Brèves Violences à l’encontre des femmes : une directive européenne bien en deçà des enjeux. L’UE peut et doit mieux faire !
Le 28 juin dernier, le Parlement européen (PE) a arrêté sa position sur le projet de Directive 2022/06 sur la lutte contre les violences à l’encontre des femmes et la violence domestique. Un texte aux avancées notoires (bien qu’imparfait) qui risque le coup de rabot du Conseil lors de négociations qui démarreront le 13 juillet. Les associations en appellent au Garde des Sceaux, qui porte la voix de la France au sein du Conseil, pour que cette directive aboutisse dans une version véritablement progressiste, vecteur de réelles améliorations pour les femmes de France et d’Europe. Les associations françaises de lutte contre les violences faites aux femmes ont de nombreuses raisons de se réjouir des améliorations apportées par les eurodéputé.e.s à la version initialement proposée par la Commission européenne en mars 2022. Elles regrettent toutefois vivement que certaines dispositions manquent encore à l’appel et alertent sur les menaces que cette version parlementaire, bien qu’en demi-teinte, puisse encore subir du fait de la position restrictive du Conseil. Des négociations vont très prochainement avoir lieu entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil : les associations françaises en appellent à la responsabilité des gouvernements.
Des avancées gagnées pas à pas auprès du Parlement
Depuis des mois, les associations françaises de défense des droits des femmes se sont réunies pour porter des recommandations communes auprès des autorités européennes. Elles ont ainsi obtenu que le volet répressif soit significativement renforcé avec une prise en compte de nombreuses infractions (viol, y compris des mineur.e.s, agressions sexuelles, harcèlement au travail, stérilisation forcée, mariage forcé) et un élargissement des circonstances aggravantes (y compris dans le cadre conjugal, pour les personnes exposées à des risques accrus de violences ou cumulant des facteurs de discrimination ou de vulnérabilité).
Elles ont aussi permis que le volet préventif du texte, initialement réduit à la portion congrue, soit substantiellement enrichi bien que toujours insuffisant : sensibilisation de la population générale, mais aussi éducation auprès des plus jeunes, avec une prise en compte du continuum des violences et de la nécessité de déconstruire les stéréotypes, avec un renforcement de la formation de l’ensemble des actrices et acteurs en contact avec des femmes victimes… Elles ont également gagné que les Etats s’engagent à mettre des moyens matériels et humains à la hauteur de ces objectifs et que la société civile soit étroitement associée à l’évaluation et au suivi des politiques publiques.
La prostitution et le sort des enfants passés à la trappe Néanmoins, ces avancées parlementaires ne doivent pas passer sous silence quelques graves carences. Sans prétendre procéder à un inventaire exhaustif des faiblesses du texte, les associations pointent deux principaux écueils. D’abord, après maintes tergiversations, les eurodéputé.e.s ont renoncé à faire entrer la prostitution dans le périmètre de ce texte niant la violence que cela constitue individuellement et collectivement et compromettant les législations abolitionnistes en vigueur dans plusieurs Etats membres. Ensuite, le Parlement a fait bien peu de cas des enfants. Certes, ils sont reconnus comme covictimes des violences domestiques, mais le PE n’a même pas amorcé une quelconque remise en cause de l’exercice de l’autorité parentale du parent auteur de violences. Dans cette même logique, les droits de visite et de garde du parent auteur de violences sont préservés, prévalant ainsi sur la santé et l’intérêt supérieur de l’enfant, et sur la sécurité de la mère et des enfants.
Les positions régressives du Conseil : le viol purement et simplement écarté
En parallèle des travaux du PE, les Ministres de la Justice des Etats membres se sont accordés, au niveau du Conseil de l’Union européenne, sur une autre version du texte de la Directive. Et force est de constater que la position des gouvernements opère de nombreux reculs. Le plus choquant est sans aucun doute le fait que les Etats renoncent à criminaliser le viol, y compris des mineur.e.s. Le motif affiché de défaut de base légale paraît bien léger face à l’ampleur de ce crime en Europe, au symbole qu’il représente et fait douter de la volonté réelle de l’UE et des Etats de lutter véritablement contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Et s’il était besoin d’enfoncer le clou, les Etats écartent également du périmètre de la directive les agressions et harcèlements sexuels. La suppression de l’article 5 sur le viol est le point d’orgue de la position rétrograde de certains Etats.
Et alors que des pays comme la Grèce, le Luxembourg, l’Italie et la Belgique s’y sont opposés, la France a reculé et choisi le camp des Etats qui demandait la suppression de toute référence au viol dans la directive. Alors certes les Etats ont renforcé l’arsenal contre les cyberviolences, mais cela ne saurait suffire à ce que ce texte trouve son équilibre quand la répression et la prévention sont réduites à peau de chagrin et quand le caractère impératif des dispositions a été systématiquement raboté. D’autres points restent aussi en suspens dont le rôle central des services spécialisés pour les femmes et la coexistence d’un numéro européen avec les numéros existants porteurs des lignes d’écoute comme le 3919 en France.
Dans les prochains jours, et pendant plusieurs semaines, la Commission, initiatrice du texte, le Parlement européen et le Conseil se réuniront en trilogues pour négocier une version commune. Les associations de défense des droits de femmes en France appellent ces instances européennes et le Garde des Sceaux français à leur responsabilité : elles leur demandent instamment de revoir leur copie pour aboutir à un texte commun véritablement protecteur de toutes les femmes vivant en Europe.
Associations signataires : Amicale du Nid (AdN), Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV), Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), Femmes Solidaires, FNCIDFF, Fédération nationale GAMS, Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), Fondation des Femmes, La CLEF, OLF, Mouvement du Nid (MdN), Réseau européen des femmes migrantes, Réussir l’égalité Femmes Hommes.