Articles récents \ France \ Société Najat Vallaud-Belkacem : « vous avez aussi des femmes … qui fuient les violences sexuelles, l’excision, le mariage forcé ou la prostitution »

Najat Vallaud-Belkacem fut ministre des Droits des Femmes de 2012 à 2014. Aujourd’hui elle est directrice de l’ONG ONE, une ONG co-fondée par le chanteur Bono, qui lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables. Elle est également présidente de France Terre d’Asile, une association qui accompagne, héberge les demandeuses/demandeurs d’asile et défend le droit d’asile.

Comment êtres vous arrivée à présider France Terre d’Asile ?

France Terre d’Asile est l’un des acteurs les plus anciens et reconnus en France s’agissant de l’accompagnement et de l’hébergement des demandeurs d’asile. Un acteur à la fois engagé sur le terrain et sur le plan des idées et du plaidoyer en défense du droit d’asile. En juillet 2022, l’association m’a proposé d’en prendre la présidence. Mon parcours et ma réflexions de ces dernières années m’ont amenés à beaucoup interroger la question de l’exil forcé. L’épisode de 2015 avec l’afflux des réfugié·es syrien·nes aux portes de l’Europe, le durcissement progressif du discours sur ces questions ces dernières années, l’état du monde qui, entre les conflits et le changement climatique, conduit un nombre de plus en plus important de personnes à être déplacées de force…

Chez ONE, l’ONG de solidarité internationale que je dirige par ailleurs, nous sommes aux premières loges pour voir les choses se dégrader dans le monde, notamment depuis la crise du covid 19 et la guerre en Ukraine qui a mis les chiffre de l’extrême pauvreté dans le rouge vif. Il y a plusieurs années déjà, j’avais contribué par ailleurs à la création de la Fondation Tent Partnership for refugees, qui mobilise les grandes entreprises du monde pour qu’elles prennent en emploi des réfugié·es et leur permettent de mieux s’insérer dans leur société d’accueil. Dans ce partenariat, nous avons désormais plus de 200 grandes entreprises engagées et c’est pour moi l’occasion de constater que quand chaque acteur (pouvoirs publics, entreprises, associations) apporte sa pierre à l’édifice, le sort de ces personnes peut en être vraiment transformé, et le statut de réfugié·e n’être qu’un statut transitoire avant la véritable inclusion dans le nouveau pays d’existence.

Chez France Terre d’asile, nous essayons d’y contribuer au mieux avec nos 1200 intervenant·es sociaux et nos établissements un peu partout en France, qu’il s’agisse de centres d’hébergement pour demandeurs d’asile (CADA) ou de structures de premier accueil (SPADA), des lieux où l’on accompagne les personnes quand elles arrivent. Nous sommes également présents dans les centres de rétention administratifs pour accompagner juridiquement les personnes. Nous analysons enfin les situations des mineur·es isolé·es afin d’aider à instruire leurs dossiers. Nos travailleuses/travailleurs sociaux font un travail énorme et difficile. En ma qualité de Présidente, mon rôle est de m’assurer de la bonne gouvernance de la structure, de définir notre stratégie et de faire du plaidoyer. La tâche n’est pas toujours simple dans un moment où le doit d’asile est régulièrement remis en cause.

Que faites vous spécifiquement sur les femmes, les femmes réfugiées ? Qu’est ce que le projet AMAL ?

Dans le débat public il y a souvent des perceptions trop rapides. Par exemple cette idée que ce ne sont quasiment que des hommes qui viennent demander le droit d’asile. Bien sur, partir d’Afghanistan ou de Syrie et faire ce trajet terrible à pied qui conduit vers l’Europe est un phénomène plutôt masculin. Mais vous avez aussi des femmes qui viennent notamment d’Afrique, qui fuient les violences sexuelles, l’excision, le mariage forcé ou la prostitution. En fait un demandeur d’asile sur trois en France est une femme. La question est de savoir ce que l’invisibilisation de ces dernières leur fait. Nous nous sommes rendu·es compte que bon nombre de nos politiques publiques d’accueil et d’intégration n’étaient pas vraiment adaptées à elles. Par exemple dans le rapport à l’emploi, on va dire qu’il faut absolument que ces personnes trouvent un emploi dès qu’elles auront reçu l’autorisation administrative de travailler. Mais il n’est pas évident pour une femme avec des enfants de se mettre en emploi. La dimension culturelle n’est pas assez prise en compte, ainsi des formations au français sont offertes mais il faut pouvoir sortir pour y assister . Enfin une constante nous est apparue grâce à une étude réalisée par un chercheur de Marseille, le Dr Jérémy Khouani, c’est que ces femmes demandeuses d’asile qui ont subi, pour la plupart, des violences dans leur pays d’origine et sur le chemin de l’exil, continuent d’en subir ici, et plus encore lorsqu’elles sont laissées sans abri, à la rue. Les chiffres sont absolument terribles: elles ont 18 fois plus de risques que les autres femmes d’être victimes de viol… Connaitre et documenter précisement cette vulnérabilité permet d’imaginer des réponses et un accompagnement adapté. Nous avons donc monté cette experimentation AMAL, faite de recherche et d’élaboration de réponses nouvelles, en partenariat avec des acteurs privés. L’idée étant ensuite qu’elle nourrisse les politiques publiques pour les améliorer.

Avez-vous des projets spécifiques en direction des Afghanes et des Iraniennes ?

Il y tellement de peuples en souffrance que parfois on ne sait plus où donner de la tête. Mais oui, nous avons eu une mobilisation particulière en direction des femmes afghanes parce que c’est le pire pays où naître fille et vivre femme aujourd’hui. La question qui se pose est la suivante : que se passe-t’il pour celles qui arrivent à fuir leur pays ? De fait, quand les femmes afghanes s’extirpent de là, elles se retrouvent dans les deux pays voisins que sont l’Iran et le Pakistan, deux pays qui ne sont pas particulièrement ouverts aux femmes de leur pays. De fait la recommandation que nous faisons à notre gouvernement qui se dit soucieux de diplomatie féministe, c’est de faciliter l’obtention de visas pour ces femmes une fois qu’elles sont en Iran ou au Pakistan où nous avons des consulats. Pour leur permettre de rejoindre dans de bonnes conditions, sans passer par le désert libyen, mais par avion, notre territoire. Elles ne sont malheureusement pas si nombreuses à pouvoir partir, on parle de quelques centaines de femmes, il serait insupportable de se dire qu’elles n’ont d’autres recours que de retourner chez elles. Nous avons mené une campagne très active, nous avons mobilisé autour de nous pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il renforce les équipes consulaires dans ces deux pays et qu’il accélère le traitement des demandes de visa . Compte tenu de la situation de leur pays, une fois que ces femmes peuvent poser le pied sur notre territoire, l’asile leur est de toute façon reconnu. Notre campagne est toujours active et nous sommes toujours en discussion avec les pouvoirs publics pour avancer sur cette question.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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