Articles récents \ Matrimoine Marie Raymond : peintresse et prétresse de l’art abstrait
Qui connaît les toiles abstraites de Marie Raymond largement inspirées de ses longues promenades dans l’arrière-pays niçois ? Savez-vous qu’elle a décroché le prestigieux prix Kandinsky en 1949 ? Auriez-vous pu imaginer qu’elle ait côtoyé Colette, Pierre Soulages, Eugène Ionesco, Jacques Villon ou Hans Hartung ? Et surtout que Marie Raymond a eu une large influence sur l’artiste plasticien, Yves Klein, son fils ?
Et pourtant cette figure incontournable de l’art abstrait reste encore trop méconnue de nos jours. Née en 1908, Marie Raymond grandit dans la région niçoise entre un père propriétaire d’une pharmacie et un grand-père, négociant en fleurs destinées aux parfumeries de Grasse. Elle fait ses études à l’Institut Blanche de Castille à Nice.
Marie décide de devenir peintresse en visitant l’atelier d’Alexandre Stoppler à Cagnes-sur-Mer. Elle s’inscrit à l’École des Arts décoratifs à Nice (Villa Arson) puis, commence à travailler en peignant des portraits et des paysages qu’elle signe sous son nom. Elle y rencontre l’un des frères de Marcel Duchamp, le cubiste Jacques Villon.
Elle fait la connaissance de son futur mari, un peintre néerlandais installé à Cagnes-sur-Mer, Friedrich (dit Fred) Klein, peintre figuratif paysagiste qui est spécialisé dans la représentation des chevaux, des scènes de cirque et des plages.
Le couple se marie en 1926 puis s’installe à Paris dans le même immeuble que Piet Mondrian où il mène une vie de bohème côtoyant de nombreux artistes. Yves Klein naît de cette union dans la maison de ses parents rue Verdi à Nice en 1928. Leur vie d’artiste est difficile financièrement parlant et la famille Klein vivra plus ou moins à la charge des parents de Marie. Fred expose à Amsterdam pour la première fois puis à Paris et ensuite à Nice.
Désargenté, le couple revient sur la Côte d’Azur où Marie prépare un examen par correspondance pour devenir professeure de dessin tandis que Fred travaille dans son atelier à Cagnes-sur-Mer. Les paysages et les villages de La Colle sur Loup, de Saint-Jeannet ou encore de La Gaude inspirent les toiles de Marie. La famille profite des bains de mer avec leurs enfants respectifs en compagnie de Nicolas de Staël pour échanger sur le devenir de l’art.
Marie Raymond décroche une commande pour le pavillon des Alpes-Maritimes lors de l’exposition de 1937, une fresque sur le thème des quatre éléments. La guerre est déclarée et de nombreux artistes se réfugient dans le sud. Les Klein côtoient régulièrement Sophie Taeuber-Arp Sonia Delaunay, Susi et Alberto Magnelli ou Marx Ernst. Certains sortent du camp de rétention des Milles d’Aix-en-Provence. C’est à ce moment-là que Marie Raymond change de style et se lance dans la peinture abstraite.
A la Libération, elle expose pour la 1ère fois en 1945 à Paris aux côtés d’Hans Hartung et de trois autres artistes au Salon des Surindépendants. Leur style abstrait est repéré par les critiques. A partir de cette année, la peintresse connaît un réel succès. Elle est invitée dans de nombreuses galeries et salons dédiés à l’art abstrait. Elle décroche le prix Kandinsky en 1949. Marie organise sa 1ère exposition personnelle en 1950. En 1951, la ville de Menton l’invite à sa 1ère Biennale de peintures. Elle expose au Japon, dans les pays scandinaves, au Brésil, aux USA et en Europe.
De 1946 à 1954, elle créé « Les Lundis de Marie Raymond » et donne rendez-vous dans son appartement-atelier parisien où une foule de personnalités se pressent pour y parler art, voir des films ou refaire le monde.
De son côté, Yves Klein, encouragé par sa mère, expose pour la 1ère fois en public en 1955. Elle est aux côtés de son fils à presque tous ses vernissages. Mais son couple bat de l’aile et se sépare en 1958. Marie obtient le prix Marzotto en 1960. Elle divorce en 1961. Son fils se marie en janvier 1962 et meurt d’un arrêt cardiaque la même année à l’âge de 34 ans.
Hantée par la mort d’Yves, Marie Raymond puise alors sa force dans un travail acharné mais expose peu. Elle réalise des triptyques, s’initie aux grands formats ou s’essaie à de nouvelles techniques comme la peinture fluorescente. En 1966, son exposition à Paris est un semi-échec. Le marché de l’art abstrait n’a plus la côte, laissant la place au Pop Art et aux Nouveaux Réalistes. Elle ne cesse de rendre hommage à son fils à travers des rétrospectives. En 1972, le château-musée de Cagnes-sur-Mer honore le travail d’Yves Klein et de Marie Raymond à travers une exposition remarquable.
Cependant, Marie Raymond reste présente dans le milieu artistique dans les années 70 et 80 à travers des vernissages et la publication d’articles dans des revues spécialisées. Elle meurt en 1989 à l’âge de 82 ans à Paris et repose au cimetière de la Colle-sur-Loup aux côtés de son fils.
Marie Raymond, une artiste à l’extraordinaire inspiration, à l’étrange mélange de couleurs, de sensibilité exacerbée et de vitalité cosmique, à découvrir ou redécouvrir.
Laurence Dionigi 50 50 Magazine