Articles récents \ France \ Santé Gaële Le Noane : « En 2017, il y a eu des préconisations pour retirer les pesticides et les hydrocarbures des tampons et serviettes hygiéniques, mais à ce jour rien n’a été fait »

Gaële Le Noane, est une drôle de dame. Orthophoniste en cancérologie et neurologie, elle lâche son métier pour monter sa société, Marguerite & Cie, qui propose, gratuitement, des distributeurs pour serviettes et tampons hygiéniques dans les collectivités et les entreprises. Pourquoi un tel revirement professionnel ? En 2018, cette entrepreneuse militante s’est tout simplement intéressée aux composants des protections périodiques et y a trouvé des éléments nocifs pour le corps des femmes comme du glyphosate qui sert principalement à détruire les mauvaises herbes. Du lindane et du quintozène, deux autres pesticides interdits en Europe depuis plus de 20 ans, sont aussi présents ainsi que la dioxine ou du chlore. Certes tout ceci en petite quantité et inoffensif d’après la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. (DGCCRF), sauf qu’à ce jour, aucune étude n’a été réalisée sur le rôle de ces composants chimiques et pétrochimiques, connus pour le développement de cancers et de perturbateurs endocriniens, sur la matrice des femmes.

En France la commercialisation des protections intimes n’est toujours pas considérée comme un dispositif médical contrairement à d’autres pays. Encore de nos jours, la législation du papier régit les composantes des tampons et des serviettes hygiéniques, une aberration lorsque l’on sait que 15 millions de femmes ont leurs règles en France… un marché très lucratif qui rapporte plus de 30 milliards d’euros par an dans le monde aux lobbies du papier, de la pétrochimie et des pesticides. On comprend mieux les freins des gouvernements successifs, depuis plus de 40 ans, à encadrer leur fabrication dans une société patriarcale qui accorde peu d’importance aux femmes.

Gaële Le Noane a décidé de se battre pour que cette législation, qui va à l’encontre de la santé de la moitié de la population, change. Elle combat également la précarité menstruelle pour que les tampons et serviettes soient gratuites dans les restaurants, les établissements scolaires, lieux culturels, etc.  au même titre que du papier toilette. Pour rappel : on ne choisit ni le lieu ni le jour de l’arrivée des règles et il est anormal qu’en France, une femme doive choisir entre se nourrir et acheter des protections périodiques.

Chez Marguerite & Cie,  on emploie une trentaine de personnes en situation de handicap et exporte les protections (9 Millions en 2022) dans 7 pays. Depuis 2019, la Start up a multiplié son chiffre d’affaires par 30, passant de 90.000 euros à 2,6 millions d’euros en 2022. Ses 5500 distributeurs sont désormais présents dans plus de 1500 collectivités et 250 entreprises ou grands groupes en France mais aussi en Europe. La région de Bretagne et le ministère de l’Education nationale financent les distributeurs mais cela reste insuffisant pour faire face à la demande exponentielle liée à cette prise de conscience sociétale.

Y-a-t-il eu une avancée en termes de législation sur l’obligation de retirer des composants nocifs des protections périodiques depuis 2017 ?

Absolument pas ! Rien n’a avancé et c’est révoltant ! En 2017 il y a eu des préconisations pour retirer les pesticides et les hydrocarbures des tampons et serviettes hygiéniques mais les fabricants n’ont rien fait. L’an dernier, nous avons travaillé avec plusieurs associations dont Règles élémentaires, la Fondation des Femmes, Georgette Sand et le gouvernement avec Olivier Véran, pour faire avancer cette législation avec un projet de loi qui nous a été envoyé début 2023 où il était indiqué que les fabricants auraient l’obligation de détailler tous les composants. Ce projet de loi devait rentrer en vigueur le 1er juillet 2023 mais fin mai, nous avons reçu un courrier indiquant un changement dans le contenu à savoir que la note d’informations listant tous les produits se trouvera à l’intérieur de la boite et non écrit dessus, obligeant ainsi la consommatrice à acheter un paquet de tampons ou de serviettes hygiéniques. Ceci est inadmissible et la France est hors la loi, car nous considérons que les protections périodiques sont un produit de grande consommation et qu’il y a une obligation légale à informer les consommatrices. Elle fait le jeu des lobbies au détriment de la santé des femmes.

Pourquoi n’y a-t-il pas une interdiction purement et simplement de ces pesticides et hydrocarbures dans les protections intimes ? 

Les gynécologues ont constaté une augmentation des pathologies vaginales avec des irritations mais aucune corrélation n’a été faite entre l’utilisation de tampons et serviettes hygiéniques et des cancers par exemple.  Et comme les expert·es estiment que les pourcentages utilisés sont négligeables, leur interdiction n’est pas appliquée. Sauf que l’on sait parfaitement que pour les perturbateurs endocriniens, c’est l’accumulation de ces composants sur la durée qui va déclencher des soucis de santé. Ces cocktails de perturbateurs sont présents dans notre mode de vie, donc inutile d’en rajouter dans des produits d’hygiène. 

Comment sont accueillis vos distributeurs ? Y-a-t-il une résistance de la part des entreprises privées et des collectivités ?

Nous n’avons pas eu de résistance particulière bien au contraire ! Marguerite & Cie fournit le distributeur gratuitement et les entreprises et collectives achètent les recharges qui restent modiques : un tampon biodégradable coûte 17 centimes, et une serviette, 25 centimes. Nous recevons beaucoup de demandes d’installation de distributeurs.

Parlez-nous de votre médaille d’argent au concours Lépine ?

Nous sommes très fier·es d’avoir gagné cette médaille pour ce brevet et son système de recharge. Cette distinction nous donne de la visibilité et nous sommes ravi.es de constater que les mentalités changent.

Est-ce que la précarité menstruelle a reculé ? 

Hélas non… En 2021, 1,7 million de femmes en France étaient touchées par la précarité menstruelle. Elles sont à 4 millions en 2023. Comme le sujet est plus abordable, les femmes en parlent plus facilement. Avec l’inflation et la différence salariale entre les hommes et les femmes, celles-ci sont doublement touchées. Ces produits ont plus augmenté que le shampoing ou le savon et cela est honteux !

Pensez-vous que la France s’alignera sur l’Ecosse un jour ?

J’aimerais bien ! Depuis 2016, la TVA est passée de 20% à 5.5% sur les protections périodiques. En Ecosse, tous les lieux publics sont dans l’obligation d’avoir une mise à disposition gratuite des produits menstruels. J’avais interpellé l’ancienne ministre de l’Égalité Isabelle Rome sur la chaîne parlementaire. La ministre avait annoncé une mesure à partir de 2024 mentionnant que pour les jeunes femmes de moins de 25 ans, les coupes et les culottes menstruelles seraient remboursées par la sécurité sociale si elles étaient achetées en pharmacie et réutilisables. Mais cela reste insuffisant !

Comment expliquez-vous que perdure le tabou des règles ? Y-a-t-il suffisamment d’éducation auprès des jeunes et des moins jeunes ? Les règles sont pourtant aussi une affaire d’hommes.

Ce sont les religions monothéistes qui ont développé le tabou des règles avec l’idée de la femme impure et sale. Avant, les règles étaient considérées comme un symbole de fertilité et de puissance. Nous sommes encore élevé.es dans une culture patriarcale sans que beaucoup de femmes et d’hommes en prennent réellement conscience. Nous sensibilisons les établissements scolaires et les entreprises au tabou des règles et à la précarité menstruelle sous forme de dialogues et de questions / réponses. Il ne s’agit pas de déposer juste notre distributeur, il faut conscientiser le et la citoyen·ne.

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

Photo de Une : ©Simon Cohen

Gaële Le Noane est au centre de la photo

 

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