DOSSIERS \ La diplomatie à l’épreuve du féminisme Quand la Suède abandonne la diplomatie féministe…
Coup de tonnerre chez les féministes européennes : en octobre 2022 le gouvernement suédois nouvellement élu, annonce que son pays va abandonner la diplomatie féministe, cette volonté d’agir pour promouvoir les droits des femmes sur la planète que sa précédente ministre des Affaires étrangères, Margot Wallstrom, avait imposée en 2014, surprenant le monde entier. Mais tel va le monde politique : un changement de majorité, passée cette année d’une gauche modérée à une droite extrême, a d’immédiates conséquences, surtout lorsqu’il s’agit de prendre en compte les droits des femmes. La féministe Gertrud Astrom revient sur cette décision.
Pour le nouveau ministre Tobias Billström, qui a annoncé la fin de cette politique étrangère progressiste : « l’égalité des genres est une valeur fondamentale en Suède et une valeur fondamentale pour ce gouvernement. Mais nous n’allons pas employer l’expression ‘politique étrangère féministe’ parce que les étiquettes ont eu une fâcheuse tendance à l’emporter sur le fond. »
Cette décision n’a pas vraiment étonné les féministes suédoises, qui en pressentaient l’annonce, comme l’explique Gertrud Astrom, l’ancienne présidente de la section suédoise du Lobby Européen des Femmes et actuelle membre du conseil d’administration du Lobby : “ pour comprendre la naissance de la diplomatie féministe, il faut remonter aux années qui avaient précédé l’arrivé du parti social démocrate au pouvoir. Dans les années 2000, et spécialement en 2009, nous assistions déjà à une sorte de backslash vis à vis des femmes, au niveau mondial mais aussi suédois. Alors, en 2014, les pays nordiques et le Lobby européen ont organisé ce qui fut appelé ‘le forum nordique”, une conférence de quatre jours et plus de mille séminaires de réflexion féministe. Toutes les circonstances étaient donc réunies cette année là pour que notre pays puisse lancer ce concept de diplomatie féministe, avec l’arrivée du parti social démocrate au pouvoir et le soutien de cette énorme convention féministe. Il faut reconnaître que nous avons aussi bénéficié de la présence d’une politicienne aguerrie en la personne de Margot Wallstrom, qui avait été membre de différents gouvernements depuis les années 80, mais est aussi une féministe convaincue. Depuis son poste de ministre des affaires étrangères, Margot Wallstrom a pu faire valoir la force du mouvement féministe suédois qui avait proposé cette orientation de la diplomatie lors de nombreuses rencontres dans les années précédentes. Par ailleurs, elle avait occupé le poste de Haute commissaire des Nations Unies sur les violences envers les femmes, et était donc très sensibilisée par le sujet. Enfin, la Suède avait joué un grand rôle lorsqu’avait été votée en 2000 à l’ONU la résolution 1325 sur les femmes, la paix, et la sécurité qu’elle avait soutenue avant qu’elle ne soit votée par tous les pays à l’unanimité. Mais aujourd’hui, alors que les media du monde entier réagissent à l’abandon de notre politique innovante, nous n’en sommes hélas pas surprises. Lorsque nous constatons par exemple l’abandon par le gouvernement de certains termes comme féminisme qui sont remplacés par égalité de genre, nous savons bien ce que cette hypocrisie signifie. En fait, c’est très symbolique de ce pouvoir pour qui les relations internationales ne sont pas d’une grande importance et qui ne souhaite pas trop s’y consacrer, donc la première action logique à leurs yeux était d’envoyer la diplomatie féministe aux oubliettes. Mais ça ne se fait pas sans difficultés et on a le sentiment qu’ils ne savent pas trop où ils vont… ”.
Pour le 8 mars, Gertrud Astrom préparait avec le mouvement féministe suédois une énorme manifestation. Parallèlement, les féministes ont font des recommandations à leur nouveau gouvernement. Car si la plupart des pays européens aiment à s’inspirer du modèle de société égalitaire qu’ont peu à peu mis en place les pays du Nord, elle considère que ce modèle est fragile si on veut bien le regarder de près. Le “Care”, par exemple, laisse selon elle de côté trop de femmes et de vieux : “ Oui, notre pays fait envie de loin, mais nous ne devons pas cesser d’améliorer nos lois et sauvegarder ce que nous avons acquis, car prendre soin les un des autres n’est pas seulement du soin, c’est la base de la démocratie ! Or la Suède a voté de nombreuses lois pour les enfants, mais les vielles/vieux ou les handicapé·es, c’est à dire les plus faibles, sont en fait oublié·s… Et en tant que féministes c’est notre rôle de mettre l’accent là-dessus.”
Autre problème qui guette, comme ailleurs en Occident, le système prostitutionnel qui, selon ces féministes abolitionnistes, promeut la pornographie de toutes parts et profite de la guerre en Ukraine pour se développer : “ Vous pouvez aujourd’hui observer les proxénètes et trafiquants attendre les réfugiées aux frontières » souligne Gertrud Astrom. » C’est devenu un sujet encore plus brûlant qu’avant. Nous aimerions bien d’ailleurs savoir d’où vient l’argent qui soutient celles/ceux qui défendent le “travail sexuel” au sein même d’ONG comme Amnesty International ! ”
Alors, face aussi aux dissensions qui déchirent le mouvement féministe suédois comme on l’observe en France, face aux attaques de certains mouvements radicaux venus des universités américaines, on comprend un peu que l’abandon de la fameuse diplomatie féministe par leur pays ne préoccupe pas tant que ça les féministes de Stokholm ou d’ailleurs. Finalement, n’est-ce pas le plus important que le mouvement ait été lancé, et qu’ensuite tant de pays l’aient adoptée ?
« Mais oui, je m’énerve toujours quand on me demande si la diplomatie féministe, ça marche. En fait, il faut plutôt voir le problème en se demandant comment ce serait si elle n’existait pas ! On me dit que cette politique ce sont des mots et seulement des mots, mais à mes yeux, il faut regarder son impact à l’ONU, dans l’Union Européenne, et ailleurs… Ce qui compte c’est d’arriver petit à petit à plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Le féminisme en tant que concept, est vide, c’est aussi un mot, et c’est à nous de le remplir. Et pour cela continuer à le faire comprendre aux politicien·nes qui vont le mettre en œuvre ! » conclut Gertrud Alstrom
Moïra Sauvage 50-50 Magazine