Articles récents \ France \ Économie Doriane Agassis : « on a longtemps eu une vision très masculine des découvertes et surtout très sexiste »2/2

Pourquoi votre thèse n’a-t-elle pas été financée ?

En comparaison avec les sciences dites « dures » (mathématiques, physique etc.), il est possible de faire un doctorat non-financé car les bourses sont beaucoup moins nombreuses. Par exemple, pour l’ensemble de l’école doctorale de Lettres, Arts et Sciences humaines dont je dépendais, il n’y avait que 7 bourses doctorales de l’Etat disponibles sur plus d’une centaine de candidats présentés aux auditions. Les laboratoires doivent donc faire des présélections et ne présenter que 3 candidats maximum. L’année où j’ai commencé, nous étions 5, il y a donc eu une présélection et je n’ai pas été retenue. Heureusement, grâce à mes directeurs de recherche, j’ai pu commencer, dès la première année, à enseigner. Financièrement ce n’est pas du tout pareil puisqu’un semestre d’enseignement bien chargé ne représente que l’équivalent d’un mois de salaire de bourse doctorale, et n’est payé que 6 mois après la fin du semestre… Mais ça reste une superbe opportunité, bien qu’elle ne m’ait permis de mener mon doctorat qu’à temps partiel.

Qui était Danièle Mouchot ?

Elle est la première conservatrice du musée d’Archéologie de Nice-Cimiez et elle a œuvré de manière active pour le rayonnement culturel de Nice et son patrimoine. Elle a permis de développer nos connaissances sur la ville et sa région à l’époque antique à travers ses publications ainsi que son travail au sein du musée. Mais, elle a aussi contribué à l’avenir de cette recherche puisqu’elle a formé beaucoup de jeunes. Son travail, sa passion, ses actions, tout ce qui lui tenait à cœur, se retrouvent dans l’association des Amis du Musée archéologique de Nice/Cimiez et dans le prix que nous lui avons dédié : conserver le patrimoine niçois, le faire connaitre et soutenir les générations qui commencent à y travailler et qui prendront un jour notre flambeau

Pouvez-vous nous citer des archéologues célèbres ?

Avec cette question, je m’aperçois malheureusement que nous ne pouvons pas, à l’image de ce que l’on peut faire avec beaucoup d’hommes archéologues célèbres, en faire de même pour les femmes. Nous avons heureusement beaucoup de femmes dans l’archéologie et dans la recherche qui marquent la discipline de leur empreinte. Mais, on ne peut malheureusement pas dire qu’elles soient célèbres au point où même des personnes extérieures les connaissent. Alors, que pour les hommes en rapport avec le domaine de l’archéologie, nous avons l’historique Howard Carter, André Leroi-Gourhan, Arthur Evans etc. Les femmes ont eu accès aux grandes études très tardivement, ce qui n’aide pas. De plus, il y a beaucoup de cas dans l’archéologie, où la femme avait fait l’essentiel du travail de fouille mais c’est le mari qui recevait les honneurs et son nom à lui qui était associé. Même si des époux travaillaient à peu près à égalité sur un chantier ou un sujet, c’est le nom de l’homme qui était retenu. J’ai parlé de ce point à beaucoup de doctorant·es autour de moi et elles/ils ont fait le même constat : les femmes archéologues sont très peu connues. Même Gertrude Bell ou Dorothy Garrod restent des noms peu connus, qui ne parlent qu’à des personnes dans l’archéologie, comparé à leur palmarès et à leur importance dans le domaine.

Est-il vrai que les squelettes changent de sexe en archéologie ?

Et oui c’est magique : pas de chirurgie, pas de traitement hormonal, juste un coup de truelle !

En réalité, on a longtemps eu une vision très masculine des découvertes et surtout très sexiste. Certains chercheurs trouvent un squelette et partent du principe que c’est un homme, sans aucune raison apparente. Pendant très longtemps, si on trouvait des armes dans la sépulture, c’était forcément un homme. De même, si la tombe avait un riche mobilier funéraire, cela signifiait que le squelette était celui d’une personne importante, d’un haut dignitaire, donc forcément c’était un homme. En étudiant les squelettes, en faisant des analyses ADN etc. on s’aperçoit que ces hypothèses étaient totalement fausses et surtout reposaient sur des préjugés tenaces. On en a des exemples partout et dans tous les domaines : France, Scandinavie, Italie etc. À Modène, en découvrant une tombe avec deux squelettes qui se tiennent la main, on est partis du principe que c’était un couple composé d’un homme et d’une femme. Les analyses ADN et dentaires effectuées plus de 10 ans après ont finalement révélé qu’il s’agissait de deux hommes. En définitive, ces quelques exemples qui ne sont que la partie émergée de ce phénomène montrent que ces idées reçues sont ridicules et mènent non seulement à se tromper considérablement de route dans nos recherches mais décrédibilisent aussi totalement les chercheurs : c’est au final néfaste pour tout le monde

Est-ce que le mouvement « Paye ta truelle » a pu faire avancer l’égalité entre les F-H et la prise de conscience des agissements sexistes des archéologues masculins ?

Je pense que tous les mouvements de ce type comme « Balance ton porc », « MeToo » etc. dans la lignée desquels s’inscrit « Paye ta truelle » ont toujours un impact significatif sur l’égalité entre les femmes et le hommes, au moins en montrant du doigt les inégalités et en mettant en lumière les abus. Malheureusement, ces problèmes sont tenaces et ne peuvent se résoudre en quelques années mais j’ai sincèrement l’impression qu’il y a un changement profond des mentalités, que ce soit pour les générations actuelles ou celles plus anciennes qui prennent conscience que ce qu’elles vivaient, subissaient ou perpétraient n’est finalement ni normal, ni acceptable. On ne pourra jamais empêcher les rengaines du type « c’était mieux avant, « de toute manière maintenant on ne peut plus rien dire », « quand un homme se retrouve dans un ascenseur avec une femme, maintenant c’est lui qui a peur d’être accusé d’agression sexuelle » etc. Mais, je crois ou du moins j’espère que ces mentalités tendent à disparaitre avec l’évolution des sociétés et le monde de l’archéologie ne pourra pas y échapper. Je peux voir déjà ces changements au niveau des doctorants où un grand nombre s’oppose à ces inégalités, s’investissent dans le respect des droits de femme et dans l’égalité femmes hommes et où ils prennent parti, de manière souvent engagée, pour aider celles qui en sont victimes. On peut parfois encore subir, de la part de certaines personnes (pas forcément les plus âgées d’ailleurs !) des moqueries et des remarques acerbes sur la « fragilité des doctorants d’aujourd’hui » lorsqu’on parle de ces problèmes. Mais, ça se raréfie. On ne veut pas cracher sur nos prédécesseurs, mais là où il y a eu de nombreuses générations toxiques, nous tendons significativement à avoir un rapport entre les êtres humains beaucoup plus respectueux et égalitaire. Ce qui se passait avant et était même considéré comme banal ou tolérable, ne l’est plus du tout et c’est tant mieux !

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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