Articles récents \ Chroniques Chronique femmes du monde : Israéliennes, Palestiniennes, Libanaises : une même douleur

Comme Sabra et Chatila en septembre 1982 et les milliers de réfugié·es palestinien·nes massacré·es en trois jours au Liban, le 7 octobre 2023 restera gravé dans nos mémoires comme l’un des jours les plus sombres du conflit sans fin israélo-palestinien et ses ramifications.

C’était il y a un an, le Hamas perpétrait un massacre sans précédent en Israël faisant en quelques heures 1200 mort·es, 7500 blessé·es et 240 otages dont près de 100 ne sont toujours pas revenus à l’heure où nous écrivons. Deux enfants en font partie. Ils s’appellent Kfir et Ariel et avaient 9 mois et quatre ans quand ils ont été enlevés avec leurs parents du kibboutz Nir Oz, il y a un an. On ne sait pas s’ils sont toujours vivants. Des violences sexuelles et sexospécifiques d’une brutalité indicible ont été rapportées, outre des viols et des tortures. Les femmes juives de France et d’ailleurs ont été doublement blessées car après ce jour d’horreur, elles n’ont pas ressenti une grande solidarité, notamment des féministes dont elles attendaient plus de sororité, face aux violences subies par les Israéliennes. Je le dis haut et fort et je le répète : les Israéliennes ont payé cher cette guerre des hommes. Ne les oublions pas.

Dès le lendemain, 8 octobre, le gouvernement israélien entamait à Gaza des représailles sanglantes, qui n’allaient plus s’arrêter et continuent jusqu’à ce jour, faisant plus de 42 000 mort·es – dont 11 000 enfants inclus 700 bébés -, 95 000 blessé·es et deux millions de Palestinien·nes déplacé·es, soit 80% d’une population gazaouie de 2,4 millions d’habitant·es. L’équivalent ou presque de la population parisienne qu’on évacuerait en urgence d’un bout à l’autre de la capitale, dans un sens puis dans l’autre. A Gaza, elles/ils ont été déplacé·es cinq, six, sept fois. Aujourd’hui, le gouvernement israélien restreint drastiquement l’accès du territoire à l’aide alimentaire et sanitaire, et interdit l’entrée dans Gaza de la presse et des media internationaux, ou des observateurs étrangers, de sorte que ce qui s’y passe est plus difficile qu’ailleurs à documenter.

Ne nous y trompons pas. Comme dans tous les conflits actuels, 90% des victimes sont civiles et les deux-tiers sont des femmes et des enfants. Pas des combattants. Pourtant elles subissent à Gaza une des plus grandes catastrophes humanitaires de la planète et survivent dans des conditions alimentaires, sanitaires et sociales indignes du droit humanitaire international. Tsahal annonce avoir tué 17 000 membres du Hamas, qu’elle veut éradiquer. Est-ce à dire que, si l’on en croit ce chiffre, sur 42 000 mort.es, elle a tué 25 000 innocent·es pour rien ?

Les deux tiers des infrastructures ont été détruites à Gaza par des attaques aériennes, maritimes et terrestres de l’armée israélienne et le blocus imposé par l’Etat hébreu finit d’y rendre la vie quotidienne « invivable » : pas d’eau, pas d’électricité, les 163 000 bâtiments de ce territoire sont devenus pour deux-tiers un champ de ruine, les zones humanitaires sont de plus en plus réduites avec les incessants ordres d’évacuation. 90% de la population vit désormais sur 40% de ce territoire d’à peine 365 kilomètres carrés, sous des abris de fortune (pas assez de tentes) au gré des déplacements forcés et de l’impossibilité où sont les Gazaoui·es de s’échapper hors de cette petite langue de terre en plein chaos, coincée entre la mer d’un côté et Israël de l’autre.

La famine gronde : 83% de l’aide alimentaire indispensable à la survie de la population n’accède pas à Gaza, les habitant·es ne prennent en moyenne qu’un repas tous les deux jours et 50 000 enfants de moins de cinq ans auront besoin de traitement contre la malnutrition avant fin 2024. Et quand le gouvernement israélien laisse parvenir de trop rares ravitaillements, c’est le Hamas qui décide à qui les distribuer, pas forcément aux personnes qui en ont le plus besoin, dit-on.

Le système de santé est démantelé avec plus de 60% des hôpitaux bombardés et hors service : 17 sur 36 fonctionnent partiellement seulement, la moitié des réserves de sang nécessaire aux soins vitaux et 65% de l’insuline ne sont pas accessibles ; les amputations de guerre disproportionnément nombreuses selon les témoignages, se font souvent, faute de produit et matériel, sans anesthésie des blessé·es – enfants compris – ; Gaza fait face à la résurgence de maladies disparues depuis 25 ans comme la poliomyélite.

