Articles récents \ France \ Société Le féminisme n’a jamais tué personne, la misogynie tue tous les jours
Une femme meurt tous les 2 jours et demi en France sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint, on le sait, on le dit. Au Mexique, 10 femmes par jour; dans le monde, une femme toutes les 11 mn, on le sait moins, mais on a conscience, de plus en plus, qu’il y a problème, ici et ailleurs. Non, on ne tue pas « par amour » ! Sinon les femmes tueraient autant que les hommes !
En France, 85% des victimes sont des femmes, et 86% des assassins sont des hommes.
La qualification de « crime passionnel » a d’ailleurs enfin disparu pour être remplacée par « féminicide », mot inventé, comme le mot « fémicide » en anglais dans les années 70 par la sociologue féministe américaine Diana E.H.Russell.
Le « fémini-cide », comme l’insecti-cide ou le pesti-cide, destruction d’une femme parce qu’elle est une femme, émeut parfois : lorsqu’une personnalité, telle Marie Trintignant, succombe (à Vilnius, il y a 20 ans lors de la fin de son tournage sur Colette) aux coups de son compagnon Bertrand Cantat. Lui a protesté d’une dispute qui a mal tourné. Il s’est d’ailleurs avéré coutumier du fait. Non, le féminicide n’est pas une dispute qui tourne mal.
Il se trouve que Marie Trintignant voulait se séparer de lui. Comme dans la plupart des cas de féminicides, c’est la menace de séparation qui insupporte le conjoint. Amour ? Jalousie ? Peur de l’abandon ?
Mais pourquoi anéantir celle qui vous échappe ? Précisément parce qu’elle vous échappe ? L’homme serait-il mû par ses passions davantage que la femme ? Lui dont toute la philosophie a fait un « être de raison », supérieur à la femme, si l’on en croit la tradition, pour cette raison !…
« On ne tue pas par amour mais par désir de possession », rappelait Marlène Schiappa en 2019.
Et de quel droit un homme se pense-t-il propriétaire de « sa femme » ? On dit d’ailleurs « sa femme » pour lui et non « son homme » pour elle, sauf en langage populaire, dont l’égalité de traitement est la bienvenue, mais l’égalité s’arrête là : les femmes en général ne tabassent pas pour tuer, ne tuent pas, sauf en cas de violences du conjoint sur elles ou sur les enfants, en cas d’inceste par exemple. L’homme serait plus fort physiquement ?
Une sportive, ceinture noire de judo se faisait tabasser régulièrement par son mari a fini par partir avec ses deux enfants. Sans doute ne connaissait il pas les règles du judo. Il n’a pas non plus respecté les règles de l’égalité citoyenne, du respect de la vie d’autrui, comme si à l’intérieur du foyer familial, les lois de la République ne s’appliquaient plus. Comme si la famille était une zone de non-droit. Et il est vrai que si elle, la femme battue, s’était débattue, elle aurait perdu son procès au tribunal : tel est le cas en Espagne où 62% des femmes qui portent plainte pour violences « de genre » sont condamnées dans la contre plainte présentée par le conjoint. Il vaut mieux se laisser abîmer que de se défendre !
L’Espagne est pourtant pionnière en Europe, en termes de législation, avec des tribunaux dédiés, une formation des juristes et des policier·es, le droit à une assistance légale gratuite et des soins gratuits pour les femmes victimes de « violences de genre ».. Et les budgets alloués en 2022 diffèrent aussi : Espagne : 260 millions d’euros, France : 32 millions. On dit donc « violences de genre » et non, comme en France « violences conjugales »
Une affaire privée ? Ou un choix politique ? « Le privé c’est politique » scandaient les féministes historiques des années 70.
En Europe, les violences contre les femmes sont une atteinte aux « Droits de l’Homme » et à la Déclaration universelle de 1948, même si les femmes ne sont pas des hommes, on ne va pas chipoter : « Droit à la sûreté, à l’égalité, à la liberté ». « La femme est un être humain », clamait déjà Olympe de Gouges en 1790. Mais s’agit-il seulement de droits ?
