DOSSIERS \ La diplomatie à l’épreuve du féminisme Marie Fontanel : « La diplomatie féministe est un sport de combat »
Marie Fontanel, Ambassadrice, Représentante permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe, est également présidente du Comité des parties de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes, depuis février 2022 et jusqu’en janvier 2024. Elle revient sur l’importance de cette convention, unique en son genre pour la défense des droits des femmes au plan international, et explique ce qu’est la diplomatie féministe pour les autorités françaises et ses implications concrètes sur la vie des femmes en Europe et dans le monde.
Quel bilan tirez-vous à mi-parcours de la présidence française du Comité des Parties à la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes ?
J’ai été élue Présidente du Comité des Parties à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique le 1er février 2022 et réélue cette année pour un deuxième et dernier mandat jusqu’au 31 janvier 2024. C’est une grande responsabilité car il s’agit de l’instrument international juridiquement contraignant le plus abouti pour prévenir et lutter contre les violences à l’égard des femmes et les violences domestiques, protéger les victimes, poursuivre pénalement les auteurs et promouvoir des politiques intégrées. Ce traité sans équivalent au niveau international offre une protection concrète aux femmes et aux filles, en obligeant les Etats à ériger en infractions pénales les différentes formes de violences (viols, mariages forcés, violences psychologiques, etc.), et en évaluant les progrès et les défis des politiques publiques menées dans les Etats parties pour combattre ce fléau. La France a ainsi mis en œuvre les recommandations du Groupe d’experts sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique et pour améliorer la prise en charge des victimes, permettant par exemple l’extension 24/24h du numéro d’appel 3919 en 2021.
La première année de cette présidence a été marquée par l’adhésion de trois nouveaux Etats à la Convention d’Istanbul, avec son entrée en vigueur en Moldavie, au Royaume-Uni et en Ukraine. Un résultat significatif, y compris pour la diplomatie féministe française, serait d’engager la première adhésion d’un Etat non-européen à cette convention à vocation universelle, puisque l’ouverture aux Etats tiers avait été actée au cours de la présidence française du Conseil de l’Europe en 2019. La ratification de la Convention par l’Ukraine est une étape importante pour le renforcement de la protection des femmes contre toutes les formes de violences. La Convention s’applique en temps de paix et en situation de conflit armé. Dans le contexte de l’agression de la Russie contre l’Ukraine, la France s’est aussi engagée en soutien aux victimes de violences sexuelles, notamment en finançant l’action du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) et du Fonds mondial pour les survivants de violences sexuelles liées à des conflits, fondé par Nadia Murad et le Dr Denis Mukwege.
Comment la diplomatie féministe peut-elle être concrètement utilisée pour renforcer les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes en Europe et au-delà ?
Assumer une diplomatie féministe nous oblige. En adoptant une approche féministe, il s’agit de s’engager à mettre à l’agenda et systématiser les actions internationales en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble de notre politique extérieure.
Chaque ambassade, y compris notre Représentation permanente auprès du Conseil de l’Europe, chaque direction et chaque opérateur du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, doit présenter une feuille de route pour l’égalité femmes/hommes en ce sens.
En interne, cela implique une politique volontariste en faveur de l’égalité professionnelle, afin de tendre vers la parité réelle dans tous les domaines : évolution de carrière, nominations, lutte contre les discriminations, formation, articulation vie professionnelle et vie familiale.
Deux outils concrets pour l’illustrer au sein du Quai d’Orsay : une cellule « tolérance-zéro » permet de signaler en interne et sanctionner toute situation de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel ou d’agissement sexiste ; un programme « Tremplin » vise à favoriser l’accès des femmes aux fonctions d’encadrement supérieur, en brisant les plafonds de verre et le mur des clichés.
A l’international, le plaidoyer en faveur de l’égalité dans les enceintes multilatérales et européennes, dans les relations bilatérales, se prolonge très concrètement dans notre politique d’aide au développement. La France a ainsi sensiblement augmenté ses contributions financières, notamment via une contribution dans le cadre du Forum Génération Egalité de 400 millions d’euros sur la période 2021-2025 pour financer l’éducation complète à la sexualité, l’accès aux produits contraceptifs et l’avortement légal, sûr et médicalisé ; mais également via un Fonds de soutien aux organisations féministes pérennisé de 120 millions d’euros sur la période 2023-2025. Catherine Colonna a remis, le 8 mars 2023, le Prix Simone Veil de la République française au Groupement citoyen pour la dépénalisation de l’avortement, collectif salvadorien engagé pour la défense du droit à l’avortement, en reconnaissance de son action décisive pour les droits et la santé sexuels et reproductifs. Dans son discours à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a également dévoilé le lancement de la stratégie internationale de la France en matière de santé et les droits sexuels et reproductifs. Nous accompagnons et soutenons concrètement celles et ceux qui défendent les droits des femmes dans leur pays, parfois au péril de leur vie, notamment avec le Prix Simone Veil de la République française et à travers l’Initiative Marianne pour les défenseur.es des droits de l’Homme, dont les lauréates et lauréats ne manquent jamais de passer à Strasbourg, en tant que capitale européenne des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’Etat de droit. Une exposition consacrée à ces femmes défenseures des droits et lauréates 2022 de l’Initiative Marianne est d’ailleurs exposée sur les grilles du Quai d’Orsay jusqu’au 8 juin. L’Union Européenne a aussi adopté le 7 mars de nouvelles désignations au titre du régime de sanctions transversales de lutte contre les violations des droits de l’Homme, symbolique forte à la veille de la journée internationale de la femme montrant la détermination de l’UE à protéger les droits de l’Homme. Il s’agit d’individus et d’entités impliqués dans la commission de graves violations des droits de l’homme et de graves atteintes à ces droits, en particulier des violences sexuelles et sexistes.
Quels sont les défis actuels et les obstacles à la mise en œuvre d’une diplomatie féministe efficace et comment peuvent ils être dépassés ?
Vu de Strasbourg, il y a trois types de défis et obstacles à surmonter pour l’efficacité de notre diplomatie féministe. Le premier tient au recul des droits des femmes, en Europe et au-delà, sous prétexte de défendre une conception traditionnelle de la famille ou de la religion. La Convention d’Istanbul négociée il y a dix ans est l’instrument le plus ambitieux dont nous disposons, et nous devons protéger cet acquis face aux forces conservatrices qui cherchent à le décrédibiliser. Le deuxième défi tient sans doute à la perception qu’il s’agirait d’un agenda occidental, un problème de pays riches, une préoccupation de démocraties en paix. Il est prouvé, au contraire par de multiples analyses basées sur des faits, que l’égalité et l’autonomisation des femmes est un puissant facteur de développement, de prospérité, mais aussi de sécurité. Le troisième défi est peut être celui d’une fatigue de ses champions. La diplomatie féministe est un sport de combat, c’est aussi un sport d’endurance et il ne faut surtout pas baisser la garde après les premiers rounds. Plus de vingt-cinq ans après la Conférence de Pékin, nous avons besoin de voir émerger une nouvelle génération de l’Egalité, avec des jeunes femmes et de jeunes hommes qui prennent le relai de cette grande cause et n’attende pas 300 ans pour atteindre l’égalité réelle. C’était l’un des objectifs du Forum Génération Egalité, que nous avons co-organisé avec le Mexique en juillet 2021 à Paris, et qui a débouché sur l’annonce de 40 milliards de dollars d’engagements pour promouvoir les droits des femmes. Votre magazine a déjà eu l’occasion de faire connaître le travail extraordinaire de l’Ambassadrice Delphine O, Secrétaire générale du Forum Génération Egalité pour la mobilisation et le suivi des coalitions d’actions, dont celles sur la violence fondée sur le genre à laquelle participe d’ailleurs l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Quel rôle veut et peut jouer la France dans le plaidoyer en faveur d’une diplomatie féministe et dans son ‘incarnation’, voire en tant que cheffe-de-file, à présent que la Suède a abandonné le concept ?
La France assume haut et fort sa diplomatie féministe et continuera de le faire, mais heureusement nous ne sommes pas les seuls. La France était le quatrième pays à se doter, en 2018, d’une diplomatie féministe, après la Suède, le Canada et le Luxembourg. Cet engagement porte ses fruits.
Catherine Colonna a proposé ce 8 mars que les douze pays qui portent aujourd’hui une diplomatie féministe se retrouvent pour une réunion dédiée d’ici la fin de l’année 2023, l’occasion d’échanger sur nos meilleures pratiques et de définir un agenda partagé.
Propos recueillis par Jocelyne Adriant-Metboul 50-50 Magazine