoquer l’histoire de Femmes Solidaires au vu du contexte politique dans lequel nous sommes aujourd’hui. Femmes Solidaires (anciennement Union des Femmes françaises) est née des comités féminins de Résistance créés par Danielle Casanova. À la fin de la seconde guerre mondiale, en 1945, quand l’association se crée, au cours de leur premier congrès, les militantes rendent hommage aux 7000 femmes déportées  de France dans le camp d’extermination de Ravensbruck (1). Elles font le serment de faire comprendre aux nouvelles générations : « l’horreur de la haine de l’autre, du préjugé de tout être humain dont nous avons vécu le paroxysme et qui peut renaître pour éviter le retour de crimes contre l’Humanité ».

Dans nos communiqués, nous avons rappelé notre position contre l’extrême droite, aussi bien pour les élections législatives que pour les élections européennes. Pour nous, une Europe qui devient fasciste, c’est dangereux, une France qui devient fasciste, c’est le pire danger. En 2025 Femmes Solidaires fêtera son 80ème anniversaire. Il fera partie des grands évènements de 2025 parce qu’il est nécessaire de prendre position face au retour des conservatismes, du racisme qui ne se cache plus, des violences contre les étranger·ères mais aussi de personnes ayant des croyances religieuses différentes. Il y a quelqu’un qui l’a très bien exprimé en disant que nous sommes vraiment dans une crise identitaire, je l’ai évoqué, il y a quelques années. Au lieu de nous rassembler, nous sommes en train de nous diviser.

Quels sont les principaux objectifs de Femmes Solidaires ?

Nous sommes une association féministe généraliste, mouvement d’éducation populaire, qui défend des valeurs d’égalité, de mixité, de laïcité, d’universalité, qui œuvre à rendre possible une société libérée des rapports de domination. Nous avons toujours été internationaliste et nous avons toujours combattu le fléau des guerres, où qu’elles aient lieu.

Il est important qu’en 2024, cette position de lutte contre les guerres revienne. C’est pour cette raison que nous nous sommes mobilisées lors de la journée internationale pour la paix et le désarmement le 21 septembre. Les guerres s’intensifient que ce soit l’Ukraine, la Palestine, le Karabakh, l’Ethiopie, le Soudan et le Liban qui est aujourd’hui en feu. Nous ne pouvons pas faire comme si nous n’étions pas au courant de tous les massacres qui ont lieu autour de nous. Il y a intérêt à ce que les associations féministes se rassemblent autour d’un mouvement mondial pour la paix et dénoncent les crises humanitaires mondiales.

Nous étions également à la marche du 28 septembre pour le droit à l’avortement et pour défendre les femmes dans le monde qui n’arrivent pas à obtenir la dépénalisation du droit à l’avortement. Aujourd’hui, il y a encore de nombreux pays où ce droit est totalement interdit. Aux États-Unis, il intervient dans le débat national et électoral après l’annulation de l’arrêt fédéral Roe vs Wade. Une régression majeure du droit des femmes américaines à l’avortement. Depuis peu, elles peuvent se rendre au Mexique où il a été légalisé en septembre 2023.

Et puis, il y a tout notre engagement sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans la société, la lutte contre le sexisme, les violences sexuelles et sexistes, le rapport à leur corps qu’il s’agisse de la prévention contre les mutilations sexuelles féminines, à l’égal accès à la pratique sportive. Nos champs d’intervention se font sur de nombreuses thématiques dans nos 190 comités locaux à travers la France. Nous sommes présentes sur 13 régions de France, nous avons des militantes et des sympathisantes qui forment un maillage national.

Nous avons donc également une présence à l’international, par notre affiliation au Comité inter africain et notre statut consultatif à l’ONU. Dans le cadre de la Commission de la condition de la femme (CSW) et par nos actions de plaidoyer pour la protection des droits des femmes et des filles, Femmes Solidaires organise des ateliers communs avec d’autres ONG. Quand la France présente son rapport, nous rédigeons un contre rapport, fruit de notre travail sur le terrain.

Nous rapportons aussi bien sur les avancées, les défis, les reculs que nous constatons, en France pour les femmes et les filles. Quand il y a eu le COVID, nous avons exposé tous les reculs pour l’accès aux soins, à l’avortement, etc. Les défis à relever dans tous les domaines par les femmes et les filles dans le milieu rural sont trop peu évoqués. Aujourd’hui la casse des services publics de la santé met les femmes en danger : déserts médicaux, fermeture des maternités, des centres IVG, etc.

Pour nous, la constitutionnalisation du droit à l’avortement a permis d’inscrire « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG » ; ce dont nous nous réjouissons. Cependant, cette avancée ne suffit pas car les conditions dans lesquelles s’exerce cette liberté garantie pourraient toujours être revues à la baisse. Rien ne garantit les moyens humains et matériels, et les conditions restreintes sous un gouvernement de droite conservatrice ou d’extrême droite. Au sein d’Avortement Europe les Femmes décident, nous restons vigilantes pour dénoncer toutes les atteintes au droit à l’IVG et apporter notre soutien aux femmes qui luttent pour ce droit fondamental. Il ne faut pas oublier que les militantes luttant pour le droit à l’avortement sont criminalisées dans leur pays. Il y a une atteinte à leur liberté d’expression et à leur liberté individuelle. Prenons l’exemple de la Principauté d’Andorre, où Vanessa Mendoza, militante, a vécu trois ans de poursuites pénales pour avoir dénoncé l’interdiction du droit total à l’avortement devant la CEDAW  (2). Elle a été jugée pour diffamation. Une campagne, avec une pétition, a été lancée par Amnesty International pour dénoncer cette atteinte à l’expression d’une défenseure des droits humains. Elle a été soutenue par les militantes féministes.

Et puis nous travaillons sur les spécificités dans les territoires. Suite au congrès, nous déclinons une feuille de route pour nos plaidoyers et actions sur le terrain. Pour les militantes, les inégalités territoriales dans toutes nos thématiques sont une réalité. La vie des femmes en Seine Saint-Denis n ’est pas celle des femmes à Paris, selon les quartiers, tout comme la prévention, l’information et les actions à mener sont différentes dans les territoires urbains ou ruraux.

Quel est votre rôle au sein de Femmes Solidaires ?

Je suis membre de la Direction nationale. Actuellement j’occupe la fonction de présidente du Comité de Paris. Les membres de la Direction nationale portent le projet politique de Femmes Solidaires. Être présidente du comité de Paris, militer à Paris n’est pas le département le plus facile. Il y a 20 arrondissements, il y a des spécificités dans chaque arrondissement et il n’est pas évident d’être partout. Dans le 12ème, le 11ème, dans d’autres arrondissements, nous favorisons les actions en réseau avec les autres associations féministes. Nous créons et participons à des évènements pour amener les femmes à rencontrer notre association. Quand les femmes sont victimes de violences, nous les dirigeons vers notre permanence, au siège de Femmes Solidaires.

Notre Comité participe activement à la campagne sur le plaintomètre. Présenté le 8 mars 2024, cet outil d’éducation populaire, imaginé et créé par les militantes de Femmes Solidaires, peut aider les femmes victimes de violences sexuelles et sexistes à franchir le pas et déposer plainte au commissariat ou à la gendarmerie : connaître leurs droits, savoir où elles en sont dans la procédure, quelles sont leur marge de manœuvre et éviter le classement sans suite. Pour celles dont la plainte a été classée sans suite, elles peuvent relancer la procédure si de nouveaux éléments apparaissent et saisir le procureur de la République.

Quels sont les projets pour la fin de cette année et début de la prochaine ?

Nous en avons de nombreux.

