Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Le massacre de l’Ecole Polytechnique était une attaque terroriste anti féministe
Chaque année à Paris se tient un rassemblement pour honorer la mémoire des 13 femmes sauvagement assassinées à l’école Polytechnique de Montréal, le 6 décembre 1989, par un jeune homme qui se sentait bafoué par la réussite des femmes et leur entrée dans des domaines jusque-là réservés aux hommes qui disqualifiaient les femmes d’emblée parce que femmes. Ce féminicide de masse doit être reconnu pour ce qu’il est et servir de phare aux féministes du monde entier tant que l’égalité entre les sexes ne sera pas devenue partout une réalité. A l’heure où le cyberharcèlement voit se déchainer ces haines masculinistes virulentes comme des trainées de poudre, nous devons être plus que jamais déterminées à faire advenir un monde plus juste pour tout le monde, un monde qui accepte toutes nos différences sans les hiérarchiser et dans lequel chacun·e puisse trouver sa place. Le texte de Doreen Nicoll est une mise au point nécessaire en cette période où les violences l’emportent trop souvent sur la réflexion, la raison et l’humanisme !
Anne St-Arneault, 23 ans ; Geneviève Bergeron, 21 ans ; Hélène Colgan, 23 ans ; Nathalie Croteau, 23 ans ; Barbara Daigneault, 22 ans ; Anne-Marie Edward, 21 ans ; Maud Haviernick, 29 ans ; Barbara Klueznick, 31 ans ; Maryse Laganière, 25 ans ; Maryse Leclair, 23 ans ; Anne-Marie Lemay, 22 ans ; Sonia Pelletier, 23 ans ; Michèle Richard, 21 ans ; et Annie Turcotte, 21 ans.
La plupart des personnes lisant ceci reconnaîtront les noms des 13 étudiantes en ingénierie et de l’assistante administrative assassinées par un tireur à l’École polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989.
Décrit à l’origine comme un « événement tragique », 34 ans plus tard, il est temps de qualifier ce féminicide pour ce qu’il était vraiment : un attentat terroriste antiféministe.
Le tireur a laissé une lettre de suicide exposant ses motivations politiques, ainsi qu’une liste de 18 femmes et d’un groupe d’hommes antisexistes qu’il avait l’intention d’abattre, mais qu’il a manqué de temps pour tuer. Il a également précisé qu’il voulait terroriser toutes les féministes.
Qu’est-ce qui a changé pour les féministes, les femmes et les jeunes filles depuis lors ?
Le tireur a utilisé un fusil semi-automatique Ruger Mini-14 et un couteau de chasse pour commettre ses féminicides. Les carabines Ruger Mini-14 ne sont toujours pas interdites au Canada et, depuis que le premier ministre Harper a aboli et détruit le registre des armes d’épaule en 2012, ces armes n’ont plus besoin d’être enregistrées, à l’exception des propriétaires vivant au Québec.
Selon le rapport de l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilité, #CallItFemicide : Understanding sex/gender-related killings of women and girls in Canada, 2018 – 2022, pas moins de 184 femmes et jeunes filles ont été féminicidées au Canada en 2022.
Oui, j’ai l’intention de faire du verbe « féminicider » une partie intégrante du lexique du féminicide, alors passez outre et ne laissez pas cela vous empêcher de continuer à lire le reste de cet important article.
Ces 184 féminicides représentent une augmentation de 27 % par rapport à 2019, où 148 femmes et filles ont été tuées par des hommes au pays.
CallItFemicide a constaté que la méthode de mise à mort n’avait pas été divulguée publiquement pour 37 % de ces victimes de féminicide. Lorsque cette information a été divulguée, les coups de couteau (35 %) étaient la cause de décès la plus fréquente pour les victimes de féminicides commis par un partenaire intime, suivis par les coups de feu (27 %), les coups (21 %) et la strangulation (9 %). Les 8% restants ont été tués par d’autres méthodes, notamment en étant renversés par une voiture ou frappés avec une hache.
Le meurtre de femmes et de jeunes filles pour la seule raison qu’elles sont des femmes mérite d’être désigné pour ce qu’il est, à savoir une violence motivée par le sexe. Tant que le féminicide ne sera pas reconnu comme un crime à part entière, rien ne changera.
Si le féminicide n’est pas inclus dans le Code criminel du Canada, ces meurtres ne pourront pas être correctement identifiés et nommés. Sans désignation distincte, le langage et les connaissances sur le fémicide ne seront jamais développés, ce qui est désespérément nécessaire pour former correctement le public, la police, les juristes, les juges, les médecins et les autres professionnel·les à reconnaître les signes de la violence et de la létalité entre partenaires intimes. Et ces signes existent toujours.
L’absence de mots et de connaissances empêchera également de comprendre les liens entre la violence fondée sur le sexe et les attentats à grande échelle, comme le souligne le rapport d’expertes des professeures Jude McCullock et Jane-Maree Maher rédigé pour la Commission sur les pertes massives d’avril 2020 en Nouvelle-Écosse, qui explique en détail comment la violence privée et la misogynie constituent un risque pour la société en général.
