Articles récents \ France \ Société Anne Lorient : « Ce serait important de ne laisser personne dans la rue pour des raisons administratives » 2/2
Anne Lorient a passé 17 ans de sa vie dans la rue en tant que SDF où elle a subi de nombreuses violences et mis au monde un enfant. La publication de son livre Mes années barbares (écrit avec Minou Azoulai et publié aux éditions de la Martinière), lui a valu beaucoup d’offres d’aides et pour les centraliser elle a fondé en 2016 l’association Anne Lorient. Ses objectifs étaient au départ de faire des collectes de vêtements et des collectes alimentaires pour aider les femmes SDF. Depuis les missions de l’association se sont élargies face aux besoins de ces femmes, Anne est devenue aussi « accoucheuse de rue ».
Pourquoi ces femmes ne vont-elles pas accoucher à l’hôpital ?
Elles ne vont pas à l’hôpital car on leur fait savoir qu’elles ne sont pas de bonnes mères, parce qu’elles ne pourront pas assurer financièrement et elles ont peur qu’on leur enlève le bébé. Nous avons tout de même réussi à travailler avec le gouvernement sur une nouvelle loi dans les hôpitaux qui leur permet de garder une femme SDF avec son bébé pendant 30 jours pendant lesquels l’assistante sociale de l’hôpital va essayer de trouver une solution avec le 115. Soit on leur trouve une place dans un centre d’hébergement, mais c’est déjà saturé donc c’est rare, soit on leur propose de mettre l’enfant à l’ASE où elles le récupéreront lorsqu’elles auront une situation stable – ce qui leur semble inaccessible. On a l’exemple d’une femme qui en sortant de la Salpêtrière a été placée dans un hôtel social pour une semaine, et qui après s’est retrouvée dehors avec l’enfant . L’hôpital a fait son travail pour assurer sa sortie… à très court terme. Ce n’est pas satisfaisant !
Avec l’association nous faisons des mise à l’abri à l’hôtel, mais ça coûte très cher ! Nous travaillons avec d’autres associations pour trouver des solutions durables. Nous sommes présentes pour l’accouchement mais nous ne maîtrisons pas ce qui va se passer après au niveau de leur prise en charge. Beaucoup restent dans la rue. On les accompagne à la PMI, qui les reçoit quel que soit leur statut – avec ou sans papiers ! Elles y ont accès à du lait, des couches, des vêtements d’enfants…
Comment faire évoluer cette situation ?
Nous avons donc obtenu une première victoire sur les 30 jours pendant lesquels les accouchées peuvent rester à l’hôpital, normalement c’est une semaine,10 jours maximum. C’est aussi la prise en charge par les assistantes sociales de l’hôpital qui sont pugnaces et font tout leur possible pour leur trouver un hébergement. On a de très bonnes relations avec elles, soit elles nous alertent soit nous les alertons sur certaines situations. Ça fait du bien, on se sent moins seules, ça fait du bien aussi aux mamans qui se disent qu’il y a des gens autour d’elles – en général assez bienveillants. Le premier mois du bébé est garanti au chaud et la maman reçoit les soins et l’hygiène nécessaires après son accouchement. Mais ensuite tout se complique ! Les centres spécialisés dans l’accueil des jeunes mères et de leurs bébés manquent de places – ou de personnel. Certains hôpitaux ont des chambres vides mais pas de personnel. Il y a aussi beaucoup d’immeubles vides dans Paris. Pourquoi ne peut-on en transformer certains en centres d’accueil ?
Avec 150 bébés qui naissent dans la rue chaque année, on aurait vraiment besoin d’un lieu dédié où elles puissent rester aussi longtemps que nécessaire, mais la question n’intéresse guère les pouvoirs publics. On va plaider cette cause auprès du Sénat et de l’Assemblée Nationale, mais bien que quelques député·es nous écoutent et nous soutiennent, il ne se passe rien, elles/ils ne sont pas écouté·es non plus. Sandrine Rousseau qui essaie régulièrement de mettre en lumière la situation des femmes SDF a bien du mal à se faire entendre, elle se fait plutôt critiquer.
L’association Aurore qui s’occupe des centres d’accueil manque aussi de personnel pour faire tout ça. Et nous, nous sommes sur le terrain, je vais souvent dans les squat – on en a même eu un au nom de l’association au moment du Covid – des bureaux momentanément vacants, mais on a du le rendre en mettant les gens dehors. Nous avons réussi à en placer la moitié avec le 115, mais les autres, surtout les hommes, se sont retrouvés à la rue. Il faudrait enlever les critères de sélection pour accéder aux centres d’accueil. Il y a des personnes qui ne rentrent jamais dans toutes les cases qu’on leur impose de remplir. Ce serait important de ne laisser personne dans la rue pour des questions administratives !
Pour trouver des locaux, nous travaillons aussi avec le club des femmes du bâtiment, qui nous a signalé quelques immeubles potentiellement disponibles temporairement. Mais c’est difficile d’en disposer officiellement et le squat est interdit par la loi, donc nous hésitons à mobiliser les femmes pour les remettre à la rue aussitôt. On ne veut pas leur donner de faux espoirs et on évite d’avoir affaire à la police, nous devons faire attention aux conséquences pour les femmes, les enfants et les bénévoles. On ne veut pas voir des nourrissons évacués brutalement par la police ni des bénévoles en garde-à-vue ou arrêté·es. C’est compliqué au niveau éthique aussi et on a du mal à médiatiser la situation des mères SDF, même si elles sont toujours plus nombreuses !
Avec votre association, vous vous démenez pour apporter des moments de bien-être aux femmes sdf et à leurs enfants, comment cela se passe-t-il concrètement ?
Aujourd’hui nous sommes 32 bénévoles mais nous n’avons pas de local ni de place pour récupérer et stocker du gros matériel – en particulier de puériculture. Nous collectons tout de même des vêtements d’enfants et de la nourriture pour bébés. Nous achetons aussi beaucoup de produits alimentaires et nous faisons des livraisons directement dans les squats et sur leurs lieux de vie. Suite à mon témoignage sur internet nous avons reçu beaucoup de messages de l’étranger, une entreprise canadienne nous a même envoyé un lot de culottes menstruelles que nous avons redistribuées, même si les laver reste un frein à leur utilisation pour certaines SDF qui sont obligées d’utiliser surtout des matériels jetables.
À Noël, on a voulu leur faire un vrai Noël. Grâce à notre cagnotte sur Helloasso, nous avons eu la chance de pouvoir offrir une séance de hammam aux femmes qui ont adoré ça. Du moins celles qui étaient en mesure d’y aller, les situations d’intimité peuvent être très difficiles pour certaines. Nous avons fait également pas mal de séances de coiffure avec un coiffeur maraudeur que je connaissais et qui a ouvert un salon de coiffure dans le quartier en nous faisant un prix d’ami. Nous sommes aussi allées au théâtre avec certaines d’entre elles et avec un restaurant « partenaire » qui a une grande salle, nous avons organisé un grand repas collectif – ce que nous essayons de faire de temps en temps. Toutes les actions qui visent à améliorer leur image d’elles-mêmes et à créer du lien sont importantes ! Nous avons le projet de les emmener au bord de la mer l’été prochain si nous trouvons tous les partenaires et fonds nécessaires pour mener cette action. On devrait déjà être soutenues par la Fondation Monoprix. Nous avons aussi la chance d’être contactées pour des actions ponctuelles suite à notre visibilité sur Instagram où j’ai 6000 abonné·es d’une moyenne d’âge de 30 ans, qui s’engagent davantage dans nos actions que les plus jeunes. Elles et ils ont de bonnes idées et sont très motivé·es !
Quels sont vos besoins en matière de bénévoles ?
Nous cherchons de nouvelles bénévoles sur compétences. Nous n’avons pas de local mais nous avons des besoins en matière de suivi administratif de SDF et pour les réseaux sociaux. On a également des besoins pour la comptabilité, avec des savoir-faire très spécifiques.
Nous avons aussi besoin de personnes qui nous ouvrent leur réseau pour alimenter notre cagnotte Helloasso qui nous permet de financer nos actions. Nous n’avons aucune subvention publique. Nous avons des femmes en entreprises qui ont mis nos coordonnées dans la signature de leur mail. Cela nous aide à nous faire connaître et ça marche pas mal. Nous avons également un site internet, que des bénévoles spécialisé·es nous ont entièrement refait .
Nous avons besoin de nous faire connaître, de parler de nos actions, d’être visibles dans la presse… Nous recevons des dons de vêtements de bébés, d’argent, de bons d’accès à certains lieux culturels aussi par exemple… Nous avons beaucoup de demandes de la part de SDF qui nécessitent des compétences en informatique, pour faire des CV ou des démarches administratives. Nous avons aussi besoin d’ordinateurs pour que les enfants puissent faire leurs devoirs. Nous travaillons avec des associations qui s’occupent de l’aide aux devoirs ou qui donnent des cours de français aux adultes, mais nous avons besoin de matériel pour ces personnes. Après il faut qu’elles trouvent des accès au wifi, au mac do et dans certains cafés c’est gratuit. Donc on leur finance un café ou une boisson et ils peuvent y rester 2h ! En cette période hivernale je dis aux gens « offrez un café à un·e SDF » dans un café où elle et il pourra rester au chaud un moment – vous n’êtes pas obligé·e de rester avec elle ou lui pendant deux heures !
Propos recueillis par Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine