Articles récents \ France \ Société Sébastien Garcin : « On ne naît pas homme, on le devient par l’éducation et le bain sexiste dans lequel on nous plonge dès la plus tendre enfance 2/2

Ex-Chief Marketing and Data Officer de L’Oréal, Sébastien Garcin est cofondateur de l’entreprise digitale, YZR mais surtout un ardeur défenseur de l’égalité. Après un parcours dans la communication et le marketing, il prend conscience des revendications des femmes et publie, en 2017, « Le sommet de la pyramide, déconstruction d’un homme blanc » où il raconte le cheminement qui l’a amené à comprendre qu’il pouvait prendre une part active dans la construction d’une société plus inclusive. Aujourd’hui, Sébastien Garcin propose des conférences et des ateliers pour inciter les hommes à réfléchir sur leur conditionnement et leur manière d’appréhender leur genre.

Vous proposez une newsletter, Héraclès, qui s’adresse aux hommes. De quoi y parlez-vous ?

La prise de parole d’un homme blanc privilégié comme moi dans le champ du féminisme est par essence problématique. Je suis un représentant de la classe dominante, mes pairs se nomment Bertrand Cantat, Patrick Poivre d’Arvor ou Donald Trump : la seule posture acceptable semble être le silence et l’écoute. Dans le même temps, un féminisme moderne apparaît sur les réseaux sociaux, développé par des militantes plus jeunes, portées sur des sujets plus intimes. Des hommes s’invitent dans ces espaces de parole, le plus souvent avec violence et agressivité. Dans cette cacophonie, il existe une grande masse de gars silencieux. Le féminisme a besoin de troupes et je pense qu’on peut en recruter beaucoup dans les rangs de cette majorité silencieuse. Ce sont des alliés en puissance qu’il faut repérer, former et outiller pour défendre le projet d’une société plus égalitaire. C’est à ça que sert ma newsletter Héraclès : former des hommes pour en faire des alliés. En tant qu’homme vous allez y apprendre quelques éléments de culture féministe, sous l’angle de ce que vous pouvez en faire en tant qu’allié. En tant que femme, vous pourrez y inscrire les hommes de votre entourage.

C’est une ligne de crête et elle est étroite : comment participer au changement alors que je représente ma classe comme un cliché ? Comment ne pas reproduire des oppressions ? Je n’ai pas de réponses toutes faites. Je cherche à ne pas prendre la parole là où elle volerait la visibilité d’autres personnes concernées, j’essaie d’occuper un vide : celui d’une parole d’hommes pour les hommes pour partager ma honte et ma colère, et pour en convaincre quelques-uns qui éprouvent cette honte et cette colère, à sortir de leur silence.

Vous dites que, les hommes ne sont pas tous coupables de cette oppression mais qu’ils en sont les premiers bénéficiaires et complices en tant que cis, blancs et occidentaux. Vous en appelez à une prise de conscience auprès de vos homologues. Comment procéder ?

La notion de privilège, c’est un concept capital pour comprendre le système oppressif dans lequel nous vivons et dont nous sommes les acteurs et, parfois malgré nous, les gardiens. Mais je me suis rendu compte que, d’un point de vue pédagogique, le discours sur les privilèges est inopérant. En effet, il est difficile de convaincre quelqu’un de rejoindre une cause en mettant en avant d’abord ce qu’il va y perdre !

Par ailleurs, de nombreux hommes ne sont pas privilégiés, parce qu’ils sont racisés, ou issus de catégories sociales défavorisées, il est insultant pour eux de prétendre qu’ils bénéficient de privilèges sociaux.

Avec le temps, je me suis plutôt concentré sur le problème des violences sexuelles et sexistes. Je tiens un discours très simple auprès de mes pairs : 1 femme sur 8 a été violée au moins une fois dans sa vie. Est-ce que c’est 1 seul violeur qui est concerné ? ou bien est ce qu’il y a des violeurs partout autour de toi ? En leur faisant prendre conscience qu’il y a des auteurs de violences parmi leurs amis, leurs collègues, leur famille, je les invite à réfléchir sur leur responsabilité dans l’existence du sexisme qui permet à ces violences d’advenir et à leurs auteurs d’être impunis. Je leur répète que si tous les hommes ne sont pas violents, la violence est masculine et que tous les hommes travaillent de concert à maintenir les conditions pour qu’elle perdure.