L’absence de mots et de connaissances sur le féminicide signifie que l’on continue à manquer d’informations qualitatives et quantitatives sur lesquelles s’appuyer pour concevoir des moyens efficaces de prévention et d’intervention ciblées, ainsi que des soins familiaux et communautaires après un féminicide.
L’Ontario Association of Interval and Transition Houses (OAITH) a publié sa liste annuelle des féminicides le 25 novembre, Journée internationale des Nations unies pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles.
Au cours des 52 dernières semaines, 62 femmes et enfants ont été tué·es dans la seule province de l’Ontario. À ce jour, 93 accusations ont été portées contre 57 hommes et trois femmes dans ces féminicides – il est important de noter que les femmes sont généralement accusées de complicité après les faits. Quatorze autres cas ont été considérés comme des féminicides-suicides dont l’auteur s’est suicidé.
Plus de 33 communautés ontariennes ont été touchées, notamment Brampton, Burlington, Caledon, Chute-à-Blondeau, Deep River, Eganville, Fenelon Falls, Guelph, Hamilton, Lincoln, London, Marathon, Markham, Mississauga, New Tecumseth, Niagara, Ohsweken, Oshawa, Peterborough, Quinte West, Richmond Hill, Sabaskong First Nation, Sault Ste. Marie, Sioux Lookout, St Catharines, Sudbury, The Blue Mountains, Thunder Bay, Toronto, Vaughan, Waterford, Whitby et Windsor.
L’OAITH recense les féminicides en Ontario depuis plus de trente ans et a enregistré plus de 1 020 victimes de féminicides dont la vie a été fauchée, dans la plupart des cas, par des hommes qui les connaissaient.
Ces chiffres sont un rappel choquant de l’oppression, de la haine, de l’inégalité, des violations des droits humains et des défaillances du système qui ont conduit à ces féminicides, car il est bien connu que les féminicides sont évitables.
» Si vous remarquez que vous lisez plus souvent que des femmes et des enfants sont tué-es, c’est parce que c’est le cas. Rien que l’année dernière, il y a eu plus d’un fémicide par semaine en Ontario. Trente communautés différentes ont été touchées par des fémicides cette année. Alors que le nombre de fémicides continue de grimper année après année, nous devons nous unir pour nous attaquer aux causes profondes de la violence masculine, afin de nous assurer que nous pouvons changer ces conditions odieuses » a déclaré Marlene Ham, directrice générale de l’OAITH, dans un communiqué.
Tournons la lunette vers l’extérieur et examinons l’impact mondial du féminicide, tel qu’il ressort du rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) : Les meurtres de femmes et de filles liés au genre .
Dans le monde, près de 89 000 femmes et jeunes filles ont été tuées intentionnellement en 2022, soit le nombre annuel le plus élevé enregistré au cours des 20 dernières années. Les données disponibles suggèrent qu’après un pic en 2021, le nombre total d’homicides dans le monde a commencé à baisser en 2022. Malheureusement, le nombre de féminicides ne diminue pas.
La plupart des meurtres de femmes et de jeunes filles sont motivés par le sexe. En 2022, environ 48 800 femmes et filles dans le monde ont été tuées par des partenaires intimes ou d’autres membres de leur famille. Cela signifie qu’en moyenne, plus de 133 femmes ou filles ont été tuées chaque jour par un membre de leur propre famille.
Il est clair que plus de trois décennies de langage neutre et de rédaction de lettres avant les élections n’ont absolument rien fait pour améliorer la sécurité des femmes et des jeunes filles, sans parler des féministes, en Ontario, au Canada et dans le monde entier.
Les médias qui rédigent des articles neutres ou généraux en utilisant un langage aseptisé ont aggravé et favorisé la violence sexiste et le féminicide. Je ne veux pas me prêter à cette tendance et demande donc à mes lecteurs et lectrices de réfléchir honnêtement et objectivement aux actions qu’ils et elles sont prêt·es à entreprendre pour mettre fin au terrorisme antiféministe en Ontario, au Canada et dans le monde.
Le 6 décembre est la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes au Canada. Si vous ne pouvez même pas penser à une seule action significative, ayant un impact, que vous pourriez entreprendre au cours de l’année à venir et qui irait au-delà de la participation à la veillée requise ou de la rédaction d’une lettre à divers niveaux de responsables politiques au cours des années électorales, je vous encourage à écouter la conversation approfondie que le rédacteur en chef du média rabble.ca, Nick Seebruch, a eue avec Andrea Gunraj, vice-présidente de l’engagement public à la Fondation canadienne des femmes, sur le thème « Comment agir cette année contre la violence basée sur le sexe » . Ce seront 20 minutes bien employées.
Doreen Nicoll, journaliste canadienne spécialisée dans les questions féministes et les violences conjugales
Traduction: TRADFEM