Articles récents \ France \ Société Au Paléolithique, il y avait une division du travail mais il est impossible de savoir si cette division était sexuée ou pas

Patricia Valensi, docteure en préhistoire, paléontologue, spécialiste des grands mammifères et chercheuse associée au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris et Bertrand Roussel, docteur en préhistoire et directeur des musées d’Archéologie de Nice, sont tous deux spécialistes du Paléolithique et nous livrent une autre vision du mode de vie des femmes et des hommes.

Quelle est la représentation de la femme préhistorique de nos jours dans l’imaginaire populaire ?

Patricia Valensi : Elle est toujours autant caricaturale… la femme est souvent imaginée tirée par les cheveux, passive ou installée dans une grotte avec en arrière-plan, des enfants. Quant à l’homme préhistorique, il est représenté avec un gourdin, bestial et habillé d’une peau de bête.

Connait-on le rôle des hommes et des femmes au Paléolithique ?

Patricia Valensi : Au Paléolithique, les humains étaient des chasseurs-cueilleurs. Chez les Néandertaliens et les Sapiens, il y avait une répartition des tâches au sein de l’habitat avec diverses activités comme tailler le silex, entretenir le feu, ramasser du bois, effectuer la cueillette, tanner les peaux, chasser… Comme il existait une multitude d’activités, il y avait forcément une division du travail au sein du groupe, mais il est impossible de savoir si cette division était sexuée ou pas.

Bertrand Roussel : La répartition sexuée ressemblait peut-être aux peuples indigènes existant encore de nos jours dans certaines parties du globe. Les activités masculines sont plutôt brutales, rapides et sur des matériaux durs tandis que les féminines sont plutôt dans la durée, avec des gestes plus doux et sur des matériaux tendres. Si on se calque sur la répartition des tâches de ces tribus actuelles, tailler la pierre aurait été davantage une affaire d’homme et faire de la vannerie ou polir, un travail effectué par les femmes. Néanmoins, chez les Evenks en Sibérie, les femmes taillaient le silex. En fait, il ne faut pas généraliser. Il existait une variabilité selon les groupements des individus et dans le temps. Au Gravettien (-25.000 ans), l’apprentissage de la taille du silex se transmettait et nos ancêtres travaillaient rapidement la pierre. Les femmes étaient plus robustes qu’aujourd’hui, donc il est certainement possible qu’elles taillaient la pierre.

Est-il difficile de différencier les ossements d’un homme de ceux d’une femme ?

Bertrand Roussel : La difficulté de cette période est que les fossiles humains retrouvés tiennent dans une pièce. Les paléontologues, il y a encore une 50taine d’années, interprétaient les restes humains à côté d’une pointe de flèche comme appartenant à un homme, et quand c’était une parure ou une poterie, à une femme. Nous avons donc des biais de statistiques et des biais d’interprétation. Au Néolithique, on a retrouvé davantage de restes humains enterrés et il a été plus facile de déterminer s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme grâce à la courbure du bassin principalement.

Patricia Valensi : L’homme de Menton, découvert en 1872 dans une des grottes de Grimaldi à Vintimille, est devenu la dame du Cavillon. Son squelette, daté de 25 000 ans, indique une femme sapiens âgée de 35 ans qui mesurait 1m72. Parmi les objets funéraires, deux grandes lames de silex d’origine lointaine avaient été déposées derrière sa tête. Son crâne était orné de plus de 300 coquillages et de dents de cerf, le tout recouvert d’ocre rouge, signe d’un statut particulier. Le dimorphisme sexuel qui est un phénomène biologique mais aussi culturel est marqué par le mode de vie et les activités. A cette époque, les femmes étaient très robustes et presque aussi grandes que les hommes

Les femmes avaient-elles beaucoup d’enfants ?

Patricia Valensi : Elles avaient quatre  ou cinq enfants et l’allaitement durait longtemps. L’espérance de vie chez les sapiens du Paléolithique était d’environ 35 ans. Dans ces sociétés préhistoriques à faible démographie, chaque naissance était importante. L’éducation, l’apprentissage devaient se faire par plusieurs membres du groupe et le rôle des grands-mères étaient surement important. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs sont codifiées et chaque individu tient une place précise au sein du groupe et sait ce qu’il a à faire.