Faut-il organiser des ateliers obligatoires de sensibilisation auprès des élèves dès le plus jeune âge ?

Je ne suis pas un professionnel de l’éducation, mais je suis intervenu dans des classes de lycée. Et j’ai pu me rendre compte que la puberté est l’âge de tous les dangers. Un petit garçon qui aura pu intégrer des notions d’égalité dans son plus jeune âge va se faire laver le cerveau, aussi bien par la culture populaire, son groupe d’amis masculins, le porno en ligne et les nombreux coachs en séduction qui répandent une vision du monde profondément misogyne. Il faut être très fort, très articulé politiquement pour résister à cette pression sociale.

Ces jeunes hommes arrivent à l’âge adulte avec un fatras émotionnel et politique qui est véritablement toxique. J’ai 55 ans aujourd’hui mais je n’ai pas oublié la pression des injonctions qui m’encourageaient à être une ordure avec les femmes.

A titre personnel, j’ai eu la chance de construire mes premières relations sentimentales et sexuelles avec des femmes très fortes, très campées, parfois plus âgées qui m’ont empêché de devenir un connard. Le meilleur conseil que je pourrais donner aux jeunes hommes aujourd’hui c’est : fuyez le porno et méfiez vous de votre bande de potes. Rien n’est pire que l’entre soi masculin.

Peut-on être masculin sans être viril ?

Plus j’avance dans mon travail de prise de conscience et d’acculturation, moins je comprends ce que signifient ces deux mots, moins je suis capable de les exprimer.

J’aime beaucoup le terme qu’utilise Paul B. Preciado : il parle de fiction politique. Le masculin, le féminin, la virilité, ce sont des fictions politiques qui poussent sur un substrat biologique, mais ce sont des fictions. En prendre conscience, c’est tout d’abord vertigineux parce qu’on est perdu. Et puis c’est enivrant car une fiction, ça s’écrit, ça se réécrit, ça se corrige, ça s’améliore.

Qu’avez-vous à dire aux Incels et aux jeunes générations en quête d’identité ? 

C’est très troublant de voir ces jeunes hommes perdus. Ils sont l’objet d’influences très toxiques et leur souffrance fait peine à voir d’autant qu’ils sont éduqués à ne surtout pas la reconnaître. Pour certains d’entre eux, leur expérience de la vie est pavée d’humiliations perpétrées à leur encontre par des institutions majoritairement représentées par des femmes : Education nationale, Santé, Justice. Dans ce paysage, toute femme qui s’exprime sur le sujet est suspecte. Je pense qu’il faut des voix masculines, il faut que, dans tous les étages de la société, plus d’hommes s’emparent du sujet, apprennent à le maîtriser et parlent à leurs pairs.

A quand un #Balancetavirilité avec des témoignages d’hommes souffrant de cette injonction ?

Le fait que les hommes souffrent des injonctions patriarcales est avéré, mais en prendre conscience individuellement est un long chemin. Je craindrais que les hommes prenant la parole sur le sujet soient automatiquement catégorisés comme gays précisément par les hommes à qui on cherche à parler, dévalorisant ainsi le message.

On ne naît pas homme, on le devient par l’éducation et le bain sexiste dans lequel on nous plonge dès la plus tendre enfance. Cette éducation a des bons côtés : nous, les hommes, aimons l’action. Il nous est plus facile de nous réaliser socialement quand on agit que quand on n’agit pas. C’est ça que je cherche à faire : identifier des hommes qui ne sont pas à l’aise dans un monde sexiste, les doter de quelques éléments théoriques pour les aider à comprendre leur malaise et leur donner des pistes d’action comme soutenir les femmes qui luttent, devenir un gars safe, faire taire nos amis qui tiennent des propos sexistes, parler à ceux qui se comportent de façon problématique, prendre sa part de travail et de charge mentale à la maison.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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