Articles récents \ France \ Sport Catherine Louveau : « Nous demandons que l’apartheid sexuel soit inscrit dans la convention de l’ONU de 1973 au même titre que l’apartheid racial »
Sociologue du sport et militante engagée, Catherine Louveau est professeure émérite à l’Université de Paris Sud. Elle travaille sur les conditions et enjeux de l’accès des femmes aux pratiques sportives et sur la sexuation des pratiques sportives. Elle a publié de nombreux ouvrages dont Sports, école, société : la différence des sexes , Le test de féminité : genre, discrimination et violence symbolique et Qu’est-ce qu’une vraie femme pour le monde du sport ? A l’aube des JO de Paris 2024, Catherine Louveau nous alerte sur les « valeurs sportives » grignotées par un islam radical avec la caution du Comité International Olympique (CIO) n’appliquant pas l’article 50-2 de sa propre charte en ce qui concerne le principe de neutralité.
Comment est né ce concept d’apartheid sexuel ?
Aux JO de Barcelone en 1992, 35 délégations étaient exclusivement masculines et aux JO d’Atlanta de 1996, 26 pays ne présentaient toujours pas de sportives. En 1995, la Ligue du Droit International des Femmes (LDIF) a créé le « Comité Atlanta Plus » pour dénoncer cette situation et demandant au CIO que soient exclues des Jeux les délégations pratiquant « une ségrégation institutionnalisée des femmes ». C’est à ce moment que le concept d’apartheid sexuel a été utilisé puis repris actuellement par la LDIF dont Annie Sugier (1) est présidente et dont je fais partie. Cette notion fait écho à l’apartheid racial, système politique fondé sur la race et l’ethnie en Afrique du Sud de 1913 à 1991. En France, le mot ségrégation est utilisé pour mentionner une discrimination quand une population est traitée à part en raison de motifs tels la couleur de la peau ou le sexe. Or, il est mentionné dans la Charte Olympique que « la pratique du sport est un droit humain et que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Charte doit être assurée sans discrimination d’aucune sorte, notamment en raison du sexe ». C’est afin de se soumettre inconditionnellement à cet article liminaire que le CIO autorise la présence des sportives voilées, dérogeant du même coup à cet autre article de sa charte imposant la neutralité sur les terrains !
Comment expliquez-vous que les plus hautes instances sportives internationales soutiennent cet «apartheid sexuel ?
Dans les années 1990, des sportives sont apparues voilées sur les terrains et principalement lors des JO, alors que l’article 50.2 de la Charte olympique stipulait clairement que les jeux se devaient d’être neutres, apolitiques et les signes religieux exclus. Or, accepter le voile, c’est ne pas respecter la charte olympique. Nos instances politiques et sportives qui acceptent des sportives et entraineuses voilées sont pour le moins lâches, feignant d’ignorer que le voile n’est en rien culturel mais bien cultuel. Sous le couvert d’accepter des Saoudiennes, des Qataries ou Brunéiennes, on a laissé entrer, subrepticement, le religieux sur le terrain sportif. La LIDF fait campagne pour que les pays envoyant des femmes voilées ne participent pas aux épreuves sportives car ce symbole de séparation entre le masculin et le féminin est un instrument politique de l’islam dur. Cet outil de propagande interfère dans le sport. Est-ce normal que certaines sportives doivent être accompagnées par un tuteur ou ne puissent pas pratiquer toutes les disciplines souhaitées ? Comment est-ce possible que des entraîneures soient menacées de mort, que des athlètes qui courent en short et bras nus risquent d’être déchues de leur nationalité (ex : la médaillée d’or, la Tunisienne Habiba Ghribi), que la nageuse iranienne Elham Sadat Asghari ait été dépossédée de son record pour un vêtement considéré comme pas conforme à l’islam ? Certaines fédérations, comme celle du foot français (F.F.F.) appliquent la règle de l’interdiction du voile figurant dans leur règlement, par souci d’égalité entre les hommes et les femmes. Nous voulons que le CIO respecte sa propre charte.
Comment faire en sorte que ces principes de laïcité soient respectés ?
Au sein de la LDIF une grande campagne a été lancée avec d’autres associations en 2019 dans l’optique des JO de 2024. Nous demandons que l’apartheid sexuel soit inscrit dans la convention de l’ONU de 1973 au même titre que l’apartheid racial. Nous avons publié le 2 février dernier, une tribune soutenue entre autres par Shirin Ebadi (3), ancienne Prix Nobel de la paix. La LIDF a aussi envoyé un courrier à l’Assemblée nationale, au gouvernement d’Emmanuel Macron et en particulier à Isabelle Rome resté lettre morte. Nous avons aussi écrit à l’ONU. Notre tribune a été relayée par la politique iranienne, Maryam Namazie, porte-parole de « One Law for All » avec des juristes, des avocat.es, des activistes demandant dans une lettre ouverte à l’adresse des pays de la communauté internationale que l’apartheid sexuel tel que pratiqué en Iran et en Afghanistan soit criminalisé comme l’avait été l’apartheid racial. La France s’honorerait en présentant ce concept d’apartheid sexuel aux Nations Unies, mais encore faudrait-il que notre pays se positionne clairement par rapport à l’islam radical et au voile en particulier, et pas que dans le monde du sport.
Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine
1 Annie Sugier est une physicienne, experte en sécurité de l’énergie atomique dans le nucléaire, militante féministe universaliste et laïque qui a reçu le prix de la laïcité en 2022. Elle a créé, en 1983, aux côtés de Simone de Beauvoir, la Ligne internationale des droits des femmes (LDIF) dont elle est la présidente. Elle a monté également le comité Atlanta Plus pour dénoncer l’absence de représentantes de nombreux pays aux Jeux olympiques.
2 COLLECTIF PARIS 2024 composé de plus de 100 ONG et plus de 350 associations signataires de la lettre adressée au COJO Paris 2024 demandant le retour aux valeurs olympiques et l’exclusion des pays pratiquant l’apartheid sexuel.
3 Shirin Ebadi, Iranienne, ancienne avocate, juge et militante politique pour les droits humains. Elle a reçu le prix Nobel de la paix en 2003 pour ses actions en faveur de la démocratie en Iran, des droits des femmes et des enfants.
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