Bertrand Roussel : Les populations européennes détiennent des gènes du Neandertal. Et les asiatiques possèdent des gênes néandertaliens mais aussi d’une autre espèce fossile, les dénisoviens. Le Sapiens sort d’Afrique il y a plus de 80.000 ans et a conquis l’Europe où le Néandertalien était déjà installé. En réalité, on a noté plusieurs sorties de Sapiens avec des brassages. On a pu suivre leurs migrations grâce aux rhésus et à leur mode de vie. C’est ce qu’on appelle l’effet fondateur.

Beaucoup de « Vénus » ont été sculptées. Quelles sont les hypothèses sur leur symbolique et leur usage ?

Bertrand Roussel : On a retrouvé de Vénus datant du Gravettien depuis le Portugal jusqu’en Russie en os, en argile, en pierre ou en ivoire de mammouth. Elles ont une silhouette homogène avec des formes généreuses, des parties intimes exagérées et sans véritablement de tête ni de membres. On n’a pas retracé de Vénus en Asie ou en Afrique mais peut-être étaient-elles fabriquées en terre ou en bois, et qu’elles ont disparu. On a retrouvé beaucoup plus de sexes de femme dessinés que des phallus. Il y a extrêmement peu de représentations d’accouplement. On ne sait pas quand les humains préhistoriques se sont rendu compte du lien entre l’accouplement et la naissance.

Patricia Valensi : Ces petites statuettes ont été retrouvées par les archéologues, dans des campements d’habitat. Elles faisaient partie du quotidien et n’ont pas été dénichées dans des grottes ornées ou dans des sépultures. Certaines devaient être portées comme une amulette ou un pendentif car elles possédaient une perforation ou un anneau de suspension. On a souvent imaginé que ces vénus étaient des objets de culte associés à une déesse mère et qu’elles étaient sculptées par des hommes, Mais si ces statuettes représentaient la fécondité, l’accouchement ou une femme enceinte, alors ces vénus sont une affaire de femmes.

Existait-il des matriarcats au Paléolithique ?

Patricia Valensi : Les données archéologiques ne permettent pas d’y répondre. Mais, il devait exister quelques sociétés matrilinéaires et beaucoup de patrilinéaires. En effet, grâce à l’étude de l’ADN, on a découvert dans certains gisements néandertaliens ou sapiens, que des femmes ont quitté leur groupe familial pour rejoindre d’autres clans et éviter ainsi la consanguinité et favorisé la diversité génétique. On ignore si les femmes circulaient de façon consentante ou pas. Mais en tout cas, grâce aux sépultures, on sait que certaines femmes avaient des statuts particuliers.

A quoi servaient les grottes ornées ?

Bertrand Roussel : Les cavernes avaient certainement un lien avec la transcendance. On ne sait pas si elles servaient de lieux de culte mais les humains dépensaient beaucoup d’énergie à s’y rendre dans l’obscurité et à décorer les parois parfois situées loin des entrées. On sait qu’ils n’y vivaient pas et on pense qu’il s’agissait peut-être de lieux pour des rites de passage comme quitter l’adolescence pour entrer dans le monde des adultes ou après avoir réalisé une action.

Patricia Valensi : On voit toujours dans les manuels scolaires un homme en train de graver ou de peindre alors qu’on ne sait strictement pas s’il n’y avait que les hommes qui peignaient. Les femmes participaient activement au même titre que les hommes. On a analysé les traces de pas à l’intérieur des grottes, et il y avait aussi bien des pieds de femme que d’homme. De même, des peintures de mains ont été rapportées à des femmes. Certains signes sont récurrents dans toutes les grottes ornées d’Europe, d’Asie ou d’Amérique et on ne connait pas leur signification. Ça serait comme une sorte d’écriture primaire. On a également remarqué une très belle sonorité dans certaines salles richement décorées. Peut-être qu’ils et elles chantaient accompagné.es de de sifflets, de flûtes en os d’oiseaux qui existaient déjà à cette époque. Il y a des traces de coups sur des stalactites qui devaient émettre des sons mélodieux et résonnaient dans ces cavernes. Les humains du Paléolithique n’ont pas livré tous leurs mystères mais, il est certain que les femmes ont joué un rôle actif.

Propos recueillies par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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