Articles récents \ France \ Société Sébastien Garcin : « J’ai chaussé les lunettes du genre, et c’est impossible de les ôter » 1/2
Ex-Chief Marketing and Data Officer de L’Oréal, Sébastien Garcin est cofondateur de l’entreprise digitale, YZR mais surtout un ardeur défenseur de l’égalité. Après un parcours dans la communication et le marketing, il prend conscience des revendications des femmes et publie, en 2017, Le sommet de la pyramide, déconstruction d’un homme blanc où il raconte le cheminement qui l’a amené à comprendre qu’il pouvait prendre une part active dans la construction d’une société plus inclusive. Aujourd’hui, Sébastien Garcin propose des conférences et des ateliers pour inciter les hommes à réfléchir sur leur conditionnement et leur manière d’appréhender leur genre.
Comment êtes-vous devenu féministe ?
J’ai découvert le féminisme grâce à un groupe féministe intersectionnel sur Facebook. J’y voyais les publications de femmes militantes très érudites qui témoignaient aussi des oppressions qu’elles pouvaient subir. C’était en 2013. Je me suis passionné pour cette “matière”. J’étais à la fois choqué de découvrir l’ampleur du problème et son côté systémique. Et puis en tant qu’homme blanc, cis, hétéro et bourgeois, je me suis vite rendu compte que j’étais au sommet de la pyramide des oppressions et donc au cœur du problème. J’ai découvert ces vérités qui étaient sous mes yeux et que je n’avais pas vues et j’ai éprouvé de la honte.
Cela m’a mené à une profonde introspection au cours de laquelle j’ai beaucoup interrogé mon identité, mon passé, mes comportements, mes automatismes, mes préjugés. Dans le même temps, j’ai lu de plus en plus, je suis allé à des conférences, j’ai écouté des podcasts. J’ai découvert une quantité impressionnante d’études et de chiffres. Le féminisme en tant que science sociale m’a passionné. J’ai aussi croisé des femmes, militantes, activistes, et je me suis rendu compte de la profondeur de leur introspection, de leur capacité à se remettre en cause dans tous les pans de leur vie et de leur perception du monde.
Je me suis aussi rendu compte que j’étais seul : dans les conférences, les rencontres les hommes étaient rares ou absents. Les seuls hommes qui intervenaient dans le débat étaient les masculinistes qui organisaient des raids sur des comptes ou des personnalités féministes.
C’est à ce moment qu’a déferlé la vague #metoo. Fort de ma culture féministe naissante, je n’ai pas été surpris. En revanche, la réaction des hommes a été une cruelle déception. A part « les classiques“, on ne peut plus draguer” et autres “pas tous les hommes” mes pairs faisaient la consternante démonstration de leur manque d’empathie et de leur incapacité à comprendre la réalité et la profondeur du problème.
Alors le 19 octobre 2017, j’ai publié sur Twitter et Facebook mon premier écrit “féministe” : “#balancetonporc et moi.
Ma première réaction de mec hétéro de base, c’est de me dire « moi cela ne me concerne pas parce que je suis gentil et je n’ai jamais harcelé quiconque« . Et d’ailleurs, ces derniers jours, les réseaux sociaux se retrouvent peuplés de mecs hyper cools et gentils qui n’ont jamais fait de mal à une meuf. Mais il y’a un truc qui ne tourne pas rond quand même. Il n’y a pas des centaines de milliers de porcs et tous les autres gentils.
Il y a un ventre mou.
Un ventre de mecs qui ont été un peu lourdauds, un peu égrillards, avec des regards un peu lourds, des commentaires un peu salaces. Un ventre mou de mecs qui se sont tus, qui ont ricané parce qu’ils étaient gênés, qui ont regardé ailleurs. Un ventre mou de collabos. Est-ce que chacun d’entre nous, nous qui ne faisons l’objet d’aucun de ces tweets courageux, nous les gentils, les bien élevés. Est-ce que nous sommes blancs comme neige ? Est-ce que nous sommes certains de n’avoir pas fait partie un jour de ce ventre mou ? Est-ce que nous sommes certains de n’avoir jamais été un collabo ?
Moi, non.”
Les réactions de mon entourage m’ont fait comprendre qu’il y avait un décalage immense entre les militantes féministes et les gars comme moi, fondé avant tout sur l’ignorance de ce que le féminisme pouvait nous apporter, en tant qu’humains. Il fallait faire un vrai travail de vulgarisation du féminisme et du genre à destination des hommes.
C’est pour cette raison que j’ai écrit Le Sommet de la pyramide, Déconstruction d’un homme blanc. Un petit livre qui se lit en moins d’une heure dans lequel je raconte mes prises de conscience dans les champs du sexisme, du racisme et de la transphobie.
Aujourd’hui, je continue mon éducation. Je lis Camille Froidevaux Metterie, Olivia Gazalé, Virginie Despentes, Léane Alestra, Lucile Peytavin. J’écoute Christelle Taraud, Juliette Roguet, Victoire Tuaillon, Rokhaya Diallo, Paul B Preciado, Francis Dupuis Deri. Je lis et je regarde plus d’oeuvres de femmes. Je suis devenu allergique au sexisme dans toutes ses expressions médiatiques ou culturelles.
J’ai chaussé les lunettes du genre, et c’est impossible de les ôter.
Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine