Articles récents \ Monde \ Afrique Sabine Nga Ombede : « au Cameroun les femmes victimes de violences ne sont plus invisibilisées »
Le Cameroun est agité depuis plusieurs semaines par une affaire de proxénétisme dans laquelle seraient impliqués des membres de l’armée, des hommes d’affaires ainsi que des influenceurs et influenceuses connu·es. Parmi ces personnalités, Hervé Bopda, un milliardaire mondain, qui aurait violé, séquestré, harcelé, sodomisé et menacé de mort des centaines de femmes et d’hommes. Des témoignages continuent de déferler sur les réseaux sociaux sous le hashtag #Stopbopda. Protégé par son statut social, le bisexuel et prédateur sexuel, Hervé Bopda, contaminait, sciemment, le sida aux victimes. Dans un pays où la polygamie et les mariages forcés sont toujours d’actualité, les violences faites aux femmes restent impunies et comme la justice n’effectue pas son travail, des milliers de voix s’élèvent contre ce scandale. Titulaire de deux doctorats, enseignante-chercheuse à l’université de Douala, formatrice et consultante en sécurité sanitaire des aliments, la Camerounaise, Sabine Nga Ombede, exprime son point de vue sur les avancées en matière de lutte contre les violences dans son pays.
Pourquoi cette affaire a-t-elle déclenché autant de passion ?
Les réseaux sociaux ont joué un très grand rôle. Le lanceur d’alerte N’zui Manto a recueilli et publié les témoignages des victimes. Ce qui a beaucoup surpris l’opinion publique camerounaise, c’est le grand nombre de victimes dont des femmes enceintes, mais aussi la persistance des agressions et surtout l’impunité du prédateur. Ces deux derniers points ont beaucoup interrogé. Certains faits
remonteraient à 20 ans déjà, sans pour autant que les plaintes déposées par les victimes, n’aboutissent. Ainsi, le caractère intouchable du présumé prédateur, le millionnaire, Hervé Bopda, a beaucoup choqué l’opinion. Il serait également impliqué dans un réseau de prostitution avec d’autres personnalités connues.
Quelle leçon retenir de cette affaire ?
Je retiens qu’il s’agit d’un rêve vendu par des influenceurs et des influenceuses qui ont attiré des centaines de victimes dans un réseau de proxénétisme.
Est-ce que la ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille s’est saisie du dossier ?
Non pas du tout ! Marie-Thérèse Abena Ondoa s’était saisie du dossier de féminicides lors des crimes rituels de Mimboman à Yaoundé il y a plus de dix ans où 15 adolescentes avaient été assassinées. Elle se positionne timidement sur l’exacerbation des cas de féminicides depuis 2022 au Cameroun. Nous avons le sentiment que le ministère reste encore à la traine et que les violences faites aux femmes ne sont pas sa priorité.
Beaucoup de personnes haut placées connaissaient les agissements d’Hervé Bopda. Pensez-vous que toute la lumière sera faite sur cette affaire de proxénétisme qui agite également l’armée et le gouvernement ?
Non, je ne le pense pas, le Cameroun est miné par la corruption et une justice au service des plus puissants. Je souhaite qu’Hervé Bopda ne soit plus relâché et qu’il réponde de ses actes.
Avez-vous noté des avancées en matière de lutte contre les violences faites aux femmes depuis le mouvement #Metoo ?
Sur le plan juridique et social, très peu ! En revanche, les femmes et leur famille savent désormais que les réseaux sociaux existent.
Certaines d’entre elles dénoncent déjà les violences qu’elles subissent au quotidien, sans pour autant que les autorités réagissent. Malheureusement ces plaintes demeurent uniquement sur les réseaux sociaux et, peu de femmes ont le courage d’entamer des procédures judiciaires longues et coûteuses. Disons qu’au Cameroun les femmes victimes de violences ne sont plus invisibilisées. Reste à les écouter, les prendre en charge psychologiquement et physiquement et surtout à emprisonner les auteurs de violence. Vaste chantier…
Les associations féministes camerounaises sont-elles entendues ?
Elles ont devancé les victimes en portant plainte contre les agissements d’Hervé Bopda afin que les autorités se saisissent de cette affaire. Associé au communiqué de la ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille, cet acte a fortement motivé les victimes à aller porter plainte.
Le quotidien est tout autre, elles restent faiblement entendues, peu de femmes recourent à des associations, pourtant elles orientent, accompagnent et soutiennent la victime et sa famille grâce à un suivi psychologique. Ces associations aident aussi les familles à entamer la procédure judiciaire. Beaucoup de chemin reste à parcourir…
Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine