Articles récents \ France \ Société Briser le tabou des menstruations face à la stigmatisation
Aux États-Unis, le républicain Ron DeSantis tente de faire interdire l’éducation sur les cycles menstruels, signe que les menstruations font toujours l’objet de tabous dans le monde. Cependant, au cours des dernières décennies, certaines avancées donnent de l’espoir dans la perception des menstruations. De plus en plus de voix se lèvent pour remettre en question les idées préconçues et promouvoir une vision plus réaliste des menstruations.
Selon le sondage de Plan International France, 55 % des jeunes femmes de 13 à 25 ans estiment que les règles sont un sujet tabou à l’école, un chiffre qui passe à 59 % au travail. En effet, les femmes ont longtemps été réduites à la honte, à l’embarras et à la culpabilité. Cette honte s’exacerbait avec la précarité menstruelle dont souffre aujourd’hui 1,7 millions de femmes en France. Cependant, grâce aux efforts soutenus des militantes féministes, des organismes de santé et de certains médias, le dialogue autour des menstruations commence à changer.
Les campagnes de sensibilisation éducative ont pour but de fournir des informations précises sur les menstruations, pour signaler les idées fausses et favoriser une compréhension positive de ce phénomène naturel. Par exemple, à Saint Malo, les filles et les garçons du collège Duguay-Trouin ont reçu un guide publié par le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine. Les règles, et si on en parlait ? est un véritable outil pédagogique visant à informer les filles, mais aussi les garçons sur le sujet des règles. L’objectif est de casser les préjugés autour des menstruations. « Les règles, ce n’est pas honteux, ce n’est pas sale », affirme-t-on dans l’ouvrage. C’est un véritable travail de fond pour permettre aux adolescent·es de mieux comprendre la question. Il est important d’empêcher l’immaturité des garçons avec les « oh, mais elle a ses règles ? » à chaque fois qu’une fille s’agace. Éviter de glousser à la moindre évocation des menstruations permettront de ne plus les stigmatiser. Il reste malgré tout beaucoup à faire pour atteindre cet objectif : à l’école avec l’investissement médiocre qui est mis dans l’éducation sexuelle, mais aussi à la maison. En effet, beaucoup d’adultes, beaucoup de parents ne sont pas à l’aise pour en parler. Le guide explique : « L’information reçue à la maison varie très fort d’une famille à l’autre. C’est là que l’école a un rôle à jouer pour venir compléter l’information donnée à la maison ».
Enjeu saisi par la politique
Le premier congé menstruel de l’histoire est né au Japon, en 1947. L’année suivante, c’est l’Indonésie qui l’adopte. En 2001, la Corée du Sud l’instaure, suivie par Taïwan en 2013. Mais ce n’est que le 16 février 2023 que les député·es espagnol·es vont voter définitivement une loi créant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses. Inédite en Europe, cette mesure, selon le gouvernement de gauche, doit briser le tabou : « C’est un jour historique pour les avancées féministes », a lancé sur Twitter la ministre de l’Égalité Irène Montero, membre de la formation de gauche radicale Podemos, alliée des socialistes au sein de l’exécutif.
En France, l’initiative des politiques est un peu plus timide. Stéphane Troussel, le président PS du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, lance une initiative d’un an sur le sujet : les agentes de la collectivité souffrant de règles douloureuses ou de toute autre maladie gynécologique pourront disposer d’un aménagement de leur poste de travail et de jours de congé. Cependant, et même si l’initiative est bonne, elle doit être généralisée, comme le commente le député écologiste Sébastien Peytavie auprès de l’AFP : « On ne doit pas en rester à des initiatives individuelles, il faut que ce dispositif puisse se généraliser pour toutes les femmes qui en ont besoin ».
En conséquence, une proposition de loi pour un congé menstruel de treize jours a été déposé le 26 mai par les député·es écologistes Sandrine Rousseau, Sébastien Peytavie et Marie-Charlotte Garin. Mais le principe même de ce congé dans les milieux féministes divisent. Alors que certain·es applaudissent une mesure permettant aux femmes souffrant de règles très douloureuses de souffler sans avoir à poser de congés, d’autres dénoncent une fausse bonne idée qui pourrait se retourner contre les femmes sur le marché de l’emploi. Ces opposant·es arguent du fait que les femmes souffrent déjà d’une discrimination à l’embauche à cause du « risque » d’une grossesse pour l’employeur/employeuse.
Si toutes les femmes n’ont pas d’enfant, la majorité des femmes ont en revanche leurs règles. Les chercheuses d’emploi pourraient alors être perçues comme des problèmes menstruels récurrents, de la puberté à la ménopause. De plus, l’association Osez le féminisme! craint que les efforts de recherche médicale sur les douleurs liées aux règles ne soient pas encouragés par la création d’un congé menstruel. « C’est à la société de mieux prendre en charge les femmes, investir dans la recherche pour faire cesser ces douleurs et pas juste dire aux femmes : Ok, ce n’est pas grave, vous pouvez être pliées en deux, mais restez chez vous. »
Enjeu de santé publique
Aujourd’hui, plus qu’un enjeu politique, les menstruations présentent un enjeu évident de santé publique. Cependant, des produits potentiellement toxiques ont aussi été trouvés dans des culottes menstruelles. Il existe néanmoins très peu d’études sur le sujet. Les femmes n’ont pas accès aux informations qui permettent de choisir ses protections. Ce constat suffit à lui seul à susciter l’indignation, et à exiger plus de transparence sur des produits que nous utilisons mensuellement.
Enfin, quand plus d’un quart des femmes confirment que les douleurs menstruelles les ont empêchées d’exercer une activité professionnelle ou scolaire au cours des douze derniers mois, et affirment avoir été privées de sport en raison de l’intensité de ces douleurs, il est important d’agir. Ces privations sont plus marquées chez les plus jeunes générations. Plus d’une femme âgée de 18 à 29 ans sur deux (53 %) déclare ne pas avoir pu pratiquer de sport en raison de ces douleurs menstruelles, et 49 % confient même ne pas avoir pu sortir avec leurs proches. Cette situation ne s’améliore pas lorsqu’elles entrent dans le monde professionnel. Aujourd’hui, on sait que souffrir pendant ses règles n’est pas normal. Ces douleurs ont été trop longtemps banalisées. Le congé menstruel reste une solution contestée, mais elle a le mérite d’exister.
Changer la représentation populaire des menstruations
On doit être nombreuses/nombreuses à avoir grandi avec, dans les publicités, un liquide bleu sur une serviette qu’on appelait « hygiénique ». Les femmes doivent se souvenir d’une honte, d’un problème qu’elle porte avec le sourire, car elles n’ont pas le choix. Une douleur avec laquelle on est obligé de s’habituer. Un autre aspect crucial de l’avancée de la perception des menstruations est la manière dont elles sont représentées dans les médias. Les termes péjoratifs et les euphémismes utilisés pour parler des menstruations contribuent à perpétuer les stigmates. Cependant, de plus en plus de mouvements féministes militent pour un langage inclusif et précis qui normalise les menstruations. La culotte menstruelle représente une décomplexion de plus en plus présente des règles.
Les menstruations sont de plus en plus représentées de manière positive et diversifiée dans les médias. Des publicités de produits menstruels mettent en scène des femmes actives et confiantes, remplaçant les anciens clichés de femmes cachant leurs règles avec gêne. Dans la continuité de la demande faite par les joueuses anglaises de ne plus porter des shorts de blancs pour éviter les fuites trop voyantes, Nike a développé une technologie baptisée Leak Protection : Period. Son but est d’en finir avec la crainte des fuites menstruelles. C’est donc en réponse et pour remédier aux préoccupations récentes des athlètes féminines, notamment des joueuses de football, concernant les règles que Nike vient de mettre au point cette nouvelle technologie.
En effet, longtemps ignorés, minimisés, voire passés sous silence, les effets du cycle menstruel se font ressentir chez un grand nombre de sportives de haut niveau. Pas seulement la peur des fuites, mais aussi des troubles de l’humeur et du sommeil, des maux de tête, des crampes et des douleurs dans le ventre, des bouffées de chaleur, des vomissements, des flux abondants, de la prise de poids… Autant de symptômes ou de répercussions qui sont susceptibles de gêner leur pratique. Et d’avoir des effets sur la performance et la récupération. Mais la représentation de ces sportives encouragées contribue à renforcer la confiance et l’estime de soi des femmes et l’éveil de la société concernant les menstruations.
Océane Koukodila 50-50 Magazine