Nous étions présentes à la fête de l’Huma, du 13 au 15 septembre avec des débats notamment sur le combat des Sahraouis et la position de la France vis-à-vis du Sahara occidental. Nous avons Informé et sensibilisé sur cette question peu connue. Il y a eu un grand débat sur une problématique féministe d’actualité : est-ce que la gauche peut encore relever les défis féministes qui s’imposent à notre société ? Il a eu lieu en présence d’Alyssa Ahrabare, présidente de la Coordination pour le Lobby Européen des Femmes, d’Hélène Bidard adjointe à l’égalité femmes/hommes à la Mairie de Paris, de Raphaëlle Remy Leleu, conseillère de Paris, de Dieynaba Diop, députée PS des Yvelines. Il y avait également aussi une jeune membre du Mouvement du nid, et Pascale Martin ancienne députée LFI et militante féministe en Dordogne.

Chez Femmes Solidaires, nous nous interrogeons sur la place de la gauche dans les débats féministes et comment on relève les défis féministes dans notre société. Une société qui retourne vers le conservatisme, le religieux, une droite qui tend la main à l’extrême droite et braconne sur ses terres au lieu de défendre les valeurs Républicaines, les droits des femmes et la dignité des êtres humains ; cela signifie que la Démocratie est en danger mais l’Humanité aussi.

Actuellement, le procès des violeurs de Mazan est une véritable onde de choc médiatique et sociétale face à l’ampleur des violences sexuelles et sexistes, de la domination patriarcale qui régit nos sociétés. Nous suivons le procès et le 19 octobre, nous serons mobilisées, devant les Palais de Justice pour montrer que nous sommes déterminées à mettre un terme à un système qui reproduit les violences sexuelles et les légitime.

L’autre grand évènement, c’est le salon DELIVREES, salon des livres féministes. Il aura lieu du 8 au 11 novembre 2024, à la Halle des Blancs Manteaux. Masterclass, tables rondes, dédicaces, projections de films et documentaires, des rencontres avec des autrices et auteurs féministes Guilia Foïs, Christine Bard, Chahla Chafiq, Edouard Durand, Eva Darlan, sont essentielles pour le public. Croiser les regards, les expériences, les récits, les témoignages. Le 8 novembre, nous organisons la projection du film Thelma et Louise, suivie d’une rencontre avec Catherine Faye et Marine Sanclementé, quant au road-movie de deux femmes américaines trois décennies plus tard. Évolutions, reculs, défis dans l’Amérique de 2024 ?

Pendant ces 4 jours, notre journal Clara Magazine sera présenté au public, il valorise la pensée féministe, véritable outil d’éducation populaire féministe, dans le monde de l’édition. Clara Magazine en lien avec notre Association Femmes Solidaires a créé un évènement culturel féministe. Indispensable pour le travail de mémoire féministe. Je pense que les jeunes filles et les femmes en général méconnaissent l’histoire du mouvement féministe. On a beaucoup parlé du mouvement ouvrier or le mouvement féministe, son apport depuis des siècles dans la construction des idées émancipatrices est rarement évoqué dans les livres scolaires. C’est aussi notre rôle en tant que féministes de porter cette mémoire.

Quand on parle d’un mouvement féministe qui s’engage pour une transformation sociale et sociétale, on ne peut pas se limiter tout simplement à un mouvement féministe de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons un véritable projet de société d’Egalité. A l’identique du mouvement ouvrier qui lutte pour l’égalité face à la société capitaliste de domination et d’exploitation, le mouvement féministe lutte contre toutes les oppressions : l’oppression patriarcale, capitaliste, religieuse, de classe, de race. Ce combat doit être mené sur tous les fronts. Je citerai Benoite Groult : « A toutes celles qui vivent dans l’illusion que l’égalité est acquise et que l’histoire ne revient pas en arrière, je voudrais dire que rien n’est plus précaire que les droits des femmes ».

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

1 Exposition créée par Clara Magazine « Ravensbruck – la force des Femmes »

2 CEDAW – Commission d’élimination des discriminations des droits des femmes – instance ONUSIENNE.

 

 

 

 

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