Articles récents \ Chroniques CHRONIQUE L’AIRE DU PSY : «Mort le soleil» de Gwendoline Soublin. Avignon Off

Il apparaît seul en scène dans un espace que l’éclairage des néons rend chirurgical. Une sorte de salle d’autopsie, avec une chaise rivée au sol. Peu à peu, l’enfermement carcéral va se préciser. Perpétuité incompressible. Trente ans. La parole qui se déplie relève de l’insoutenable. Une telle haine des femmes, de son père, de sa mère nous glace d’effroi, nous pétrifie. Comment écouter cet homme sans devenir son complice simplement parce qu’on est spectateur ? Suis-je pris en otage d’un discours auquel je ne saurais adhérer ?

Le propos de Gwendoline Soublin nous conduit dans la tête d’un jeune homme presque majeur, qui a commis l’irréparable. Nous allons revisiter les circonstances de son passage à l’acte et l’impact de ses années d’emprisonnement. Qu’est-ce qui a contraint un adolescent à n’avoir d’autre issue que de tuer ? Quel accès éventuel à une culpabilité son incarcération produira-t-elle ? Comment l’identification à la victime ou aux victimes peut-elle à ce point faire défaut lors du procès ?

L’adolescence est une période d’extrême vulnérabilité psychique. Mon corps se transforme, le pulsionnel devient une source centrale dans mon rapport au monde. Comment suis-je perçu et accueilli par les autres ? Comment suis-je tenu à l’écart, voire rejeté par mes pairs ? Point d’écriture inclusive ici, puisque c’est le devenir homme d’un garçon, qui est en cause. Pas de symétrie envisageable au féminin. Nous explorons ce qui se passe dans la tête d’un fils, qui bascule dans un féminicide de masse sur fond de parricide. Comment a-t-il été contraint à l’inéluctable ?

C’est à dessein que j’emploie ce qualificatif (contraint) pour le moins dérangeant, qui se situe aux antipodes du discours répressif actuel. Celui-ci se gausse d’une augmentation des places de prison prêtant à l’emprisonnement un caractère dissuasif et à la sévérité pénale une diminution des actes criminels. Foutaise ! Dans un article ancien que j’ai toujours trouvé intriguant, Freud parlait des «criminels par sentiment de culpabilité». Il laissait entendre qu’un crime réel pourrait épargner ou délivrer d’une culpabilité inconsciente : faute de pensée, viendrait l’acte.

Mort le soleil, c’est l’histoire d’un jeune homme ordinaire, qui vit avec son père aimant après le départ de la mère. Le père ne se remet pas de la séparation, il noie son chagrin en écoutant Nicoletta. Pater Noster est devenu aux yeux de son fils un homme inoffensif, un «bande mou». Sa mère, un peu à la manière du tableau de Gustave Courbet, L’origine du monde, est désignée comme «la Femelle». Le couple parental ne revêt plus aucune consistance dans le regard du fils. Il n’inspire ni respect, ni autorité. Et comme dans un emboîtement diabolique, l’adolescent n’éprouve que mésestime et haine de soi. Son rapport au monde est empêché. Le jeune homme ne s’aime, ni n’est apprécié des autres. Il se branle en continu sur fond de pornographie dégradante.

Au gré des tentatives (pathétiques) du père pour s’en sortir, après les séductions avortées, au décours du stage de séduction avec Stéphane Désir, survient la rencontre de Bertrand, parasite masculiniste prêchant la haine des femmes. Cette rencontre s’engage sur un «Alors mon grand» –formule infantilisante qui réduit l’homme à n’être qu’un garçonnet. A l’issue d’une cuite à la bière, Philippe (le père désespéré, abandonné, largué par sa femme) et Bertrand sont désormais Frater. Fraternité bien particulière, qui relève plus de l’omerta – cette loi du silence apparentée à du courage, alors qu’elle ne vise qu’à protéger les auteurs de crimes – que du fraternel bienveillant : ensemble contre, plutôt que solidaires, respectueux et tolérants.

Bertrand ne travaille pas, il vient s’installer au domicile du père. Nous allons assister aux ravages que produit une mauvaise rencontre. La détresse adolescente du fils va trouver un point d’appui dans les discours de prestance dudit Bertrand. L’affaiblissement paternel est compensé par un homme, un vrai, imaginairement puissant. Haine et mépris des femmes, initiation à l’usage des armes, vision d’un monde binaire dans lequel l’homme devrait être un mâle dominant et les femmes réduites à n’être que des trous. L’aboutissement ultime de cette logique conduit à cette préconisation par Bertrand : «JE NE ME LAISSERAI PAS SOUMETTRE, PLUTÔT ENCULER QUE DE L’ÊTRE»

Dans le désarroi, la haine apparait toujours comme une solution possible surtout si elle est portée par un orateur convaincant. C’est le cas de ce Bertrand, qui transforme la vision de la réalité en affirmant des valeurs de courage, de virilité, de domination, qui font illusion sur les plus démunis. Parfois ces notions se réclament d’un caractère ancestral, comme si l’histoire ancienne plaidait en faveur de la domination des femmes et invalidait le discours féministe. Là où d’autres désignent l’étranger comme le mal absolu, pour les masculinistes ce sont les femmes qui se voient réduites à ne constituer qu’«un risque de monopole des glandes mammaires».

Au cours de sa longue peine, le détenu découvrira les mots – mots inconnus, qu’il collectera. Puis viendra la lecture, qu’il avait désertée après l’installation de Bertrand chez eux et enfin l’écriture, qui donnera ce poèmologue, que nous déclame Guillaume Cantillon, comédien et metteur en scène. On ne sort pas indemne de cette pièce. A tous les va-t-en-guerre qui prônent la répression pour ceux qu’ils désignent comme «parents irresponsables et sauvageons tout-puissants», Gwendoline Soublin oppose la culture comme hypothèse salutaire. La culture, c’est l’accueil, l’hospitalité originelle selon la jolie formulation d’Anne Dufourmantelle  . La haine, le rejet, l’exclusion ne produisent que destructivité. D’aucuns par le passé avaient inventé La Solution finale, il n’y a de solutions qu’au pluriel et celles-ci consistent en élaborations de questions singulières intégratives. Le leurre de l’exclusion n’est qu’un mirage discursif. Mort le soleil nous démontre avec brio combien l’addition est coûteuse et jamais rentable.

Daniel Charlemaine 50-50 magazine

Tous les jours à 18h50 jusqu’au 25 juillet (relâche les mercredis). Théâtre Transversal, 10 rue d’Amphoux, 84000, Avignon.

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