Articles récents \ Chroniques Chronique Femmes du Monde : Les femmes premières victimes des conflits armés
Même si l’information peut surprendre, il faut le répéter : aujourd’hui, les premières victimes des conflits armés sur la Terre sont les femmes.
Alors qu’il y a juste cent ans, lors de la Première guerre mondiale, 90% des morts étaient des hommes soldats et militaires, en ce début de 21ème siècle la configuration des guerres et des conflits a totalement changé et la situation s’est inversée : à présent, 90% des victimes de guerre sont des civil·es. Et les deux-tiers de ces victimes sont des femmes et des enfants.
Ce n’est pas tout. Les femmes sont non seulement les victimes les plus nombreuses mais, dans tous les conflits sans exception, elles subissent des violences sexospécifiques. A commencer par le viol, et souvent le viol systémique comme arme de guerre, voire des mutilations sexuelles, qui rivalisent de cruauté et tendent à s’exporter d’une région à l’autre de la planète. Le corps des femmes est devenu « un champ de bataille » pour les guerriers.
Après une accalmie dans les décennies 1990 et 2000, les conflits se sont multipliés sur la planète depuis les années 2010. A la suite des Printemps arabes qui ont suscité tant d’espoirs, notamment chez les femmes qui se sont manifestées massivement, les affrontements armés et civils en Libye, en Syrie, au Yémen ont tristement ouvert de nouveaux théâtres de guerre. L’instabilité en Libye s’est rapidement propagée dans toute la région du Sahel – Sénégal, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mauritanie –. où elle demeure vive encore aujourd’hui.
A partir de 2020, une autre vague de conflits est venu grossir des tensions aux quatre coins de la planète. L’Arménie est aux prises avec l’Azerbaïdjan à cause du Haut-Karabakh ; en Ethiopie des combats sanglants éclatent dans la région du Tigré, au nord du pays ; en Birmanie la prise de pouvoir par l’armée vient s’ajouter à la question toujours pendante de la persécution des Rohingyas ; sans oublier en Afghanistan en 2021 le retour des talibans qui s’acharnent contre les femmes et les filles interdites d’école, de travail ou d’espace public. En 2022, c’est au tour de l’Iran avec la répression du mouvement Femmes, Vie, Liberté et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En 2023, les affrontements entre factions militaires au Soudan viennent encore aggraver une crise humanitaire parmi les plus aiguës de la planète depuis une décennie. Et bien sûr l’attaque d’Israël le 7 octobre et sa répression à Gaza qui va crescendo jusqu’à présent. Et selon toute vraisemblance, 2024 risque de voir s’élargir les tensions, avec de possibles embrasements à minima régionaux
Les dépenses militaires ont atteint un niveau record de plus de 2 000 milliards de dollars ces dernières années. Et parallèlement, le financement des organisations de femmes dans les pays touchés par des conflits diminue.
Selon l’ONU on compte 110 millions de déplacé·es dans le monde dont 75 % sont des femmes et des enfants, et jusqu’à 90% dans certains pays. Le nombre de personnes tuées dans les combats, forcées de fuir leur foyer ou en besoin d’aide urgente voire vitale n’a jamais été aussi important depuis des décennies.
Si on rappelle qu’il y a actuellement plus de cent conflits dans le monde, on commence à avoir une idée de ce que les guerres infligent aux femmes et ce que leur participation aux tables de négociations pour la paix pourrait apporter de bénéfique à la société humaine tout entière.
Une mobilisation à géométrie variable de la communauté internationale
« Tous les morts se valent » dit-on. Mais pour des raisons géostratégiques et géopolitiques la communauté internationale s’intéresse à certaines guerres plus qu’à d’autres.
Vu d’Europe et d’Occident, quand on pense guerre, on pense bien sûr en premier lieu au conflit israëlo-palestinien, violemment ravivé par les massacres perpétrés le 7 octobre 2023 en Israël par le Hamas, qui a tué en une seule journée 1200 personnes, en usant de violences sexuelles spécifiques contre les Israéliennes, et kidnappé 240 otages dont près de 140 sont toujours prisonnier·es dans des conditions de survie extrêmement fragiles. On sait que plus le temps passe plus les risques augmentent pour les personnes captives de ne pas revenir vivantes.
