Articles récents \ Chroniques Chronique Femmes du monde : INTERDIT AUX AFGHANES

Comme s’il ne suffisait pas que la population afghane vive à nouveau depuis plus de deux ans sous le joug des talibans, quatre séismes en dix jours sont venus au mois d’octobre grossir de 1500 mort·es et plus de 2000 blessé·es, les millions de victimes de la misère et de la faim d’un pays vivant probablement sa plus grave crise humanitaire.

Le plus meurtrier d’entre eux a eu lieu le 7 octobre. Il est passé sous les radars de l’actualité en raison de la guerre Hamas-Israël, mais suivi de huit fortes répliques il a fait des dégâts considérables, humains et matériels. Au moins six villages ont été entièrement réduits à néant et selon l’Organisation des nations unies (ONU) au moins 45 000 personnes au total ont été touchées.

Les villages se sont écroulés du fait des maisons construites en terre et rendues encore plus friables par la sécheresse qui sévit dans la région pour la quatrième année consécutive. Les victimes sont à 90% des femmes et des enfants, qui restent à l’intérieur des maisons, l’espace extérieur étant celui des hommes.

Habitué aux secousses sismiques, l’Afghanistan est un territoire montagneux et essentiellement rural d’Asie centrale. L’Indu Koush, chaîne de très hautes montagnes, traverse en son centre, comme “une épine dorsale”, cette terre aride aux paysages somptueux. Elle rend difficile la circulation d’un bout à l’autre du pays et se trouve à proximité des plaques tectoniques indienne et eurasienne qui ne cessent de bouger et s’entrechoquer. Mais il est rare que les tremblements de terre se produisent au Nord-Ouest du pays comme cela a été le cas cette fois-ci, prenant tout le monde de court.

A cela s’ajoute un climat continental avec des écarts de température pouvant aller jusqu’à trente degrés entre le jour et la nuit, des étés très chauds et des hivers glacials, ce qui représente une difficulté supplémentaire pour les Afghans et les Afghanes dont les deux tiers se trouvent dans le plus grand dénuement.

Alors, quand la récurrence des risques naturels se cumule avec des décennies de conflits, d’invasions en guerre civile, qui ont éreinté le peuple et l’économie d’un pays déjà sous perfusion d’une aide internationale indispensable à la moitié de la population ; quand le sous-sol de ce pays regorge d’or, pétrole, cuivre, pierres précieuses et autres richesses, tandis que 90% de la population frôlent la pauvreté et l’insuffisance alimentaire ; quand une théocratie dictatoriale et brutale succède à un régime où la corruption a gangréné toutes les strates du pouvoir… Alors, il n’est pas facile de vivre là.

Enclavé, sans accès à la mer, l’Afghanistan est un carrefour, bordé à l’Est et au Sud par le Pakistan et à l’Ouest par l’Iran, deux frères ennemis qui, comme la Russie et les Etats-Unis en leur temps, surveillent jalousement ce pays, théâtre d’enjeux géopolitiques et géostratégiques complexes, et terre d’asile de mouvements djihadistes et terroristes : Taliban, Al Qaida et Etat islamique (EI). Si ces organisations ont en commun une interprétation stricte de la charia (loi islamique) et une position résolument anti-occidentale, elles sont profondément divisées entre elles sur les ambitions et la conduite du djihad-même (guerre sainte).

Pour complexifier encore les choses, côté pile de la médaille, des cultures helléniques, bouddhistes et arabes se sont mélangées en Afghanistan au travers des siècles et la route de la soie chinoise le traversait, favorisant les échanges culturels. Côté face, ce fut aussi la route des invasions.

Pour rappeler brièvement l’histoire contemporaine récente, en 1979 les troupes soviétiques envahissent le pays, pour s’en retirer en 1989. En 1996, les talibans s’emparent une première fois de Kaboul avec les conséquences qu’on sait sur les conditions de vie des femmes et des filles notamment.

En 2001, après les attentats du 11 septembre perpétrés par Al Qaïda sur leur territoire, les Etats-Unis d’Amériques lancent une offensive en Afghanistan pour y débusquer Ben Laden, qui a lancé cette organisation terroriste avec le soutien des talibans. Ces derniers seront vaincus en décembre 2001, mais la traque de Ben Laden durera dix ans avant sa mort en 2011.

Dix ans plus tard, en février 2020, les Etats-Unis et les talibans, lesquels n’ont jamais cessé de combattre le gouvernement afghan et les forces de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) en gagnant progressivement du terrain, signent un accord de paix et le retrait des forces internationales d’Afghanistan. Le 15 août 2021, les talibans reprennent Kaboul, servi sur un plateau par les Etats-Unis après 20 ans de présence. Le président Joe Biden dira le 16 août 2021, comme on présente un mot d’excuses : « Nous avons dépensé plus de 1000 milliards de dollars et équipé plus de 300 000 militaires afghans ». De fait, le président afghan, Ashraf Ghani, fuit le pays dès le mois d’août avec la chute du gouvernement, laissant les nouveaux maîtres de Kaboul s’emparer de l’arsenal militaire de pointe laissé par l’armée américaine dans son départ précipité. C’est cette image qu’on retiendra des talibans et leurs sbires paradant alors dans les rues de la capitale au volant de véhicules de guerre et bardés d’armes pétaradantes sous leurs barbes hirsutes et leurs vociférations.

Les talibans et les Afghanes

Dès leur installation, les talibans ont non seulement imposé une interprétation ultra rigoriste de la charia restreignant les droits et libertés de tout un peuple mais ils ont surtout rayé, méthodiquement, les Afghanes de l’espace public faisant de l’Afghanistan le pays le plus répressif au monde à l’encontre des femmes, au mépris du droit international.

En quelques mois, ils ont émis plus de… soixante-dix décrets portant interdictions et obligations faites aux femmes et aux filles.

Elles ont ainsi progressivement vu leurs droits fondamentaux tomber un après l’autre. Elles ont été totalement exclues du système juridique, qui a non seulement été démantelé mais n’est plus indépendant du pouvoir en place. Il n’y a plus de femmes parlementaires, plus de femmes juges, les journalistes audiovisuelles ont disparu des écrans et les défenseuses des droits sont harcelées, menacées, emprisonnées, voire pire.

Aujourd’hui, les Afghanes sont peu à peu “effacées” de leur propre pays. Interdites d’éducation et de travail, elles sont sommées d’être invisibles. De disparaître au propre comme au figuré. De l’obligation de porter la burqa (voile intégral recouvrant le corps tout entier et cachant les yeux avec un grillage) à l’interdiction de travailler dans les services publics. A l’interdiction de l’école pour les filles au-delà de 12 ans. A l’obligation d’être accompagnées d’un tuteur masculin de la famille (mahram) pour voyager. Obligation de séparation des femmes dans les lieux de travail. Puis à l’université. Puis l’interdiction d’aller dans des parcs, souvent les seuls lieux de promenade possible avec leurs enfants. Ensuite, l’interdiction de travailler dans une part de secteur privé, étendue aux salons de coiffure et de soins de beauté. Interdiction de sports, y compris dans les équipes olympiques. Interdiction de bains publics, quand on sait qu’à part pour les familles aisées citadines, il n’y a pas d’eau courante dans les habitations. Interdiction d’aller à l’’université. Interdiction de travailler dans les ONG humanitaires. De sorte que, là encore, les femmes étant interdites de travailler, elles ne peuvent plus non plus demander d’aide alimentaire, n’ont quasiment plus accès aux soins, puisqu’elles ne peuvent pas communiquer avec des hommes, les seuls pouvant désormais travailler y compris dans ces secteurs. La liste n’est malheureusement pas exhaustive. De plus, pour toutes ces femmes ne pouvant plus subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, au point, parfois, de devoir vendre une de leurs enfants, il leur est, aussi, interdit de mendier.

A l’heure où nous publions, 13,8 millions de femmes et de filles ont besoin d’une aide humanitaire urgente. Or, la plus grande part de l’aide internationale est suspendue en réponse aux agissements des autorités de facto.

Pour compléter ce tableau cauchemardesque, le Pakistan voisin vient d’annoncer qu’il va expulser en ce mois de novembre 1,7 millions de réfugié·es afghan·es en situation irrégulière, en dépit des risques liés au régime taliban. Ce rapatriement forcé, contraire au droit international, va affecter en premier lieu les plus vulnérables, et là encore les femmes et les enfants qui ajouteront leur détresse à la détresse des Afghanes. Les Afghanes ne sont pas officiellement condamnées à mourir, mais elles sont interdites de vivre.

Alors, quand la communauté internationale dénoncera-t-elle ce déni systématique des droits des Afghanes comme un crime contre l’humanité ?

Quand les Etats, qui en ont les moyens comme la France, se feront-ils un honneur d’accueillir sans condition toute Afghane qui leur demandera l’asile ?

Jocelyne Adriant Mebtoul 50-50 Magazine

 

 

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