Avec la pénurie des produits d’hygiène comme le savon ou les couches, les Palestiniennes n’ont pas non plus accès aux protections menstruelles. Vivant dans des zones surpeuplées « avec dans certains endroits seulement une douche pour 700 personnes et une toilette pour 150 personnes » précise l’ONG Action Aid, elles n’ont pas d’intimité et doivent parfois attendre plusieurs semaines pour pouvoir se laver. Outre l’humiliation d’être obligées de garder leurs robes tachées du sang des règles et d’être sales, elles développent des infections génitales et urinaires et des allergies nouvelles. Selon l’UNICEF, cette précarité menstruelle ajoutée aux bombardements incessants et au bruit des détonations jour et nuit exacerbe les problèmes de santé mentale.

Le système d’éducation est anéanti : 477 des 564 écoles de Gaza ont été rasées. C’est autant de filles et de garçons privés de ce droit fondamental. On sait que lors des conflits ou des crises et après, à cause du temps long de la reconstruction, du traumatisme, de la pauvreté et de la vulnérabilité accrues des familles survivantes, les filles sont davantage déscolarisées que les garçons. Elles deviendront plus facilement soutien domestique de la famille, subiront mariage et grossesses précoces, perdront leurs chances d’autonomisation. Ce sont des années et des années de recul des droits des petites palestiniennes qui s’annoncent, sur une terre dévastée par cette guerre et, faut-il le rappeler, régie par la charia qui ne promeut pas l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le patrimoine culturel multiséculaire de Gaza est ravagé par un an de bombardements. La majorité des mosquées et des centres de culte, la plupart des édifices culturels, quand ils ne sont pas complètement détruits, sont a minima endommagés : c’est le cas de la grande mosquée Al Omari, un des sites les plus importants de la bande de Gaza, de l’église Saint-Porphyre, du musée Al Qarara et de celui de Rafah, ou encore du site archéologique de Tel Es-Sakan, pour citer les principaux.

La communauté internationale, d’abord timidement puis avec plus de détermination, réclame via l’Organisation des Nations Unies (ONU) un cessez-le-feu et la mise en perspective de la solution à deux Etats, un Etat israélien et un Etat palestinien, soutenue par de nombreux Etats.

Rien ni personne ne semble pouvoir faire entendre cette voix de la raison à Benjamin Netanyahu, galvanisé par le rôle de chef de guerre qui redore son image ternie depuis un certain temps auprès de ses concitoyen·nes, lesquel·les exigent régulièrement de leur gouvernement qu’il donne la priorité à la libération des otages avant tout autre chose et lui réclament la fin de la guerre et de nouvelles élections.

Rien ni personne ne semble pouvoir faire accepter à Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza, que l’Etat d’Israël a le droit d’exister et son peuple d’y vivre en sécurité et en paix.

De part et d’autre, ces hommes de guerre privilégient la force plutôt que le droit et défendent la domination martiale et patriarcale plutôt que l’égalité et la justice sociale. Une histoire d’hommes. Une histoire d’hommes violents.

Depuis le 23 septembre dernier, la nouvelle offensive décidée par le chef du gouvernement israélien sur le Liban fait ressurgir dans la population civile le traumatisme des guerres passées dans ce pays complexe, morcelé, sans président depuis près de deux ans, et éprouvé par tant de conflits depuis si longtemps. 2 300 mort·es sont déjà dénombré·es. Combien en faudra-t-il encore pour commencer à envisager l’après ? Une jeune Libanaise disait hier « il n’y a que de la détresse ici ». Comme un flashback, elle m’en a rappelé une autre, la journaliste-réalisatrice libanaise Jocelyne Saab que j’avais interviewée dans les années 1980 et qui avait comparé son pays à un immense champ de détresse. A plus de quarante ans d’intervalle, ces deux femmes résument la vie des Libanais·es de toutes confessions.

Puisque ces hommes de guerre sont sourds aux institutions internationales, à la diplomatie, aux tentatives de négociations, peut-être la société civile internationale saura-t-elle se mobiliser et se faire entendre, comme elle l’a fait en d’autres temps, pour la guerre du Vietnam par exemple ?

Dans cet esprit, il faut saluer et encourager les initiatives citoyennes aussi modestes soient-elles, les associations qui se créent pour cela, comme l’association des Guerrières de la Paix en 2022 à Paris. Des femmes, juives et musulmanes, qui tentent de construire des ponts, tentent de plaider pour la paix. Certaines sont pourtant viscéralement attachées les unes à Israël, les autres à la Palestine, et ce n’est pas toujours facile d’échanger, de discuter ensemble des défis de la sécurité et des enjeux de la paix. Mais précisément, il est là le vrai courage, choisir le camp de la paix et œuvrer ensemble pour la fin de cette tragédie.

Jocelyne Adriant Mebtoul 50-50 Magazine

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