Depuis que le patriarcat existe ( 3000 ans, certes c’est peu en regard de l’histoire de l’humanité qui a connu bien des matriarcats pendant des dizaines de milliers d’années), le contrôle du père s’exerce sur sa progéniture pour la transmission des biens et donc sur sa femme, et ainsi sur toute femme. Le contrôle du corps féminin, de sa virginité dans certaines sociétés, se poursuit sous d’autres formes dans les pays occidentaux comme l’assignation au rôle d’épouse et de mère. La famille patriarcale reste ainsi comme son nom l’indique, et malgré la législation d’un «droit parental » égalitaire, une enclave de domination masculine possible.
En fait, le féminicide est l’aboutissement d’un « continuum » de violences contre les femmes, qui traverse toute la société, toutes les sociétés d’aujourd’hui : violences physiques (viols, agressions sexuelles, mutilations sexuelles, mariages forcés, prostitution, porno criminalité), psychologiques (« emprise »), sociales par la discrimination à l’embauche, les écarts de salaires (20% d’écart femmes/hommes pour le même emploi), la fermeture des carrières (l’orientation, le plafond de verre), la sous-représentation politique, médiatique, culturelle, et des infériorisations de toutes sortes (harcèlement de rue, harcèlement sexuel au travail qu’a massivement dénoncé #Metoo, cyberharcèlement, ridiculisations du corps, de la tenue, etc). Bref, du « sexisme ordinaire ».
Le « sexisme ordinaire » est tellement ordinaire que l’on n’en a guère conscience.
Les hommes en ont moins encore conscience que les femmes, d’après le dernier rapport 2023 du HCE :
27% des femmes considèrent qu’il est normal qu’une femme s’arrête de travailler pour s’occuper des enfants, et 40% des hommes.
9% des hommes considèrent qu’un homme n’a pas à s’occuper des tâches ménagères (et 15% des 25-34 ans).
13% des femmes et 34% des hommes pensent que « les poupées c’est pour les filles, les camions pour les garçons ».
7 hommes sur 10 refusent de considérer que c’est un problème structurel.
4 hommes sur 10 considèrent que la lutte anti-sexiste va trop loin. Et 6 hommes sur 10 que les féministes en font trop.
Malgré MeeToo, le « backlash » masculiniste continue. A Montréal, il y a 30 ans, un « masculiniste » assassinait 14 étudiantes de l’école polytechnique où il n’avait pas été accepté, au cri de « A bas les salopes de féministes ». Deux autres étudiantes se suicidaient peu après. La sociologue Marie-Soeurette Mathieu relate et analyse l’évènement dans la presse canadienne : il tue, persuadé que les femmes prennent la place des hommes, et leur volent des situations qui devraient revenir aux hommes. On a connu le même raisonnement, par exemple chez les syndicats du livre en France au XIXe siècle : à propos des femmes qui prenaient la place des hommes, selon eux . Mais c’était le XIXè siècle.
Féminicides individuels et féminicides de masse, s’ils ont toujours existé, témoignent aujourd’hui d’une « réaction » aux avancées des droits des femmes en Occident. Ces positions réactionnaires, mais aussi réactionnelles seraient elles le signe d’un enfermement de certains hommes dans leur terreur séculaire des femmes, dont il leur faudrait absolument se différencier ?
Il serait temps que la honte change de camp. En France, en 2023, il reste plus difficile d’être une femme qu’un homme. 93% de gens constatent des inégalités entre les femmes et les hommes (selon l’enquête du HCE 2023), une conscience collective se fait jour partout en France, dans les médias, la culture…
Pourtant le nombre de féminicides ne faiblit pas. Pire : les violences sexistes augmentent de façon inquiétante.
Edith Payeux 50-50 Magazine