Articles récents \ France \ Société Muriel Salmona : «Nous aimerions que les violences sexuelles faites aux enfants soient inscrites comme crime contre l’humanité dans le traité de Rome» 2/2
Muriel Salmona, psychiatre, psychothérapeute, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, membre de la Commission Enfance de l’UNICEF France, de la commission scientifique de la Chaire Internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles en situation de conflits dite chaire Mukwege, membre de la Commission indépendante inceste et violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), tire encore plus fort la sonnette d’alarme. Les violences intra-familiales et éducatives faites aux enfants et ados ne sont toujours pas suffisamment prises en compte par les pouvoirs publics en France. Un dossier juridique sera déposé au procureur de la Cour Pénale Internationale pour poursuivre les responsables de l’Etat français en ce qui concerne les violences sexuelles faites aux enfants pour ne pas avoir rempli leurs obligations internationales de prévenir ces violences, de protéger et prendre en charge les victimes et de poursuivre et condamner les agresseurs.
Nous avons édité une brochure qui a été diffusée gratuitement auprès des établissements scolaires et nous formons le corps enseignant ainsi que tous les spécialistes en contact avec les enfants, les professionnel·les de santé et de la protection de l’enfance. Nous avons remarqué que les professeur·es réalisent le plus de signalements, alors que les médecins sont en première ligne. Il y a une obligation de protection de leur part mais il n’y a pas une obligation de signalement. Il n’existe pas de secret médical lorsqu’il s’agit de protéger un enfant. Or, ils ne sont que 5% à faire des signalements. Nous nous battons pour que les médecins soient systématiquement formées sur les violences et leurs conséquences psychotraumatiques, pour qu’ils se responsabilisent davantage et arrêtent de fermer les yeux. Hélas, le conseil de l’ordre protège les agresseurs dans le sens où il n’y aucune obligation de signalement. On demande que les professionnel·les en contact avec les enfants et ce, dans n’importe quel cadre, soient formé·es.
Les enfants handicapées subissent 4 fois plus de violences et 6 fois plus en cas de handicap mental et neurodéveloppemental. Il est aisé de repérer les crises d’angoisse à répétition, les envies suicidaires, les dépressions, les mises en danger… La violence faite aux enfants est un problème de santé majeure. Ce n’est pas toujours facile de repérer quand un enfant est dissocié, il ne montre pas ses émotions, il semble être ailleurs. Souvent, il ne ressentira aucune douleur lorsqu’on le frappe car il y une anesthésie physique également. Ils sont souvent harcelés et ne réagissent pas. Il faut donc faire un repérage systématique et universel de tous les enfants en faisant un dépistage des violences et des traumas en posant des questions à l’enfant et à son entourage. Ces enfants doivent être protégé·es et soignées, avec des soins spécialisés elles/ils peuvent être récupéré·es au niveau de leurs troubles cognitifs par la famille, le corps enseignant et les médecins et guérir de leur traumatisme.
La France serait-elle toujours dans le déni ou bien est-ce une volonté de rester, délibérément, dans ce même paradigme que celui des violences faites aux enfants ?
J’ai écrit en 2017 puis en 2021 à Emmanuel Macron. Notre association, Mémoires traumatiques et victimologie, a également répondu au procureur de la cour pénale internationale pour la prise en compte des violences sexuelles faites aux enfants. Il existe de plus en plus de pédo-criminalité. Les enfants qui se retrouvent dans ces films en ligne, ne sont pas protégé·es. C’est souvent la famille qui les filme ou les personnes œuvrant dans le secteur de la petite enfance. La moyenne d’âge est de 3 ans, il y a même des bébés et des scènes de torture. La France est le troisième pays utilisateur de vidéos pédo-criminelles au monde (la F le deuxième pays en Europe et le quatrième pays au monde actuellement en nombre de sites et d’utilisateurs). En 2022, il existait 85 millions d’images pédo-criminelles sur le net et nous n’avons que 17 malheureuses personnes de la brigade spécialisée nationale pour aller chercher ces enfants et enquêter sur les agresseurs et les sociétés qui mettent en ligne ces films et images. Il existe d’autres enquêteurs sur toute la France mais ils restent très peu nombreux. On laisse faire en toute impunité. L’an dernier, c’était 85 millions d’images sur le marché des pédo-criminels. Les revenus économiques sont monstrueux et il y a une demande en forte croissance. Il y a de plus en plus d’agresseurs qui se branchent sur ces images car cela provoque une dépendance. On vit dans une dystopie. Il faut que cela s’arrête.
Nous aimerions que ces violences sexuelles soient inscrites comme crime contre l’humanité dans le traité de Rome. Le viol d’enfants dans le cas de guerre a été reconnu comme un crime contre l’humanité, donc pourquoi ne pas reconnaître les violences dans leur globalité. On appelle cela la justice transitionnelle. Je travaille avec Denis Mukwege pour une meilleure prise en compte et prise en charge de ces enfants dissocié·es et pour que leur parole et leurs traumas soient pris en compte afin que les symptômes psychotraumatiques soient reconnus comme preuves médico-légales.
Actuellement, par méconnaissance du psychotrauma c’est l’inverse qui se produit, les symptômes psychotraumatiques sont retournés contre les victimes et utilisés pour les décrédibiliser. Il faut agir avec des réformes efficaces. L’impunité de ces violences est quasi totale en France moins de 1% des viols d’enfants font l’objet de condamnation. Les enfants victimes ne sont pas repéré·es ni protégé·es et rares sont celles/ceux qui bénéficient de soins spécialisés Il y a de moins en moins de condamnations et de prises en charge. La France s’en moque, il manque des ressources et nos politicien·nes sont dans le déni de cette violence qui est un véritable danger de santé publique. Notons que l’OMS le considère depuis 2010 comme un problème de santé publique majeure. Personne ne peut avoir la garantie que nos enfants sont protégé·es. Les endroits de vie des enfants sont investis par des pédo-criminels qui recherchent constamment cette toute puissance comme une drogue. Télécharger des images pédo-criminelles est une violation des droits de l’enfant, ce sont des crimes et des délits aggravés. Quand je pense que des débats ont eu lieu récemment sur l’âge du consentement sexuel ! La loi française indiquait jusqu’en 2021 que toute personne est consentante, a priori, à un acte sexuel. L’enfant devait prouver la menace, la contrainte, la surprise ou la violence. Comment prouver cela pour un enfant de 10 ans ! Pénétrer une petite fille ou un petit garçon est une torture et non un acte sexuel. Nous nous battons pour l’imprescriptibilité des faits et pour que les peines ne soient pas aussi ridicules. Il faut que cela s’arrête ! Nos enfants ne doivent pas grandir dans ce monde qui doit être plus protecteur.
Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine
Muriel Salmona : Le livre noir des violences sexuelles préfacé par Denis Miukwege, Ed. Dunod 2022