Matrimoine Olivier Daronnat : « Le public est là, et il a des étoiles dans les yeux ! »

A l’occasion de leur dixième édition, les organisateurs des Journées du Matrimoine créées en 2015 parallèlement à celles du Patrimoine, se félicitent : le mot « Matrimoine » – qui représente l’héritage des femmes créatrices du passé, trop souvent méconnues car oubliées – rentre en effet peu à peu dans les mœurs ! Olivier Daronnat, co-animateur de la commission Patrimoine du mouvement H-F -Fédération inter-régionale pour l’égalité femmes-hommes dans les arts et la culture -, se souvient pourtant des insultes qui accompagnèrent à ses débuts le mouvement. Il évoque aujourd’hui les choix qui ont été faits pour l’édition 2024 qui aura lieu à la fois dans 29 rendez-vous en Ile de France et en près de 200 rendez-vous dans la France entière.

Quels seront les points forts de cette année ?

Nous sommes avant tout très satisfaits de voir qu’Edith Girard, cette femme architecte que nous avions mise à l’honneur en 2019, aura enfin un square à son nom dans le 18e arrondissement, qui sera inauguré pendant les journées du Matrimoine ! Mais la deuxième femme que nous avons souhaité faire mieux connaître cette année est Fanny Raoul. Vous ne savez pas qui c’est ? Beaucoup d’entre nous ne le savions pas non plus… Il aura fallu qu’elle soit sortie de l’oubli par la philosophe féministe Geneviève Fraisse qui, lors de ses recherches est tombée sur le texte incroyable de modernité qu’a écrit, il y a deux cent ans, Fanny Raoul Opinion d’une femme sur les femmes. Autrice, romancière, journaliste politique, poétesse, philosophe, penseuse et femme de combat elle l’avait publié en 1801… Cet ouvrage, avant-gardiste et révolutionnaire, avait fait scandale dès sa sortie, et pour cause : Fanny Raoul y détricotait avec finesse, malice et méticulosité les préjugés et les mensonges misogynes de son époque. Mais c’est l’écho que ses propos rencontrent avec notre époque qui va rendre le spectacle qu’en a tiré Tiphaine D à la Cité Audacieuse un événement remarquable… Ce sera un vrai choc, car malgré les années, ce texte à la fois poétique, puissant et émouvant, nous parle et résonne dans toute notre modernité.

Comment s’organise, plusieurs mois avant, une édition du Matrimoine ?

Dès la fin d’une édition, nous commençons en effet à préparer la prochaine : appels à projets dans toute la France, puis choix de ceux qui pourront être retenus, car il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas un festival, ce sont les bénévoles qui décident de s’investir qui organisent leurs événements, avec l’aide des groupes HF qui, dans toute la France impulsent le mouvement. Nous sommes devenu·es maintenant une fédération, mais c’est localement que se décident chaque événement, son lieu et sa forme. Nous échangeons beaucoup pendant toute l’année, le principe étant qu’il faut mettre en valeur des femmes décédées et qui ont été actives dans l’art et la culture

Après dix ans, quel bilan tirez vous de l’expérience Matrimoine ?

Le bilan est à la fois très positif et nuancé… Ce qui est sûr c’est que nous avons trouvé notre public, qu’il est là et qu’il a des étoiles dans les yeux ! Ce public enthousiaste est notre plus beau succès : nous savons que si chacun repart avec une meilleure connaissance de ces femmes oubliées, nous avons atteint notre but. Au début, c’était surtout un public féminin, mais il est de plus en plus mixte, avec des hommes, des femmes pas obligatoirement féministes, et des enfants. Par ailleurs le mot Matrimoine s’étale maintenant dans les journaux, avec un grand article dans Le Monde par exemple et de nombreux  collectifs régionaux s’en emparent : on a vu à Angoulême un festival proposer un « atelier matrimoine »! C’est un grand progrès par rapport aux réflexions que nous entendions au début « Mais vous n’avez vraiment rien d’autre à faire ? » ou bien « Matrimoine ? Mais ce n’est pas un mot français » !…

Mais nous devons hélas constater que les institutions ne suivent pas assez : on nous répond encore « Circulez, vous n’avez rien à faire avec nous ! » ou bien nous sommes face à des femmes qui souhaitent encore être appelées « conférencier » au masculin ! Tout prend du temps et les stéréotypes perdurent, même chez certaines femmes elles-mêmes. Il me semble toutefois que plus il y aura de femmes dans les instances dirigeantes de la culture, plus ça bougera…. Pourquoi ces blocages ? Une des explications est peut-être l’habitude de montrer, d’exposer ou de mettre en scène des personnes déjà connues, ce qui n’est justement pas le cas de ces femmes du passé que nous sortons de l’oubli… Donc une certaine paresse dans les choix, alliée à une permanente misogynie !

Heureusement, les statues de femmes célèbres voulues par Thomas Jolly lors de l’ouverture des JO cet été vont dans le sens du Matrimoine, ainsi que le mot « Sororité » utilisé ce soir là. Le jour où de la recherche universitaire sera consacrée au Matrimoine et que le ministère de la Culture lui consacrera de l’argent, nous n’aurons pas travaillé en vain.

Propos recueillis par Moïra Sauvage 50-50 Magazine

 

Le site HF Île-de-France

Contact de l’association : contact@hf-idf.org – 07 81 22 78 54

 

 

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