Depuis le 7 octobre et les représailles sanglantes d’Israël à Gaza, on pense aussi aux civil·es palestinien·nes victimes de bombardements aériens, maritimes et terrestres continus, qui ont fait plus de 27 000 mort·es, un million sept cent mille personnes déplacées et 93% de la population en risque de famine. Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), les deux-tiers des mort.es sont des femmes et leurs enfants et 75% des déplacé.es également. En quatre mois, le nombre de tué.es a triplé par rapport au total des quinze années précédentes et par ordonnance le 26 janvier 2024 la Cour Internationale de Justice (CIJ) de la Haye vient d’appeler Israël à protéger les Palestinien·nes contre un « risque réel et imminent» de génocide.
Des deux côtés, l’émotion est si vive et à fleur de peau que la non-neutralité est soupçonnée dans le moindre mot, la moindre virgule ou le moindre geste. Mais, ce qui est incontestable, c’est que les femmes, Israéliennes et Palestiniennes, restent ici les principales victimes de la guerre des hommes.
A nos portes, la guerre de la Russie en Ukraine vient de passer deux ans en ce mois de février, avec les risques d’extension du conflit et le renforcement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ( OTAN ) est le signe d’une crispation. Selon l’organisation mondiale de la Santé (OMS), sept millions et demi d’Ukrainien·nes ont été déplacé·es depuis le début du conflit – par conséquent 75% de femmes et leurs enfants. Et si le nombre des mort·es de part et d’autre manque car les belligérants hésitent à le donner pour ne pas se montrer affaiblis, le viol, le plus souvent collectif contre les femmes, la nudité forcée et autres humiliations, les tortures sexuelles sont avérées et documentées. Cette guerre continue d’affecter la vie de millions d’Ukrainiennes, déjà victimes du précédent conflit, depuis 2014. Viols systématiques, traite de femmes contraintes à la prostitution, renforcement des réseaux internationaux d’exploitation sexuelle et parallèlement des violences domestiques, les Ukrainiennes paient le prix fort de cette guerre. Sans oublier la perte des moyens les plus basiques de subsistance et leur pauvreté qui s’aggrave. Et si les Ukrainien·nes sont de plus en plus nombreuses à s’engager dans les troupes de combat contre la Russie, elles se battent à la fois contre l’ennemi et contre le sexisme ancré dans leurs rangs et au sein de leur société.
Que dire des autres conflits, passés sous les radars de l’actualité, un conflit chassant l’autre ? La liste est longue de ces territoires en guerre armée ou civile. La BBC recense une dizaine de « guerres majeures, en plus des dizaines de conflits armés à la recherche de territoires ou de gouvernements» : Soudan, Burkina Faso, Somalie, Birmanie, Nigéria, Syrie, Yémen, République démocratique du Congo, Haïti, Sahel, Birmanie, Arménie, Erythrée, Ethiopie, Niger, Tchad, … Il faut y ajouter certains pays d’Amérique latine, minés par le narcotrafic et donc la violence et les mort·es, comme l’Equateur, et une violence sexiste qui se traduit par un très fort nombre de féminicides, comme le Mexique qui en détient le record mondial.
Cette impressionnante énumération est loin d’être exhaustive. Face à cela, pour des raisons géopolitiques et géostratégiques, la communauté internationale a des réactions très différentes selon l’endroit où se déroule le conflit, réactions qui vont de l’indignation la plus exacerbée à l’indifférence quasi complète.
Qui se souvient des Yézidies réduites en esclavage ou des lycéennes nigérianes enlevées dans leur école il y a dix ans et dont une centaine est toujours prisonnière de ses bourreaux et souvent mères d’enfants nés du viol ?
Qui s’intéresse aux Congolaises qui continuent de subir depuis près de trois décennies une barbarie inouïe dans les Kivus en République démocratique du Congo, au gré des groupes armés ou rebelles : viols multiples de femmes et de filles de tous âges (de bébé à 80 ans), seins coupés, vagins ravagés par balles ou objets tranchants, femmes enceintes éventrées,…
Qui s’inquiète des réseaux en vue de prostitution qui traquent les Ukrainiennes aux frontières de leur pays, et qui se soucie des grossesses et des stérilisations forcées vécues par les femmes Roms, les Canadiennes autochtones ou les Ouïghoures aujourd’hui en Chine ?
Beaucoup de ces violences sexuelles contre les femmes dans les conflits sont non seulement des crimes de guerre mais des crimes contre l’humanité selon le droit international. Pourtant ces crimes ne sont quasiment jamais punis.
C’est l’un des plus grands silences de l’histoire.
Jocelyne Adriant Mebtoul 50-50 Magazine